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La liberté d’expression menacée, mais moins en Pologne qu’ailleurs – Entretien avec le président de l’association des journalistes polonais (SDP)

21 mars 2019

Temps de lecture : 7 minutes
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La liberté d’expression menacée, mais moins en Pologne qu’ailleurs – Entretien avec le président de l’association des journalistes polonais (SDP)

Temps de lecture : 7 minutes

Entretien avec le journaliste polonais Krzysztof Skowroński, président de l’association des journalistes polonais (SDP) et également ancien directeur de la radio publique Trójka, fondateur et rédacteur en chef de Radio Wnet.

Cet entre­tien s’est déroulé dans les locaux de Radio Wnet peu après le col­loque sur la lib­erté d’expression qui s’était tenu à Varso­vie les 27 et 28 févri­er 2019 avec la par­tic­i­pa­tion de jour­nal­istes de dif­férents pays, dont deux Français : l’ancien cor­re­spon­dant de presse Bernard Mar­gueritte et le fon­da­teur de l’Observatoire du jour­nal­isme Claude Chol­let, qui avait été invité à mod­ér­er une ses­sion sur les tabous dans les médias.

La semaine dernière, vous avez avec la SDP accueil­li à Varso­vie un col­loque rassem­blant des jour­nal­istes de Pologne et d’ailleurs. Il y avait surtout des jour­nal­istes d’Europe cen­trale et ori­en­tale, mais aus­si au moins un Améri­cain, deux Français, une Libanaise, le secré­taire général de la Fédéra­tion européenne des jour­nal­istes (FEJ) et d’autres encore.
Le thème du col­loque était « La lib­erté d’expression, je l’aime et je la com­prends ». Il a été ques­tion du poli­tique­ment cor­rect, des sujets tabous, de la lutte con­tre les « dis­cours de haine », de la dés­in­for­ma­tion, de la destruc­tion du lan­gage, etc. Tout cela dans le con­texte de la lib­erté d’expression. Quel était le but d’un tel colloque ?

C’était notre troisième col­loque inter­na­tion­al. Nous avons com­mencé à organ­is­er ce type de con­férences quand des ONG divers­es se sont mis­es récem­ment à pro­duire des rap­ports affir­mant que la lib­erté d’expression serait men­acée en Pologne. Avec notre dernier col­loque, nous affir­mons que non seule­ment la lib­erté d’expression n’est pas men­acée en Pologne mais qu’au con­traire elle fleu­rit par rap­port à d’autres pays. Nous avons en effet chez nous un courant poli­tique­ment cor­rect et un autre courant poli­tique­ment incor­rect, et ce deux­ième courant a lui aus­si accès aux médias Main­stream et donc au grand public.

Par ailleurs nous avons voulu avec ce col­loque met­tre en lumière une autre manière de voir la lib­erté d’expression. Cette autre manière c’est celle qui transparaît dans la récente tri­bune où le prési­dent français Emmanuel Macron appelle à une renais­sance de l’Europe, et c’est une approche que nous con­sid­érons comme dan­gereuse pour la lib­erté d’expression. On voudrait créer un sys­tème de con­trôle admin­is­tratif des flux d’informations et inter­dire ce qui dans ces infor­ma­tions est poli­tique­ment incor­rect en y accolant l’étiquette de « dis­cours de haine » ou de fake news.

Des choses qui me parais­sent à moi évi­dentes, comme le fait de dire qu’il faut pro­téger la vie des enfants à par­tir de la con­cep­tion ou bien l’idée que je me fais d’une société tolérante, pour­raient ain­si être qual­i­fiées de « dis­cours de haine » et cela, c’est une atteinte à la lib­erté d’expression. De la même manière, on va qual­i­fi­er de « dis­cours de haine » ce que le prési­dent Macron appelle « pop­ulisme » ou « nationalisme ».

Je ne suis pas d’accord avec une telle régu­la­tion du débat européen. Si quelqu’un voit de graves défauts dans le fonc­tion­nement de l’Union européenne et ne peut pas en par­ler parce que c’est « pop­uliste », alors c’est la fin du débat européen.

Au cours de notre col­loque, nous avons donc voulu mon­tr­er une autre manière de défendre la lib­erté d’expression sans y accol­er, pour repren­dre les mots du rédac­teur en chef de l’hebdomadaire Do Rzeczy, d’adjectif restric­tif. Nous ne voulons pas d’une lib­erté d’expression social­iste ni d’une lib­erté d’expression poli­tique­ment cor­recte. Nous voulons la lib­erté d’expression, tout sim­ple­ment. Cette lib­erté, les médias doivent pou­voir en jouir indépen­dam­ment des con­séquences par­fois dif­fi­ciles que cela peut avoir.

