« Au prétexte de n’offenser personne, ils contraignent tout le monde », la citation qui figure sur la jaquette du livre résume bien ce recueil de six essais du philosophe et essayiste. Courte visite guidée.
La Nouvelle Inquisition
Comme un mal chasse l’autre, une classe chasse l’autre, les intellectuels engagés ont été remplacés par les journalistes policiers. De diffamation douce en dénonciation vertueuse, de délation satisfaite en chasse aux sorcières en batterie, la nouvelle inquisition dresse la liste des suspects. Alors que l’Index catholique romain qui indiquait les ouvrages « déconseillés » a été supprimé en 1966, il s’est transporté dans les salles de rédaction où la pratique d’exclusion tient lieu de déontologie.
Facteurs nouveaux
La censure a toujours existé, mais elle prend des formes nouvelles. Dans les années 70 on parlait de terrorisme intellectuel, dans les années 80 de police de la pensée puis de pensée unique dans les années 2000, en 2020 on parle d’envie du pénal.
A nouvelle censure, nouveaux habits. Tout d’abord, la nouvelle censure est pleine de bonne conscience (contrairement au temps du communisme), elle veut appartenir au Camp du Bien et déteste être mise à nu pour ce qu’elle est : la bonne vieille Anastasie et ses ciseaux castrateurs. Ensuite elle veut normaliser la société entière au nom d’une hyper morale. Elle s’inspire du puritanisme américain infiniment revisité ; puritanisme, narcissisme du ressentiment, victimes vindicatives. Enfin, la censure des pouvoirs publics a été remplacée par celle des médias eux-mêmes et des GAFAM.
Chasse aux confrères
Les codes de langage sont étroitement surveillés, les « dérapages » sémantiques sont soigneusement contrôlés (mais pas au sens automobile du terme), la dimension religieuse se double d’une dimension prophylactique. Les douaniers de la pensée veulent la condamnation des actes mais aussi et surtout des opinions. La reductio ad hitlerum dénoncée par Leo Strauss devient une figure de rhétorique imposée et un alibi pratique du Système.
Au moment où le contrôle social est exercé à domicile via la télévision, celle-ci procède à l’annulation du sens (Baudrillard), le virtuel remplace le réel, l’éducation du public remplace l’information. Le tout produit un arasement généralisé des identités collectives, des autonomies locales, des spécificités culturelles, souligne l’auteur. On pourrait ajouter un arasement et un épuisement de la pensée. Un essai roboratif, dont certaines parties semblent (hélas) prophétiques, à lire et relire.
Alain de Benoist, La chape de plomb, Une déconstruction des nouvelles censures, éd. La Nouvelle Librairie, 2020, 236 p, 14,90 €