Mercredi 16 février 2022, un jeune homme dénommé Jeremy Cohen a été mortellement heurté par un tramway à Bobigny. Ce que les médias et la police ont un peu trop rapidement qualifié d’accident serait tombé dans l’oubli si la famille de la victime n’avait pas fait preuve d’opiniâtreté pour que toute la lumière soit apportée sur les circonstances du décès de Jeremy. Dans cette affaire, les réseaux sociaux ont par leur rôle de caisse de résonance donné à cet événement un retentissement inespéré. Mais, à quelques jours de l’élection présidentielle, cette médiatisation n’a pas été du goût de tout le monde, au point de faire oublier tous les enseignements qui auraient pu être tirés de ce qu’il faut bien qualifier un lynchage…
Un nouveau fait divers
Le 16 février, les médias qui ont relaté le décès de Jeremy Cohen étaient unanimes. Ainsi, selon Actu.fr, nous sommes en présence d’un « dramatique accident » : « un piéton a été mortellement percuté par une rame du tramway T1 à Bobigny ».
Le Parisien est tout aussi catégorique : à Bobigny, « un piéton décède après avoir été heurté par un tramway ». Comme nous l’apprend Le Figaro dans un article du 6 avril qui relate l’enchaînement des événements, « l’enquête est rapidement classée ».
L’enquête menée par la famille
Mais la famille de Jeremy Cohen, un jeune homme de 31 ans souffrant d’un léger handicap physique et mental, ne se résout pas à l’explication d’un banal accident de la circulation. Comme le père de Jeremy l’exprime sur une vidéo mise en ligne par Éric Zemmour, « il y a quelque chose qui clochait ».
Les frères de Jeremy ont à force de battage réussi à mettre la main sur une vidéo enregistrée par un touriste. Celle-ci, rapidement diffusée sur Twitter, montre assez peu distinctement Jeremy Cohen se faire violemment agresser par une bande de voyous, l’un parlant en arabe, puis s’enfuir vers un tramway qui le percute.
À partir de cet événement, les versions divergent. Pour Le Figaro le 6 avril, la transmission de la vidéo au Parquet de Bobigny amène celui-ci à ouvrir une information judiciaire le 29 mars.
Arthur de Watrigant estime pour sa part sur CNews le 5 avril qu’ «il a fallu que le père de Jeremy Cohen appelle Éric Zemmour et que le site Fdesouche et la “fachosphère” comme les appellent certains, fassent du bruit pour que cette affaire sorte, pour qu’elle ne soit pas étouffée ».
Les propos du père de Jeremy Cohen sur BFM TV le 4 avril corroborent cette version des faits :
« On s’est retrouvé dans une situation difficile, dans le vide juridique. J’ai demandé de l’aide à Éric Zemmour dans le cadre de l’enquête pour ne pas qu’elle soit étouffée. Je l’en remercie».
Il ajoute sur Zemmour TV :
« On ne s’en sortait pas et la première personne à qui on a écrit, c’est Éric Zemmour. Il nous a énormément aidés parce que c’est un homme bien qui défend courageusement les causes comme la nôtre ».
L’enquête relancée
Quelles que soient les explications de la relance de l’enquête, celle-ci permettra peut-être d’établir des responsabilités. On ne peut que s’en réjouir tant le taux d’élucidation des innombrables agressions qui ont lieu chaque jour en France est faible.
Bruno Attal souligne néanmoins sur Twitter à partir de documents qui ont fuité du Parquet que « le procureur indique dans l’affaire Jeremy Cohen que la police a reçu la vidéo des violences le 10 mars. Hors l’ouverture de l’information judiciaire n’a eu lieu que le 29 Mars soit 19 jours après??? Que s’est-il passé pendant ces 19 jours? ».
Les contre-feux ne tardent pas
Mais rapidement, l’élément central de cette affaire, un jeune homme lynché par une bande de voyous, laisse la place à l’accusation de « récupération » politique.
Sans doute piqué au vif pour ne pas avoir été sollicité par la famille de la victime, et bien que la police ait initialement rapidement classé sans suite l’affaire, le président de la république sortant donne la charge : le 4 avril, il déclare que ce drame ne doit pas donner lieu à des « manipulations politiques », nous informe CNews.
Le journal L’Opinion embraye rapidement : « l’affaire Jeremy Cohen comporte des « zones d’ombres propices à la récupération politique ».
Libération n’est évidemment pas en reste : « Éric Zemmour (est) en pleine récupération ».
Le Monde y va de sa théorie du complot : « L’extrême droite tente de faire de la mort de Jérémie Cohen un « scandale d’État ».
Télérama s’insurge contre « l’instrumentalisation politique du drame » en relatant « la chronologie des faits ».
Sur des nombreux plateaux de télévision, la tonalité est la même. Ainsi Barbara Lefebvre, que l’on avait connu mieux inspirée, estime sur RMC qu’« Éric Zemmour est dans la récupération politique ».
Des réactions sur Twitter
Sur les réseaux sociaux, les réactions à ce détournement de l’opinion publique du sujet central — le lynchage de Jeremy Cohen ‑ne se font également pas attendre.
Charlotte d’Ornellas souligne sur Twitter que « le risque, ce n’est pas la récupération, c’est de croiser cette bande de sauvages. On aimerait que ce soit extrêmement clair dans la bouche de tout le monde ».
Pierre Sautarel est encore plus critique :
« J’ai à peu près regardé tout ce qui a été diffusé à la TV sur l’affaire #JeremyCohen. 75% du temps d’antenne a été consacré à débattre pour savoir si c’était de la récupération, 24% des faits, 1% de la victime et c’est le père qui l’a fait. Bref, on a complétement déshumanisé ce drame ».
Les développements auxquels vous avez échappé
Car effectivement, dans cette affaire, la focalisation de nombreux médias sur le risque de « récupération politique » est problématique à plus d’un titre. Le père de Jeremy Cohen a sollicité Éric Zemmour pour sortir de l’oubli et du classement sans suite l’enquête sur la mort de son fils consécutive à un lynchage. Lui intenter un procès en récupération politique apparait dans ce contexte particulièrement déplacé.
Le père de Jeremy Cohen a fait appel à un homme impliqué dans la vie de la cité (« polis ») afin d’infléchir le cours des événements. A aucun moment les commentateurs patentés n’ont envisagé que l’une des fonctions de la vie politique est de rechercher des règles de vie en commun et de – tenter — de sortir les citoyens de la barbarie ordinaire. La condamnation des auteurs de l’agression de Jeremy Cohen amènera peut-être ces derniers à amender leurs comportements délinquants. Leur incarcération permettrait à tout le moins de les mettre hors d’état de nuire.
Au-delà, bien d’autres sujets auraient pu être évoqués à l’occasion de ce lynchage : les innombrables agressions quotidiennes dont les auteurs sont laissés impunis ou si faiblement condamnés. Le déménagement de nombreux juifs de leur quartier « pour des villes moins hostiles », comme le soulignait le Parisien en 2019, ce qui laisse présager une partition administrative du territoire français dans un avenir plus ou moins proche.
Mais non, tous ces sujets doivent être accessoires. Il semblait plus important pour une partie de clergé médiatique d’allumer des contre-feux à ces sujets si criants d’actualité. Pour mieux enfumer l’opinion publique à la veille du premier tour de l’élection présidentielle ?