Après les élec­tions de 2015 en Pologne qui ont vu l’arrivée du PiS au pou­voir, peut-on dire que l’accès aux grands médias du courant poli­tique­ment incor­rect s’est amélioré ? Et, si c’est le cas, cela sig­ni­fie-t-il que ce même accès s’est détéri­oré pour le courant poli­tique­ment correct ?

En fait, le courant poli­tique­ment cor­rect, qui est le courant dom­i­nant en Europe, cher­chait en Pologne aus­si à monop­o­lis­er le flux d’information. Il y est presque arrivé. Jusqu’en 2015, les grands médias, publics et privés, par­laient qua­si­ment d’une seule voix. Après 2015, les médias publics se sont mis à présen­ter de manière com­plète­ment dif­férente ce qui se passe en Pologne et dans le monde. En ce sens, le courant poli­tique­ment cor­rect est per­dant car il a per­du son mono­pole sur l’information. En revanche, il a con­servé son accès au grand pub­lic. Il a pour lui les grandes télévi­sions privées, les plus gros sites Inter­net et les plus gros jour­naux. Sim­ple­ment, la sit­u­a­tion est plus équili­brée aujourd’hui, même si elle n’est pas idéale. Dans l’idéal, les médias publics devraient jouer un rôle un peu dif­férent. Une évo­lu­tion des médias polon­ais reste nécessaire.

Le min­istre de la Cul­ture Piotr Glińs­ki a évo­qué dans son dis­cours d’ouverture de votre col­loque le « mod­èle français » en matière de décon­cen­tra­tion des médias. Pour­tant, en France, le courant poli­tique­ment incor­rect n’a qua­si­ment accès qu’aux médias sur inter­net. Claude Chol­let a juste­ment évo­qué les sujets tabous dont on ne peut pas par­ler nor­male­ment dans les grands médias français. Le gou­verne­ment polon­ais veut-il vrai­ment faire évoluer les choses dans ce sens ?

Ce qui se passe en France est le fruit d’une évo­lu­tion poli­tique. Le min­istre par­lait du fait qu’en Pologne la pro­priété des médias n’est pas régulée. Il se trou­ve que chez nous un des deux grands groupes de télévi­sion privée, TVN, de même que les plus grandes sta­tions de radio, les jour­naux régionaux, et d’autres médias impor­tants ont été rachetés par le cap­i­tal étranger et ce cap­i­tal étranger a une car­ac­téris­tique : il ne cherche pas à appro­fondir le débat entre Polon­ais et, s’il prend part à des polémiques, il le fait en défen­dant plus sou­vent ses intérêts que le point de vue polon­ais. C’est très net, par exem­ple, quand il est ques­tion des rela­tions entre la Pologne et l’Allemagne. Le min­istre Glińs­ki voudrait chang­er cela mais pour le moment les ten­ta­tives ont échoué. C’est com­pliqué de réformer notre marché que l’on peut qual­i­fi­er de post-com­mu­niste, car main­tenant nous avons le droit européen.

Pen­dant ce temps, le groupe Ago­ra, soutenu par des cap­i­taux de George Soros, rachète de nou­velles sta­tions de radio en Pologne…

Ici nous avons affaire à la gauche mod­erne plutôt que post-com­mu­niste. Ce groupe Ago­ra domine claire­ment à Varso­vie puisqu’il a 8 fréquences FM, ce qui fausse le développe­ment du marché.

Pen­dant le col­loque organ­isé par la SDP, plusieurs par­tic­i­pants ont com­paré ce qui se passe en ce moment en Europe occi­den­tale à ce que fai­saient les com­mu­nistes avec les médias des pays de l’Est. Avons-nous une inver­sion de la sit­u­a­tion aujourd’hui : la lib­erté d’expression est à l’est tan­dis que les tabous, la novlangue et les men­songes dans les médias sont à l’ouest ?

Non, ce n’est pas la même sit­u­a­tion et, durant notre col­loque, aucun inter­venant n’a mis sur le même plan le total­i­tarisme com­mu­niste et ce que l’on observe aujourd’hui en Europe occi­den­tale. Ce que nous avons dit était plutôt un aver­tisse­ment : nous percevons une évo­lu­tion vers un sys­tème ressem­blant au sys­tème de con­trôle des médias de l’époque com­mu­niste. Une autorité cen­trale de lutte con­tre les « dis­cours de haine », telle que voulue par le prési­dent Macron, ressem­blerait à l’Office de la cen­sure que nous avions en Pologne. La sit­u­a­tion n’est pas la même, les mesures mis­es en place dif­fèrent elles aus­si de ce que nous avions, mais nous assis­tons mal­gré tout à une évo­lu­tion dan­gereuse. Nous voulions par­ler de ce dan­ger, car en Pologne nous savons d’expérience com­ment cela peut finir.

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