Nous avions rendu compte en son temps de l’excellent livre de Daniel Ichbiah consacré à Mark Zuckerberg, publié en 2018 aux éditions La Martinière. Une nouvelle biographie en français vient de paraître sous la signature de Julien Le Bot.
Une matrice idéologique
Zuckerberg a été surnommé par certains « Suckerberg », mauvais jeu de mots dérivé de « it sucks » que l’on pourrait traduire par ça craint. N’ayant pas peur de se promener avec un badge « I am the CEO, bitch » (je suis le patron, salope) au début de sa carrière, s’imposant parfois avec ruse ou brutalité suivant les rapports de forces, éliminant au fur et à mesure ceux qui l’avaient aidé au début, l’ami Mark n’est pas un ange.
Mais il y a une matrice idéologique derrière le visage lisse et l’apparence débonnaire du gourou éduqué à Harvard, ce que l’auteur appelle « la diagonale du flou ». Le flou entre la bonne volonté affichée – Facebook veut le « bien de la communauté », communauté entendue en tant que monde entier — et un appétit de pouvoir dévorant. Mais note l’auteur, « son monde c’est Facebook ». S’opposer à Facebook, c’est s’opposer à la communauté mondiale, c’est faire le mal, c’est se situer dans le camp du diable. Zuckerberg, daltonien ne voit que certaines couleurs, ce qui lui permet d’ignorer les nuances.
Connecter le monde (pour le dominer ?)
Le Bot souligne la soif infinie de « faire le bien en connectant le monde entier ». Car plus vous êtes connecté, plus vous êtes heureux, plus vous vivez dans un monde ouvert. Bizarrement les executive managers de la Silicon Valley mettent leur progéniture à l’abri des écrans dans des écoles payées à prix d’or. Doit-on comprendre qu’ils veulent le malheur de leurs enfants ? Ou a contrario qu’ils ont saisi que la connexion à haute dose agissait comme une drogue fabriquant le conformisme et la soumission au consentement ?
La connexion universelle tel est le rêve de Mark Zuckerberg avec un conseil mondial (« oversight board ») dont nous vous parlions en juillet 2019. Un conseil qui portera un « jugement final sur ce que devrait être un discours acceptable dans une communauté qui reflète les normes sociales et les valeurs des gens dans le monde entier ». Avec un bénéfice trimestriel entre 5 et 6 milliards de dollars, notre ami Mark a les moyens de sa politique. Le monde de la transparence absolue c’est celui de la collecte universelle de données privées, le monde de la Panoptique de Bentham devenu digitalisé. Julien Le Bot définit ce monde en un mot : « une calamité ».
Julien Le Bot, Dans la tête de Mark Zuckerberg, Solin/Actes Sud, 2019, 384p, 16€.
Voir également notre article sur le livre de Michel Desmurget, La fabrique du crétin digital, paru en 2019.