Son sort rappelle un peu celui de notre général de gendarmerie Bertrand Soubelet, sanctionné et poussé vers la sortie après la publication de son livre « Tout ce qu’il ne faut pas dire » en 2016. À cette différence près que le général italien Roberto Vannacci ne se livre pas, au contraire de ce qu’avait fait le général français Bertrand Soubelet, à une critique des politiques menées par les autorités de son pays, mais plutôt à une critique de la folie généralisée qui semble s’emparer de la société italienne comme des autres sociétés occidentales.
Un livre anti-woke condamné par Fratelli d’Italia
C’est un livre anti-woke, en somme, et la dureté de la sanction par le ministre de la Défense est perçue, y compris au sein du gouvernement de Giorgia Meloni, comme une atteinte à la liberté d’expression et une trahison des valeurs de son parti Frères d’Italie (Fratelli d’Italia, FdI). Car c’est aussi le parti du ministre de la Défense Guido Crosetto.
Réagissant à la parution de ce livre publié à compte d’auteur et devenu depuis sa sortie à la mi-septembre la cible des médias et politiciens de gauche qui l’accusent, entre autre choses, de racisme et d’homophobie, le ministre Crosetto écrivait le 17 août sur son compte X (ex-Twitter) :
« Le général Vannacci a exprimé des opinions qui discréditent l’armée, la défense et la constitution. Pour cette raison, l’examen disciplinaire prévu sera initié par la Défense. »
Le général a donc été suspendu de son poste de commandement de l’Institut géographique militaire après la sortie de son livre intitulé « Le monde à l’envers » (Il mondo al contrario), devenu en deux semaines, à la fin août, numéro un des ventes sur Amazon Italie.
Salvini défend Vannacci
Face à la sévérité de Crosetto, plusieurs personnalités de droite sont montées au créneau : le sous-secrétaire à la culture Vittorio Sgarbi, du parti centriste Noi Moderati (Nous Modérés), Giovanni Donzelli, chef de l’organisation de Fdi et vice-président de la commission parlementaire pour la sécurité de la République, sont montés au créneau, Galeazzo Bignami, vice-ministre des infrastructures (FdI), ainsi que Gianni Alemanno, visage historique de la droite italienne.
Plus dommageable pour l’unité de la coalition gouvernementale, Matteo Salvini, chef de la Ligue et ministre des Infrastructures et des Transports et vice-président du Conseil au sein du gouvernement Meloni, a également fait des déclarations en faveur du droit du général Vannacci à exprimer ses opinions. On apprenait même dans les derniers jours d’août que la Ligue proposait au militaire une place de choix sur ses listes pour les élections européennes de l’année prochaine, même si celui-ci avait fait savoir qu’il souhaitait rester à la disposition de l’armée et n’envisageait pas pour le moment une carrière politique.
La Russie, encore et toujours
Ces divisions au sein de la droite de gouvernement font dire au politicien de centre-droit Fabrizio Chicchitto, président de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des députés de 2013 à 2018, que « Derrière Vannacci, on peut voir la main de Poutine. Ils veulent diviser la majorité ». Précision de l’auteur de cette thèse exprimée par le biais d’un entretien publié le 28 août par le journal de gauche La Repubblica :
« J’étais président de la commission des affaires étrangères et j’ai été l’un des premiers à réaliser à quel point Poutine était dangereux. Dans le monde de Forza Italia [le parti de feu Silvio Berlusconi, ndlr.], Daniele Capezzone et moi-même étions les seuls à ne pas être d’accord avec la ligne dominante d’amitié avec le président russe. »
Forza Italia (FI) est aujourd’hui membre de la coalition avec Fratelli d’Italia (FdI) de Meloni et la Ligue de Salvini. Dans cette coalition, c’est clairement le parti de Meloni le plus atlantiste, mais même ce parti ne semblait pas avoir vu la main de Moscou derrière le livre du général. Comme on le constate toutefois, cette obsession russe des ennemis du « populisme » de droite existe aussi chez nos voisins transalpins.
De quoi parle le livre du général Vannacci ?
Le livre du général faisant 373 pages et des phrases sorties de leur contexte circulant à l’envi dans les médias et sur les réseaux sociaux italianophones depuis la mi-août, la description du contenu du livre s’appuie ici sur un article publié par Daniele Scalea le 20 août sur le site du think-tank conservateur dont il est le directeur, le Centro Machiavelli. L’article est intitulé : « J’ai lu le livre du général Vannacci. Voici ce qu’il dit vraiment ».
On y a d’abord un petit rappel de qui est le général Vannacci : cet officier parachutiste des forces spéciales aujourd’hui âgé de 54 ans, décoré plusieurs fois pour ses mérites, a pris part aux missions italiennes en Somalie, au Rwanda, en Bosnie-Herzégovine, au Yémen, en Côte d’Ivoire, en Irak, en Afghanistan (où il a été chef d’état major des Forces spéciales de l’OTAN), ainsi qu’en Libye.
