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Italie, les limites de la liberté d’expression testées par le général Roberto Vannacci

6 septembre 2023

Temps de lecture : 8 minutes
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Italie, les limites de la liberté d’expression testées par le général Roberto Vannacci

Temps de lecture : 8 minutes

Son sort rappelle un peu celui de notre général de gendarmerie Bertrand Soubelet, sanctionné et poussé vers la sortie après la publication de son livre « Tout ce qu’il ne faut pas dire » en 2016. À cette différence près que le général italien Roberto Vannacci ne se livre pas, au contraire de ce qu’avait fait le général français Bertrand Soubelet, à une critique des politiques menées par les autorités de son pays, mais plutôt à une critique de la folie généralisée qui semble s’emparer de la société italienne comme des autres sociétés occidentales.

Un livre anti-woke condamné par Fratelli d’Italia

C’est un livre anti-woke, en somme, et la dureté de la sanc­tion par le min­istre de la Défense est perçue, y com­pris au sein du gou­verne­ment de Gior­gia Mel­oni, comme une atteinte à la lib­erté d’expression et une trahi­son des valeurs de son par­ti Frères d’Italie (Fratel­li d’Italia, FdI). Car c’est aus­si le par­ti du min­istre de la Défense Gui­do Crosetto.

Réagis­sant à la paru­tion de ce livre pub­lié à compte d’auteur  et devenu depuis sa sor­tie à la mi-sep­tem­bre la cible des médias et politi­ciens de gauche qui l’accusent, entre autre choses, de racisme et d’homophobie, le min­istre Croset­to écrivait le 17 août sur son compte X (ex-Twit­ter) :

« Le général Van­nac­ci a exprimé des opin­ions qui dis­crédi­tent l’armée, la défense et la con­sti­tu­tion. Pour cette rai­son, l’examen dis­ci­plinaire prévu sera ini­tié par la Défense. »

Le général a donc été sus­pendu de son poste de com­man­de­ment de l’Institut géo­graphique mil­i­taire après la sor­tie de son livre inti­t­ulé « Le monde à l’envers » (Il mon­do al con­trario), devenu en deux semaines, à la fin août, numéro un des ventes sur Ama­zon Ital­ie.

Salvini défend Vannacci

Face à la sévérité de Croset­to, plusieurs per­son­nal­ités de droite sont mon­tées au créneau : le sous-secré­taire à la cul­ture Vit­to­rio Sgar­bi, du par­ti cen­triste Noi Moderati (Nous Mod­érés), Gio­van­ni Donzel­li, chef de l’organisation de Fdi et vice-prési­dent de la com­mis­sion par­lemen­taire pour la sécu­rité de la République, sont mon­tés au créneau, Galeaz­zo Big­na­mi, vice-min­istre des infra­struc­tures (FdI), ain­si que Gian­ni Ale­man­no, vis­age his­torique de la droite italienne.

Plus dom­mage­able pour l’unité de la coali­tion gou­verne­men­tale, Mat­teo Salvi­ni, chef de la Ligue et min­istre des Infra­struc­tures et des Trans­ports et vice-prési­dent du Con­seil au sein du gou­verne­ment Mel­oni, a égale­ment fait des déc­la­ra­tions en faveur du droit du général Van­nac­ci à exprimer ses opin­ions. On appre­nait  même dans les derniers jours d’août que la Ligue pro­po­sait au mil­i­taire une place de choix sur ses listes pour les élec­tions européennes de l’année prochaine, même si celui-ci avait fait savoir qu’il souhaitait rester à la dis­po­si­tion de l’armée et n’envisageait pas pour le moment une car­rière politique.

