Junge Freiheit (JF) est aujourd’hui un hebdomadaire allemand d’audience nationale. Et un hebdomadaire qui commence à compter. Comme son pendant antinomique d’extrême-gauche, le Tageszeitung (TAZ), il fait partie de ce qu’on qualifie en Allemagne de « presse alternative », par opposition aux grands ténors de la presse traditionnelle.
En l’occurrence la presse alternative d’une droite libérée du « politiquement correct », d’où la revendication de « nouvelle liberté » de son titre. Le journal se qualifie de démocrate, conservateur et populiste, bien que ses détracteurs considèrent qu’il se situe dans un registre de droite conservatrice parfois à la limite de l’extrême-droite. Il se positionne en porte-à-faux par rapport aux Lügenmedien (médias mensongers), soumis aux dictats du politiquement correct. Fondé il y a trente ans, les faits semblent lui donner raison au moins sur un point : il y a une demande de changement de ton chez les lecteurs de la presse de droite. La preuve en est la croissance exponentielle de ses tirages, qui flirtent aujourd’hui avec les 30 000 exemplaires.
La Junge Freiheit (JF) est classée par les observateurs comme faisant partie de la Neue Rechte. Un terme allemand synonyme de « Nouvelle Droite », sans qu’il soit cependant possible d’établir une complète équivalence entre les idées défendues par cet hebdomadaire et celles du mouvement qui porte en France ce nom (par ailleurs contesté par ceux auquel il est attribué), la situation et les cultures des deux pays ne pouvant être directement comparées.
Des débuts difficiles
La Junge Freiheit (JF) a été fondée en 1986 par le Bavarois Dieter Stein en tant qu’organe destinée à la jeunesse du Freiheitliche Volkspartei (Parti Populaire Libéral), un parti conservateur de droite n’ayant eu qu’une éphémère existence, lui-même créé en 1985 par des dissidents du parti des Republikaner, (Républicains), de même tendance. Son premier tirage s’est élevé à 400 exemplaires.
Devenu mensuel en 1991 et progressivement libéré de ses liens partisans, le journal a évolué rapidement au cours des années 1990 : une société d’édition, la Junge Freiheit Verlag GmbH, a vu le jour en 1990 ; une université d’été fut organisée. Mais la diffusion a pu rapidement progresser grâce à une association de Junge Freiheit avec des Burschenschaften solidement implantées dans les universités allemandes, notamment la bavaroise et très droitiste Burschenschaft Danubia München. Les Burschenschaften sont des institutions estudiantines allemandes nées au cours de l’occupation française (1805 – 1813). Elles ont abordé dès le début un double visage : celui du patriotisme voire du nationalisme inspiré des idées de Fichte faisant écho au nationalisme français tout en en prenant le contrepied ; et paradoxalement les idées libérales apportées en Allemagne (mais non pratiquées) par la révolution française. Le fait que ces dernières aient pu évoluer vers un nationalisme dur sous l’empire wilhelminien, avec les rites de passage qui ont fondé leur légende (duels initiatiques, etc.) ne doit pas occulter cette double filiation du patriotisme, d’une part, et du désir d’indépendance et de liberté pour la nation allemande de l’autre, qui est largement de retour aujourd’hui.
Junge Freiheit a pu bénéficier dès le départ du soutien de politiciens issus de la CDU (Chrétiens-Démocrates) et de la CSU (Chrétiens-Sociaux bavarois). En 1993, la société d’édition a été transformée en société en commandite afin de permettre à ses lecteurs de la financer à titre de commanditaires, procurant ainsi des capitaux supplémentaires destinés à permettre le passage à une parution hebdomadaire.
Mais la vie n’est pas un long fleuve tranquille : le succès grandissant de Junge Freiheit fit du journal la cible d’une vaste offensive d’opposants au cours des années 1990. Le 4 décembre 1994, un « groupe révolutionnaire de lesbiennes et d’autres groupements révolutionnaires » mirent le feu à l’imprimerie de Junge Freiheit à Weimar, occasionnant un sinistre de plus d’un million de marks (500 k€). D’autres attentats et manifestations violentes eurent lieu à Potsdam. Des milliers d’adresses de lecteurs furent volées après une effraction. Une bombe fut ensuite placée dans la boîte aux lettres d’un abonné en Allemagne du Nord. Les câbles électriques alimentant le siège de la rédaction furent coupés en 1995. La voiture d’un rédacteur fut également incendiée.
