La mise au ban des médias russes dans l’espace européen a suscité peu d’émotion de la part des défenseurs du pluralisme mais a été l’occasion de mettre en lumière le fonctionnement du groupe RT International. Une marque médiatique au service de l’influence russe, source d’inspiration pour le commissaire Josep Borrell, qui estime que l’Europe doit faire de même pour gagner la « bataille des récits ».
Le SEAE lutte « contre l’ingérence étrangère »
Pour remporter la « bataille des récits » contre la Russie, l’Union européenne a besoin de « capacités, d’outils et de personnes dévouées » : c’est ce qu’a déclaré le vice-président de la Commission européenne, l’espagnol Josep Borrell, le 23 janvier, à l’occasion d’un discours prononcé devant le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE) lors d’une conférence visant à lutter contre la désinformation, la manipulation et l’ingérence étrangère : l’Europe doit s’adresser au monde dans toutes les langues…
RT meilleur que le SEAE
Le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité Josep Borrell estime que la stratégie préconisée par Russia Today est la bonne : il faut décliner des organes de presse à destination de toutes les communautés linguistiques. Il s’agit, pour lui, de disposer « de gens qui parlent non seulement anglais mais aussi arabe, hindi, chinois et des langues parlées par des centaines de millions de gens qui ne font pas partie de notre culture linguistique traditionnelle ».
Estimant que les médias de l’UE doivent adopter les outils développés par RT, il affirme par ailleurs qu’il s’agit là d’une « question de sécurité » pour le Continent.
En prenant l’exemple de l’un de ses déplacements en Égypte, il explique avoir vu au Caire « plein de publicités pour Russia Today » et que cette chaîne s’était installée dans le monde arabe où elle était devenue une source d’informations… Et d’ajouter : « Nous devons faire la même chose : parler et utiliser le même langage ».
Voir aussi : Propagande et propagandes de guerre bis
La France le fait déjà
Les propos du Haut-commissaire sont intéressants et en matière d’influence dans le monde, la nécessité pour un grand État de disposer de canaux médiatiques est probablement nécessaire ; pourtant, la stratégie russe n’a rien de bien nouveau. La chaîne qatarie Al Jazeera émet en arabe, en français et en anglais ; en France, la chaîne France 24 émet en anglais, espagnol et en arabe touchant au-delà de l’espace continental.
Des médias made in U.E. ? Ou in US ?
Développer des médias au niveau européen qui puissent peser dans le monde chinois ou indien impliquerait par ailleurs des contraintes d’ampleur.
Si l’Europe admet la présence de médias étrangers (dans une certaine limite, comme l’éviction des médias russes l’a montré), la réciproque ne sera pas nécessairement possible. La Chine et l’Inde admettraient-elles des critiques de médias occidentaux sur leurs modes de vie, leurs mœurs ou leur mode de gouvernement ?
Par ailleurs, peut-on envisager l’existence d’une chaîne européenne pilotée par Bruxelles (et un peu Washington) à destination du monde arabe dans laquelle des journalistes tiendraient des propos en contradiction avec les pratiques et coutumes du monde musulman ?
Enfin, un autre problème est soulevé par le développement d’une ambition médiatique internationale pour promouvoir une information vue d’Europe ou décrite avec ses mots. Qui serait à l’origine d’un tel média ? Un groupe privé ou une structure payée par l’UE ? Quelle indépendance serait celle d’un tel média ?
Il serait délicat d’avoir tancé les Russes au prétexte que leurs médias étaient des outils de propagande pour proposer, avec plusieurs années de retard, un modèle analogue.