La Russie, encore et toujours

Ces divi­sions au sein de la droite de gou­verne­ment font dire au politi­cien de cen­tre-droit Fab­rizio Chic­chit­to, prési­dent de la Com­mis­sion des Affaires étrangères de la Cham­bre des députés de 2013 à 2018, que « Der­rière Van­nac­ci, on peut voir la main de Pou­tine. Ils veu­lent divis­er la majorité ». Pré­ci­sion de l’auteur de cette thèse exprimée par le biais d’un entre­tien pub­lié le 28 août par le jour­nal de gauche La Repub­bli­ca :

« J’étais prési­dent de la com­mis­sion des affaires étrangères et j’ai été l’un des pre­miers à réalis­er à quel point Pou­tine était dan­gereux. Dans le monde de Forza Italia [le par­ti de feu Sil­vio Berlus­coni, ndlr.], Daniele Capez­zone et moi-même étions les seuls à ne pas être d’accord avec la ligne dom­i­nante d’amitié avec le prési­dent russe. »

Forza Italia (FI) est aujourd’hui mem­bre de la coali­tion avec Fratel­li d’Italia (FdI) de Mel­oni et la Ligue de Salvi­ni. Dans cette coali­tion, c’est claire­ment le par­ti de Mel­oni le plus atlantiste, mais même ce par­ti ne sem­blait pas avoir vu la main de Moscou der­rière le livre du général. Comme on le con­state toute­fois, cette obses­sion russe des enne­mis du « pop­ulisme » de droite existe aus­si chez nos voisins transalpins.

De quoi parle le livre du général Vannacci ?

Le livre du général faisant 373 pages et des phras­es sor­ties de leur con­texte cir­cu­lant à l’envi dans les médias et sur les réseaux soci­aux ital­ianophones depuis la mi-août, la descrip­tion du con­tenu du livre s’appuie ici sur un arti­cle pub­lié par Daniele Scalea le 20 août sur le site du think-tank con­ser­va­teur dont il est le directeur, le Cen­tro Machi­avel­li. L’article est inti­t­ulé : « J’ai lu le livre du général Van­nac­ci. Voici ce qu’il dit vrai­ment ».

On y a d’abord un petit rap­pel de qui est le général Van­nac­ci : cet offici­er para­chutiste des forces spé­ciales aujourd’hui âgé de 54 ans, décoré plusieurs fois pour ses mérites, a pris part aux mis­sions ital­i­ennes en Soma­lie, au Rwan­da, en Bosnie-Herzé­govine, au Yémen, en Côte d’Ivoire, en Irak, en Afghanistan (où il a été chef d’état major des Forces spé­ciales de l’OTAN), ain­si qu’en Libye.

Minorités organisées

Dans son livre « Le monde à l’envers », le général s’en prend à la ten­dance actuelle de la société à aller à l’encontre de toute ratio­nal­ité et du bon sens, alors que des minorités organ­isées cherchent à impos­er de nou­veaux canons de la nor­mal­ité.  « Chers homo­sex­uels », écrit le général dans une phrase qui lui vaut aujourd’hui une accu­sa­tion politi­co-médi­a­tique en homo­pho­bie, « vous n’êtes pas nor­maux, faites-vous une rai­son ! ». Le con­texte per­met de com­pren­dre que Van­nac­ci ne reproche pas aux homo­sex­uels leur sex­u­al­ité et qu’il ne les juge pas. Sim­ple­ment, il refuse que l’on change les critères de la nor­mal­ité en per­me­t­tant à une petite minorité d’imposer ses pro­pres normes à la majorité.