Ces incidents profitèrent cependant au journal. Ils démontraient que l’intolérance, le rejet de la démocratie et de la liberté d’expression se trouvaient bien dans l’autre camp, si bien que plusieurs personnalités politiques de droite et de gauche, dont Daniel Cohn-Bendit (Verts) et Peter Gauweiler (CSU), défendirent son droit à l’existence. La Deutsche Post (poste allemande), qui avait fermé les comptes de Junge Freiheit en 2000, dut faire marche arrière devant la réprobation de l’opinion publique, à laquelle le journal avait fait appel au nom de la liberté d’expression.
La rédaction déménagea en octobre 1995 de Potsdam pour le centre Mosse à Berlin, un lieu emblématique qui héberge plusieurs journaux. En août 1994, Dieter Stein décida par ailleurs de licencier le rédacteur en chef de l’époque, Andreas Molau, qui avait laissé le suisse Armin Mohler publier un article controversé sur la seconde guerre mondiale. En juin 1986, la rédaction allemande mit fin à sa collaboration avec ses cercles de lecteurs pour remplacer ces derniers par le cercle promotionnel Freunde der Jungen Freiheit (Les amis de la Junge Freiheit). Le journal se finance désormais par ses abonnements, ses ventes au numéro, ses annonces et des dons. Un site Internet fut créé en 1996.
En 2000, Götz Kubitschek et Karlheinz Weißmann, des contributeurs réguliers de Junge Freiheit, fondèrent parallèlement l’Institut für Staatspolitik (Institut de politique étatique, IfS), un organisme chargé d’organiser des colloques, des congrès et des formations politiques. L’IfS a étroitement collaboré avec le journal jusqu’en 2009, date à laquelle un divorce eut lieu à la suite de divergences politiques relatives à la notion de Neue Rechte. L’IfS collaborait en effet aussi avec le NPD (parti politique d’extrême-droite au sens allemand du terme, en l’occurrence isolationniste, ségrégationniste et centralisateur/jacobin – donc opposé à la séparation verticale des pouvoirs et par conséquent à un des piliers de la démocratie – en proie à une procédure d’interdiction pour incompatibilité avec la constitution, Verfassungswidrigkeit) et avec l’Identitäre Bewegung (mouvement identitaire). Junge Freiheit souhaitait en effet se démarquer de l’appellation de Neue Rechte.
Junge Freiheit a également tenté, à partir d’octobre 1995, de s’implanter en Autriche par le biais d’une édition hebdomadaire spécifique dénommée Zur Zeit (Actuellement), dirigée par Andreas Mölzer, un membre du FPÖ (Parti de la liberté d’Autriche). Mais comme celui-ci collaborait également avec le NPD, la rédaction allemande a décidé en septembre 2007 de mettre un terme à cette coopération.
Depuis 2004, Junge Freiheit attribue le prix journalistique Gerhard-Löwenthal, en collaboration avec Ingeborg Löwenthal (veuve du journaliste juif allemand Gerhard Löwenthal), depuis 2007 en coopération avec la Förderstiftung Konservative Bildung und Forschung (Fondation de promotion de la formation et de la recherche conservatrice) créée par le Bavarois Caspar Freiherr von Schrenck-Notzing (Caspar, seigneur de Schrenck-Notzing – un écrivain et éditeur hostile aux idées de 1968 depuis les années 1970, considéré par ailleurs comme le père de la Nouvelle Droite allemande).
Le fond rédactionnel
Junge Freiheit se qualifie de résistant. Le journal se considère comme « un des derniers journaux nationaux indépendant de sociétés d’édition en Allemagne ». Il revendique la « liberté économique, politique et publicitaire » en se positionnant clairement comme rejetant le « politiquement correct ». Le journal veut « contribuer à élargir la diversité et la vitalité de la formation des opinions en démocratie », « faire honneur à la grande tradition culturelle et spirituelle et de la nation allemande » et ainsi « favoriser l’émancipation politique de l’Allemagne et de l’Europe, ainsi que préserver l’identité et la liberté des peuples du monde ».
