Rediffusion estivale. Première diffusion le 25 mai 2021
L’enclave espagnole de Ceuta en Afrique du nord vient de vivre une séquence d’invasion migratoire particulièrement aiguë. Selon des sources concordantes, les incursions de nombreux clandestins ont été tacitement autorisées, voire téléguidées, par les autorités marocaines à partir du 18 mai. En deux jours, ce ne sont pas moins de 8 000 personnes qui se sont introduites clandestinement dans le territoire espagnol.
Bien que cette invasion soit plus qu’inamicale et contraire aux engagements du Maroc de contenir les départs clandestins de son pays, celle-ci a été traitée essentiellement sous l’angle humanitaire par les médias de grand chemin.
Récit narratif culpabilisant
Comme lors de la crise migratoire de 2015, le récit narratif de l’immigration clandestine a une nouvelle fois visé à grand renfort d’images choc à culpabiliser les Européens pour qu’ils acceptent de très nombreux migrants de culture arabo-musulmane. Nous revenons en détail sur la fabrique du consentement de l’opinion publique par les médias de grand chemin dans ce nouvel épisode de l’invasion migratoire de l’Europe.
Le contexte
Le Front Polisario milite depuis de nombreuses années pour l’indépendance du Sahara occidental situé au Maroc. Les autorités marocaines sont très sensibles à tout ce qui peut s’apparenter à un soutien de ce mouvement. Un évènement récent a contribué à dégrader les relations entre le Maroc et l’Espagne.
Selon le journal espagnol El Independiente, l’Espagne a accueilli le 21 avril le leader du Front Polisario pour qu’il se fasse soigner du coronavirus. Le quotidien précise que cet accueil « pour motif humanitaire » a été annoncé officiellement par le ministre des affaires étrangères espagnol.
« Le Maroc exprime son “exaspération” après l’accueil du chef du Polisario en Espagne », nous informe le 25 avril L’Orient-le jour. On apprend à la lecture de l’article que « Le chef de la diplomatie marocaine Nasser Bourita a convoqué l’ambassadeur espagnol pour exprimer “une incompréhension et une exaspération” et “demander des explications” ». Mais les autorités marocaines n’allaient pas en rester là.
L’Union européenne délègue la surveillance des frontières de l’Espagne au Maroc
Les Marocains sont très nombreux à migrer clandestinement en Europe, et en France en particulier. Dans un article paru en septembre 2020, Challenge Maroc nous apprenait que les Marocains « tiennent (…) le haut du pavé des arrivées « irrégulières » de migrants vers l’Europe au titre de l’année 2019 ».
Selon les chiffres disponibles sur le site du Haut-Commissariat aux réfugiés de Nations Unies, cette tendance s’est poursuivie en 2020.
Dans ce contexte, l’Union européenne aide financièrement les autorités marocaines à juguler l’immigration clandestine.
Sur son site, le conseil européen nous informe que « l’UE (a noué) un partenariat étroit avec le Maroc, en vue de contribuer au renforcement du contrôle des frontières et à la lutte contre la traite des migrants ». Le journal La Croix nous informait en décembre 2020 que « depuis 2018, 343 millions d’aide ont été versés par l’Union européenne au royaume chérifien, notamment pour la formation de sa police » et que « Rabat est central dans la politique européenne visant à contenir les immigrants illégaux ». Mais, comme la suite des événements allait le montrer, recourir à un pays tiers pour surveiller ses frontières n’est pas sans risque.
L’invasion migratoire à partir du 17 mai
Faute de volonté politique de la refouler, l’immigration clandestine est continue en mer méditerranée entre l’Afrique et l’Europe. La journée du lundi 17 mai a été marquée par un pic impressionnant à la pointe nord du continent africain : « Au moins 5 000 migrants sont parvenus, lundi 17 mai, à atteindre l’enclave de Ceuta depuis le Maroc voisin, ont rapporté les autorités espagnoles qui évoquent un “record” », nous informe France Info le mardi 18 mai.
Ce même jour, L’Obs nous informait que le nombre des arrivées clandestines atteignait 8 000 selon le ministère espagnol de l’Intérieur. « 4 000 ont été renvoyés au Maroc ».
Une violence minimisée
Si la frontière entre le Maroc et le territoire espagnol de Ceuta est insuffisamment gardée, les clandestins doivent néanmoins forcer le passage pour la franchir. Très peu de médias français ont montré les véritables scènes de guérilla qui y ont lieu.
Le 20 mai, France 24 parle pudiquement de « heurts entre police marocaine et migrants voulant rejoindre Ceuta ». Mais avant que les autorités marocaines essaient de contenir le flux migratoire qu’elles ont provoqué, ce sont les douaniers espagnols qui ont subi les assauts des migrants.
Le journal espagnol local, El Faro de Ceuta, évoque une « offensive historique que l’on avait jamais connue auparavant ». Ce sont en effet des images de guérilla à Tarajal que le journal a mis en ligne sur son site : d’un côté des migrants qui jettent des pierres contre les gardes civils espagnols, de l’autre, des tirs de grenades lacrymogènes pour contenir les assauts des migrants. On apprend que la mobilisation de l’armée, de la police nationale, de la police locale et de la garde civile est nécessaire pour faire face à ce que le journaliste qualifie de « chaos ».
Réactions de défense à l’invasion migratoire
Très rapidement, de nombreux médias, à l’instar de 7sur7.be le 19 mai, nous informent de la réaction du vice-président de la Commission européenne, Margaritis Schinas :
« L’Europe “ne se laissera intimider par personne” sur le thème migratoire (…). “Ceuta, c’est l’Europe, cette frontière est une frontière européenne et ce qui se passe là-bas n’est pas le problème de Madrid, c’est le problème de tous” les Européens ». On apprend également par le média belge que « Bruxelles avait déjà exprimé mardi sa solidarité vis-à-vis de l’Espagne et appelé le Maroc, par la voix de la commissaire européenne Ylva Johansson, à empêcher les “départs irréguliers” depuis son territoire ».
Le gouvernement espagnol ne tarde également pas à réagir : « Le gouvernement espagnol a (…), accusé le Maroc d’ ”agression” et de “chantage” (…) après l’arrivée de plus de 8 000 migrants depuis lundi dans l’enclave espagnole de Ceuta », nous apprend La Provence le 20 mai.
Quelques jours après le pic d’arrivées clandestines le 18 mai, la présentation de l’invasion migratoire à Ceuta va changer. Après les rares images et articles montrant et décrivant la détermination des clandestins à gagner l’Europe coûte que coûte, c’est le récit d’un drame humanitaire qui prend le dessus. Bien qu’ils ne soient jamais mentionnés, ce sont, au travers des images montrant des situations de détresse, les efforts qui sont faits pour faire respecter la frontière qui apparaissent comme cruels et déplacés. D’un conflit diplomatique, on passe à un drame humanitaire décontextualisé.
À suivre.