Minorités organisées
Dans son livre « Le monde à l’envers », le général s’en prend à la tendance actuelle de la société à aller à l’encontre de toute rationalité et du bon sens, alors que des minorités organisées cherchent à imposer de nouveaux canons de la normalité. « Chers homosexuels », écrit le général dans une phrase qui lui vaut aujourd’hui une accusation politico-médiatique en homophobie, « vous n’êtes pas normaux, faites-vous une raison ! ». Le contexte permet de comprendre que Vannacci ne reproche pas aux homosexuels leur sexualité et qu’il ne les juge pas. Simplement, il refuse que l’on change les critères de la normalité en permettant à une petite minorité d’imposer ses propres normes à la majorité.
Vannacci survole les grands sujets de société actuels, regrettant qu’en Italie aussi, il soit mal vu de se revendiquer patriote et de mettre en avant l’hymne national et le drapeau. Il estime que l’excuse de la légitime défense doit découler de la perception de la personne agressée du danger qu’elle encourt, et qu’elle cesse d’être jugée à la lumière du danger réel posé par l’agresseur, tel qu’établi après enquête. Le général s’oppose à l’immigration de masse et se prononce en faveur d’une immigration raisonnable s’accompagnant d’une œuvre d’assimilation. Et s’il considère l’italianité comme étant avant tout une question d’allégeance, de langue et de culture, il remarque à propos de l’athlète Paola Egonu, d’origine nigériane, que : « […] même si Paola Egonu est de nationalité italienne, il est clair que ses traits somatiques ne représentent pas le caractère italien que l’on retrouve dans toutes les fresques, peintures et statues depuis les Étrusques jusqu’à nos jours. » Une évidence qui lui vaut les pires accusations de racisme, auxquelles semble donc donner fois le ministre de la Défense du parti de Giorgia Meloni. C’est un peu comme De Gaulle qui affirmait que « la France est un pays de race blanche » pour dire que l’immigration, c’est bien, mais à condition que la France reste la France, c’est-à-dire un pays majoritairement blanc et chrétien.
L’immigration en cause
Si c’est déjà sans doute trop tard pour la France, c’est aujourd’hui le dilemme que doit résoudre l’Italie alors que l’immigration illégale continue d’exploser et que le gouvernement actuel, pourtant élu sur un programme anti-immigration de masse, prévoit de faire venir des centaines de milliers de travailleurs extra-européens. C’est d’ailleurs un autre facteur qui divise de plus en plus la coalition au pouvoir.
L’attitude du ministre de FdI passe vraiment mal alors que, comme l’écrit Daniele Scalea sur le site du Centro Machiavelli, « Sur de nombreux points, les positions du général correspondent aux points du programme de Fratelli d’Italia, ou du moins à ce que FdI déclarait jusqu’au jour des élections. »
Le Mouvement 5 étoiles défend la liberté d’expression
Or c’est aujourd’hui l’ancienne ministre de la Défense du premier gouvernement Conte (2018–19), Elisabetta Trenta, du parti de gauche progressiste et immigrationniste Mouvement 5 Etoiles (M5S), qui prend aujourd’hui, dans le journal de droite La Veritá, la défense du général Roberto Vannacci et de son droit à la liberté d’expression. Pour Trenta, « Vannacci a touché des cordes sensibles, des sujets délicats en phase avec les tripes du pays. » On en a fait un martyr, estime l’ancienne ministre de la Défense, et pourtant « il a le droit d’exprimer ses idées » et « ce livre est légitime ».
Selon Trenta, les autorités chercheraient en fait aujourd’hui à punir l’officier non pas pour son livre « Le monde à l’envers », mais parce qu’il avait dénoncé dans le passé les effets de l’exposition des militaires italiens à de l’uranium appauvri en zone de guerre.
Ailleurs à gauche, on semble moins attachés à la liberté d’expression. Ainsi, pour Elly Schein, la secrétaire générale du Parti démocrate, le principal parti de gouvernement de la gauche italienne, ce livre serait une tentative intolérable de « nier et réviser l’histoire » et « la Constitution ne met pas toutes les opinions sur le même plan ».
Ainsi, comme l’écrit le directeur du Centro Machiavelli pour conclure son article mentionné plus haut :
« L’affaire Vannacci est un test pour la liberté d’expression en Italie. Celle des militaires, mais pas seulement. La sanction du général créera un précédent qui permettra de sanctionner tout citoyen qui ose défier les limites du discours “autorisé”. Des limites manifestement fixées par la gauche avec la complicité de conservateurs autoproclamés ou craintifs. »