Les protagonistes du journal sont divisés sur le qualificatif de Neue Rechte. Son fondateur et rédacteur en chef Dieter Stein rejetait le terme de Neue Rechte dès 1989 avant de qualifier ce dernier de « fantasme inadéquat » et de « qualificatif venu de l’extérieur » en 2005, alors que plusieurs contributeurs du journal adoptaient volontiers cette appellation. Si l’on voulait établir une comparaison avec ce qu’on appelle « Nouvelle Droite » en France, il faudrait considérer les grandes lignes précédemment évoquées, en notant cependant que Junge Freiheit, à l’instar de tous les mouvements « populistes » d’Europe du Nord (Autriche, Suisse, Allemagne, Pays-Bas et pays scandinaves), n’est pas fondamentalement anticapitaliste et antilibéral, et éprouve une plus grande sympathie pour la cause israélienne que pour la cause palestinienne.
Certains spécialistes en sciences politiques, comme Stefan von Hoyningen-Huene, Wolfgang Gessenharter et Helmut Fröchling, situent cependant Junge Freiheit dans la « nouvelle droite » au vu des revendications programmatiques du journal en 1995 : défense de la démocratie et de la liberté d’expression ; hostilité au « politiquement correct » et aux idées de 1968 ; restauration de la totale indépendance nationale de l’Allemagne et de l’Europe perdue en 1945 ; conservatisme en termes de défense de la famille et de l’identité européenne. Le rejet de la modernité pour la modernité a incité la Junge Freiheit à rejeter les réformes de l’orthographe allemande de 1996, 2004, 2006 et 2011.
Le journal a été catalogué « d’extrême-droite » par le rapport de la Verfassungsschutz (protection de la Constitution) de Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Il a lancé une procédure judiciaire pour contester cette étiquette et faire cesser toute surveillance par les organes policiers dédiés. Un jugement du tribunal constitutionnel fédéral du 28 juin 2005 lui a donné raison. Le journal n’a en effet jamais rejeté les institutions démocratiques en tant que telles, condition fondamentale à un tel classement. Le rédacteur en chef du magazine Focus Helmut Markwort, l’écrivain israélien Ephraïm Kishon et le sociologue allemand Erwin Scheuch ont rejeté toute étiquette d’extrême droite appliquée à ce journal.
En terme de contenu, Junge Freiheit couvre l’éventail habituel des sujets traités par un hebdomadaire politique et culturel. La page de garde reprend un éditorial commentant des événements récents du point de vue d’un auteur. Elle est suivie des rubriques Opinion, Entretien, Politique, Économie et environnement, Contexte, Culture, Littérature, Histoire et sciences, Forum, Courrier des lecteurs, Esprit du temps et médias.
Les archives en ligne contiennent l’ensemble des articles publiés depuis avril 1997.
Chaque numéro du journal tend à balayer tous les aspects d’un sujet donné en adoptant la forme suivante : la page « Entretien » contient à chaque fois une interview avec une personnalité connue. Le thème abordé dans le cadre de cet entretien est alors décliné dans les autres rubriques, ce qui donne une remarquable cohérence à l’ensemble et permet d’aborder toutes les facettes d’un même sujet. Les commentaires ont un grand poids. Les événements majeurs (par exemple la commémoration du 50ème anniversaire de la défaite le 8 mai 2005, ou encore celle de l’attentat contre Hitler du 20 juillet 1944) sont l’occasion de publier des numéros spéciaux. La maison d’édition publie également les articles et les interviews des éditions spéciales sous la forme de livres.
Le succès de Junge Freiheit est indéniable. Son tirage, qui est passé de 400 en 1986 à 30 000 exemplaires aujourd’hui, connaît une croissance exponentielle. Ce phénomène est emblématique d’un changement de paradigme, en Allemagne comme dans toute l’Europe.