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Interview avec Nouhou Balde, fondateur du site Guinée Matin

15 septembre 2024

Temps de lecture : 5 minutes
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Interview avec Nouhou Balde, fondateur du site Guinée Matin

Temps de lecture : 5 minutes

« Je n’ai tou­jours aucune infor­ma­tion pré­cise ni sur les raisons, ni sur l’autorité qui a décidé de faire fer­mer le site guineematin.com »

« La presse guinéenne n’est plus libre ». C’est ce que constate avec véhémence Nouhou Baldé, administrateur et fondateur du site Guinée Matin, qui s’est prêté aux questions du correspondant Afrique de l’Observatoire du journalisme. Il explique le calvaire des journalistes guinéens qui n’ont plus droit à la parole depuis l’arrivée de la junte militaire guinéenne. Ce qui, à ses yeux constitue un mal profond. Entretien.

OJIM : Quel est le prob­lème de la junte mil­i­taire guinéenne avec la presse ?

Nouhou Balde : Je pense que le CNRD a été sur­pris par la déter­mi­na­tion des jour­nal­istes guinéens à se bat­tre pour leur lib­erté et leur totale indépen­dance. Il est impor­tant de savoir qu’après son coup d’État, le CNRD a fait assez de gestes en faveur des jour­nal­istes. Tout d’abord, nous étions sous Covid 19 et une déci­sion excep­tion­nelle a été pub­liée pour lever les restric­tions, notam­ment liées à la libre cir­cu­la­tion des jour­nal­istes. Ensuite, des con­frères ont été nom­més à des postes de respon­s­abil­ité, la sub­ven­tion allouée à la presse a été rehaussée (sur le papi­er), une mai­son de la presse a été promise et un bâti­ment a été mis à dis­po­si­tion en atten­dant la con­struc­tion de la MDP, etc. Des promess­es et des actes excep­tion­nelle­ment favor­ables à la presse. Mais, par­al­lèle­ment, des actes et déci­sions qui jurent avec les droits civiques et poli­tiques ont aus­si été posés « con­tre » des respon­s­ables poli­tiques et de la société civile.

Pré­ci­sion impor­tante, il n’y a pas de média aligné ou poli­tique­ment engagé en Guinée. Donc, à mon avis, la junte a pen­sé qu’en aidant les jour­nal­istes, ils lui resteraient fidèles « quoi qu’il arrive ». Or, lorsque les dig­ni­taires du régime Alpha Condé ont été vic­times d’injustice, les jour­nal­istes qui étaient pour­tant très sévères con­tre leur ges­tion, ont com­mencé à s’indigner et à dénon­cer ce qu’ils subis­saient. Et les cri­tiques con­tre les nou­veaux dirigeants du pays ont été encore plus sévères lorsqu’ils ont com­mencé à per­sé­cuter les respon­s­ables de l’ancienne oppo­si­tion (au régime Alpha Condé) qu’ils soient lead­ers poli­tiques (comme Cel­lou Dalein Dial­lo et Sidya Touré) ou soci­aux, par­ti­c­ulière­ment du Front Nation­al pour la Défense de la Con­sti­tu­tion (FNDC). Je pense que la junte mil­i­taire guinéenne ne s’attendait pas à une telle sol­i­dar­ité de la presse privée du pays. À mon avis, le CNRD croy­ait qu’en nom­mant cer­tains et accor­dant des avan­tages à d’autres, il aurait le sou­tien « indé­fectible » de la presse guinéenne qui fer­merait les yeux sur les atteintes aux droits et lib­ertés des autres com­posantes de la société guinéenne.

Bref, la presse privée était dev­enue l’unique voix dis­so­nante que le régime mil­i­taire a décidé d’étouffer pour con­tin­uer à diriger sans être cri­tiqué. Puisque même si d’autres médias con­tin­u­ent leurs activ­ités, le per­son­nel cumulé des radios et télévi­sions privées dont on a retiré les agré­ments (FIM, Espace et Djo­ma) con­stitue plus de la moitié des jour­nal­istes privés en activ­ité qui sont ain­si mis au chômage.

OJIM : Quelles sont les raisons de la fer­me­ture du site d’in­for­ma­tions Guinée Matin ?

Nahou Balde : Sincère­ment, je n’ai tou­jours aucune infor­ma­tion pré­cise ni sur les raisons, ni sur l’autorité qui a décidé de faire fer­mer le site guineematin.com. Je sais que nous sommes par­mi les médias les plus cri­tiques du pays et que moi-même, fon­da­teur et admin­is­tra­teur du site, je suis cri­tique surtout dans les émis­sions de débat chaque fois que je par­ticipe aux émis­sions des radios et télévi­sions. Mais, je n’ai reçu aucune plainte. Au con­traire, avec notre asso­ci­a­tion pro­fes­sion­nelle (Asso­ci­a­tion Guinéenne de la Presse en Ligne « AGUIPEL »), on a écrit à la Guinéenne de la large bande (Guilab) qui gère l’accès à inter­net en Guinée, à la Haute Autorité de la Com­mu­ni­ca­tion (HAC) qui a elle-même écrit à l’Autorité de régu­la­tion des postes et télé­com­mu­ni­ca­tions (ARPT) sans qu’on ait d’ex­pli­ca­tions. Il y a plusieurs démarch­es, plusieurs reven­di­ca­tions, y com­pris une man­i­fes­ta­tion de rue du syn­di­cat de la presse privée de Guinée à Kaloum, sans qu’on sache réelle­ment qui a ordon­né la cen­sure du site, ni les raisons. Bref, le site a été restreint par la junte pen­dant 3 mois et libéré sans qu’on nous en donne la moin­dre raison.

OJIM : Avec la fer­me­ture des médias guinéens, peut-on dire que la presse guinéenne est assassinée ?

Nouhou Balde : Je ne dis pas que la presse est assas­s­inée. Mais, il est évi­dent que la presse guinéenne n’est plus libre. Les entre­pris­es de presse sont élim­inées de l’espace médi­a­tique et des cen­taines de jour­nal­istes mis au chômage.

OJIM : Pourquoi les jour­nal­istes ne sont pas en sécurité ?

Nouhou Balde : Aucun défenseur des droits et des lib­ertés n’est en sécu­rité en Guinée. Les lead­ers poli­tiques et soci­aux for­cés de vivre en exil ou bien en prison. Des lead­ers soci­aux sont exilés ou kid­nap­pés. Ceux qui con­tin­u­ent d’exercer actuelle­ment en Guinée s’autocensurent quo­ti­di­en­nement pour échap­per à la chape de plomb instau­rée par la junte mil­i­taire et qui plane sur les Guinéens.

OJIM : N’est-il pas risqué d’être un jour­nal­iste dans un régime de tran­si­tion militaire ?

Nouhou Balde : Nous nous ren­dons compte qu’il est effec­tive­ment très risqué de tra­vailler en tant que jour­nal­iste indépen­dant sous une junte mil­i­taire. Nous qui avions com­mencé à rêver à l’arrivée du CNRD avons vite com­pris que nous étions au con­traire beau­coup plus libres sous les régimes précé­dents. Jamais, on n’avait atteint un tel recul de nos droits et lib­ertés dans notre cher pays. Jamais !