Van­nac­ci sur­v­ole les grands sujets de société actuels, regret­tant qu’en Ital­ie aus­si, il soit mal vu de se revendi­quer patri­ote et de met­tre en avant l’hymne nation­al et le dra­peau. Il estime que l’excuse de la légitime défense doit découler de la per­cep­tion de la per­son­ne agressée du dan­ger qu’elle encourt, et qu’elle cesse d’être jugée à la lumière du dan­ger réel posé par l’agresseur, tel qu’établi après enquête. Le général s’oppose à l’immigration de masse et se prononce en faveur d’une immi­gra­tion raisonnable s’accompagnant d’une œuvre d’assimilation. Et s’il con­sid­ère l’italianité comme étant avant tout une ques­tion d’allégeance, de langue et de cul­ture, il remar­que à pro­pos de l’athlète Pao­la Egonu, d’origine nigéri­ane, que : « […] même si Pao­la Egonu est de nation­al­ité ital­i­enne, il est clair que ses traits soma­tiques ne représen­tent pas le car­ac­tère ital­ien que l’on retrou­ve dans toutes les fresques, pein­tures et stat­ues depuis les Étrusques jusqu’à nos jours. » Une évi­dence qui lui vaut les pires accu­sa­tions de racisme, aux­quelles sem­ble donc don­ner fois le min­istre de la Défense du par­ti de Gior­gia Mel­oni. C’est un peu comme De Gaulle qui affir­mait que « la France est un pays de race blanche » pour dire que l’immigration, c’est bien, mais à con­di­tion que la France reste la France, c’est-à-dire un pays majori­taire­ment blanc et chrétien.

L’immigration en cause

Si c’est déjà sans doute trop tard pour la France, c’est aujourd’hui le dilemme que doit résoudre l’Italie alors que l’immigration illé­gale con­tin­ue d’exploser et que le gou­verne­ment actuel, pour­tant élu sur un pro­gramme anti-immi­gra­tion de masse, prévoit de faire venir des cen­taines de mil­liers de tra­vailleurs extra-européens. C’est d’ailleurs un autre fac­teur qui divise de plus en plus la coali­tion au pouvoir.

L’attitude du min­istre de FdI passe vrai­ment mal alors que, comme l’écrit Daniele Scalea sur le site du Cen­tro Machi­avel­li, « Sur de nom­breux points, les posi­tions du général cor­re­spon­dent aux points du pro­gramme de Fratel­li d’Italia, ou du moins à ce que FdI déclarait jusqu’au jour des élec­tions. »

Le Mouvement 5 étoiles défend la liberté d’expression

Or c’est aujourd’hui l’ancienne min­istre de la Défense du pre­mier gou­verne­ment Con­te (2018–19), Elis­a­bet­ta Trenta, du par­ti de gauche pro­gres­siste et immi­gra­tionniste Mou­ve­ment 5 Etoiles (M5S), qui prend aujourd’hui, dans le jour­nal de droite La Ver­itá, la défense du général Rober­to Van­nac­ci et de son droit à la lib­erté d’expression. Pour Trenta, « Van­nac­ci a touché des cordes sen­si­bles, des sujets déli­cats en phase avec les tripes du pays. » On en a fait un mar­tyr, estime l’ancienne min­istre de la Défense, et pour­tant « il a le droit d’exprimer ses idées » et « ce livre est légitime ».

Selon Trenta, les autorités chercheraient en fait aujourd’hui à punir l’officier non pas pour son livre « Le monde à l’envers », mais parce qu’il avait dénon­cé dans le passé les effets de l’exposition des mil­i­taires ital­iens à de l’uranium appau­vri en zone de guerre.

Ailleurs à gauche, on sem­ble moins attachés à la lib­erté d’expression. Ain­si, pour Elly Schein, la secré­taire générale du Par­ti démoc­rate, le prin­ci­pal par­ti de gou­verne­ment de la gauche ital­i­enne, ce livre serait une ten­ta­tive intolérable de « nier et révis­er l’histoire » et « la Con­sti­tu­tion ne met pas toutes les opin­ions sur le même plan ».

Ain­si, comme l’écrit le directeur du Cen­tro Machi­avel­li pour con­clure son arti­cle men­tion­né plus haut :

« L’affaire Van­nac­ci est un test pour la lib­erté d’expression en Ital­ie. Celle des mil­i­taires, mais pas seule­ment. La sanc­tion du général créera un précé­dent qui per­me­t­tra de sanc­tion­ner tout citoyen qui ose défi­er les lim­ites du dis­cours “autorisé”. Des lim­ites man­i­feste­ment fixées par la gauche avec la com­plic­ité de con­ser­va­teurs auto­proclamés ou crain­tifs. »

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