Entretiennent-ils des relations incestueuses ? Certains journalistes de France Info se sont faits récemment épinglés pour cumuler des activités de conseils avec leur emploi de journaliste. Une double activité qui soulève la question de l’influence de certains de leurs clients sur leurs prises de position à l’antenne. Retour sur un problème épineux, et pas vraiment nouveau, dont la mise en lumière ne fait que commencer…
Olivier de Lagarde : de recyclages …
Olivier de Lagarde, présent à l’antenne de France Info depuis plus de trente ans, n’est pas seulement le rédacteur en chef adjoint de la radio : président réélu de Press club de France, l’homme de 57 ans est aussi président d’une entreprise de conseils dont il est passé de gérant à président (en 2018). Créée le 16 avril 2008, La Garde Conseil, œuvrant dans le domaine des relations publiques et communication, revendique pour l’année 2020 un chiffre d’affaires de 83 700 euros, contre 155 000 en 2019, 145 000 en 2018 et 139 000 en 2017.
Est-ce au titre de son entreprise que Lagarde a présenté la capsule, à l’occasion de la 5ème conférence sur les métiers de l’immobilier à Nantes le 6 octobre dernier, avec Thierry Cotillard, président de Perifem (fédération rassemblant l’ensemble des acteurs de la distribution) ? Quoiqu’il en soit, le lendemain, le journaliste recevait dans sa chronique de l’invité éco, le même Thierry Cotillard, relayant « l’appel au secours » des entreprises face à la hausse des coûts de l’énergie. Ce « recyclage » des activités parallèles du journaliste dans sa chronique de France Info a déplu à Vincent Giret, patron de l’information, qui a tenu à rappeler que « toute animation doit “faire l’objet d’une demande auprès du responsable hiérarchique et du secrétaire général aux rédactions. La double validation est nécessaire pour obtenir l’accord de Radio France. »
…en petits services
L’affaire ne s’arrête pas là : le journaliste à la tête de Press Club de France aurait également consacré des formats courts (Ça nous marque) à différents acteurs dépendant du groupe Accor (notamment Ibis ou Novotel) alors même que le Press Club est hébergé à titre gracieux par ce groupe. De menus clins d’œil au groupe Accor, que le journaliste a aussi fait à l’égard d’entreprises adhérentes du Club. Si la branche CGT du syndicat des journalistes a déploré « une faiblesse déontologique de la direction, surtout lorsque ces pratiques sont le fait de journalistes visibles », la branche FO a rappelé que ces activités « entr[aie]nt dans les clous puisqu’il les déclar[ait] aux chefs et que ces derniers ne les interdis[ai]ent pas ».
Les connivences entre les entreprises et le journaliste restent difficiles à déterminer : qu’un journaliste puisse se servir des réseaux qu’il s’est créés dans le cadre d’une autre activité ne semble pas irrégulier tant que cela ne sert pas à faire la promotion de sa propre entreprise. En revanche, la promotion d’un groupe rendant service au Club qu’il dirige ou aux entreprises adhérentes de celui-ci entre en directe contradiction avec la Charte de déontologie de la profession (telle qu’elle a été adoptée par le Comité national en mars 2011 à l’occasion du 93e anniversaire du Syndicat National des Journalistes), qui rappelle que « l’intégrité […] l’impartialité [comptent parmi] les piliers de l’action journalistique ».
Doubles casquettes : entre passions et précarité
L’usage de doubles casquettes n’est pas exclusif à Olivier de Lagarde. Son confrère Frédéric Beniada, officiant comme lui sur l’antenne de France Info (mais aussi à France Inter) depuis plus de trente ans, cumule ses activités pour le service public avec des piges pour le Journal de l’aviation, un média faisant la promotion du secteur aérien. Une promotion vraisemblablement liée à la passion que ce pilote (à ses heures perdues) porte à ce milieu et qui lui a valu un blâme de sa hiérarchie qui voyait d’un mauvais œil la publicité faite aux grands patrons de l’aviation sur le service public. Si cette mise en lumière n’avait rien d’illégale, la contribution du journaliste à l’entreprise de communication Aloa Communication de 2006 à 2009 demeure plus contestable en termes de déontologie journalistique, ce qu’a d’ailleurs admis le principal intéressé.
Pour d’autres, ce n’est pas la passion mais bien la fragilité du statut de leur emploi qui les aurait conduits à créer leur propre entreprise : Emmanuel Langlois, Emmanuel Cugny comme Philippe Duport disposent d’une entreprise qui leur permet de compléter leurs revenus et de créer des ponts entre les acteurs des domaines qu’ils rencontrent et leurs chroniques. Des liaisons peut-être dangereuses, mais non illégales, notamment en regard de leur statut : en CDD depuis douze ans, Duport le souligne d’ailleurs assez justement : « cette fragilité professionnelle peut bien me conférer quelques libertés ! Et jusqu’à présent, les CDD n’avaient pas à rendre compte de leurs activités extérieures ». De même, Cugny de souligner : « Si j’étais intégré à Radio France, ma boîte n’aurait plus de raison d’être, mais il se trouve que je ne suis pas fonctionnaire »…
Quelques réflexions en guise de conclusion
Pas illégal mais éminemment délicat, l’emploi de doubles casquettes communication et média soulèvent deux problèmes : en premier lieu, celui de la précarité de l’emploi de journaliste. Pigistes payés au lance-pierre, contributeurs effectuant des temps-plein déguisés, chroniqueurs cumulant des dizaines d’années de CDD… : dans de telles conditions, qui ne permettent pas de prétendre à des situations stables (notamment en matière de logement), il semble peu étonnant que certains journalistes se tournent vers d’autres activités pour arrondir leurs fins de mois.
Néanmoins, l’appétence de ce milieu pour le domaine de la communication soulève un véritable problème en ce que la Charte de déontologie présentée par le Syndicat des journalistes dispose qu’un « journaliste digne de ce nom […] refuse et combat, comme contraire à son éthique professionnelle, toute confusion entre journalisme et communication ». S’il ne s’agit pas d’un texte juridiquement contraignant, cette charte de référence tend à rappeler les relations incestueuses que constituerait une trop grande proximité entre des travaux conjoints dans le journalisme et la communication. L’urgence d’éclaircir de telles relations apparaît donc désormais comme une nécessité d’ordre déontologique dont la profession ferait bien de s’emparer. Le Directeur de France Info a d’ailleurs assuré prendre l’affaire « très au sérieux » et a proposé de faire un « état des lieux » sur le sujet.