Le 15 septembre 2021, lors de son discours sur l’état de l’Union, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen évoquait la perspective de l’adoption d’un cadre juridique européen en matière de liberté de la presse et des médias. Ce projet devrait voir le jour au plus tard au printemps ou à l’automne 2022.
« Défendre celles et ceux qui nous éclairent »
Dans ce discours du 15 septembre 2021, la présidente de l’exécutif européen a déclaré :
« L’information est un bien public. Nous devons défendre celles et ceux qui nous éclairent : les femmes et les hommes journalistes. C’est pourquoi nous avons présenté aujourd’hui une recommandation pour une meilleure protection des journalistes. Et nous devons stopper tous ceux qui menacent la liberté des médias. Les médias ne sont pas des entreprises comme les autres.
Leur indépendance est essentielle. Voilà pourquoi l’Europe a besoin d’une loi qui garantisse cette indépendance. L’année prochaine, nous présenterons précisément une telle loi sur la liberté des médias. Parce que, quand nous défendons la liberté de nos médias, c’est aussi notre démocratie que nous défendons. »
Une base juridique discutable
En plaidant pour un Media Freedom Act au niveau européen en avril 2021, Thierry Breton, Commissaire européen au Marché intérieur, a reconnu que les compétences de l’Union européenne étaient limitées dans ce domaine, mais qu’une telle législation était devenue essentielle.
L’annonce d’un Media Freedom Act en avril 2021 repose en réalité sur l’adoption par la Commission européenne, le 3 décembre 2020, dans le cadre de la « décennie numérique », d’un plan « visant à soutenir la relance et la transformation des secteurs des médias et de l’audiovisuel de l’UE ».
À ce jour, ce projet est encore dans une phase de « consultation publique » lancée par la Commission européenne et prenant fin le 21 mars 2022. L’exécutif bruxellois invite les citoyens européens à donner leur avis sur une proposition de règlement résumée ainsi :
« L’évolution récente observée dans les pays de l’UE en ce qui concerne la propriété, la gestion ou le fonctionnement de certains médias témoigne d’une ingérence croissante dans le secteur des médias.
Cette initiative vise à garantir un meilleur fonctionnement du marché des médias de l’UE en améliorant la sécurité juridique et en éliminant les obstacles au marché intérieur.
Les règles établiront un mécanisme visant à renforcer la transparence, l’indépendance et l’obligation de rendre compte pour les actions ayant une incidence sur les marchés des médias, la liberté et le pluralisme au sein de l’UE. »
Au-delà du contenu flou des fameuses « valeurs de l’UE » et de la disposition de la charte des droit fondamentaux de l’UE concernant le respect de « la liberté des médias et de leur pluralisme », seule une série d’articles du Traité sur le fonctionnement de l’UE permet de donner une base juridique à cette initiative de nouvelle « loi européenne sur les médias ». Ces articles concernent la libre circulation des marchandises, la libre circulation des personnes, des services et des capitaux, la politique de concurrence, l’harmonisation et le rapprochement technologiques, l’éducation, la formation professionnelle, la culture, l’industrie et la politique commerciale commune.
Il s’agirait donc a priori d’un projet s’appuyant sur les libertés — essentiellement économiques — garanties au sein du marché unique. Les produits médiatiques et les acteurs du marché des médias ont toujours fait l’objet de vifs débats en raison de la difficulté à les qualifier juridiquement de manière rigoureuse. Dans un monde en pleine numérisation, il n’est pas anormal que la Commission européenne se penche sur cette question en tentant d’englober les médias dans les dispositions relatives au fonctionnement du marché unique.
Mais est-il seulement question d’un débat technique et juridique ? Le juridisme bruxellois est bien souvent l’occasion de faire passer par la petite porte des projets hautement politiques. En l’occurrence, les visées politiques et idéologiques de ce projet de nouvelle « loi européenne sur les médias » sont à peine dissimulées.
« Éducation aux médias »
En 2008, l’Union européenne avait déjà franchi une étape importante en matière d’action dans le domaine des médias. Suite au rapport d’initiative sur la compétence adoptée par la Commission CULT en novembre 2008, une résolution avait été votée en séance plénière le 16 décembre 2008 pour souligner le rôle déterminant de l’éducation aux médias dans « l’éducation politique et de la participation active des citoyens européens ».
Peut-on éduquer aux médias sans véhiculer de contenus orientés politiquement et idéologiquement ? Selon les élites bruxelloises, cette question n’a sans doute pas lieu d’être. Pourtant, les récentes évolutions prises en matière de fact-checking et de « lutte contre les fausses informations et la désinformation » montrent le vrai visage de la définition qu’entend donner la Commission européenne à l’« éducation aux médias ». La création d’un Observatoire européen des médias numériques en 2020, destiné à « éduquer à la consommation en conscience des contenus médiatiques », est là pour le confirmer.
Cette tendance à l’« éducation aux médias » devrait donc se retrouver dans la nouvelle « loi européenne sur les médias » et ainsi ouvrir la porte à encore plus de biais politiques et idéologiques dans le rapport qu’entretiennent les institutions européennes à la question de liberté de la presse et des médias.
« Fonds permanent de l’Union pour les médias d’information »
Toujours suite à l’adoption d’un rapport par la Commission CULT en septembre 2021, une résolution a été votée le 20 octobre 2021 pour demander la « création d’un fonds permanent de l’Union pour les médias d’information afin de préserver l’indépendance du journalisme européen. » Les députés ayant soutenu soutenus cette résolution votée en séance plénière « mettent en garde contre le fait que concentration de la propriété des médias et leur captation par l’État menacent la diversité des médias, et insistent sur l’urgence de réagir à ‘l’effet perturbateur considérable’ des plateformes en ligne mondiales. »
Les institutions européennes seraient-elles donc prêtes à prendre à bras le corps le problème de la concentration du secteur des médias en France et l’influence démesurée prise par les GAFAM ? À la lecture de cette résolution, on pourrait le penser. Mais l’UE juge évidemment plus problématiques les cas de la Pologne et de la Hongrie, où, selon elle, la liberté des médias se seraient considérablement dégradée au cours des dernières années. D’ailleurs, les défenseurs de ce Media Freedom Act ne font pas grand secret de leur orientation politique.
Věra Jourová, Margrethe Vestager, l’AFP, Reuters, etc. Le décor est planté !
Margrethe Vestager, vice-présidente exécutive pour une Europe adaptée à l’ère du numérique, et Věra Jourová, vice-présidente chargée des valeurs et de la transparence, n’ont jamais été tendres avec la Pologne et la Hongrie. Les liens de Věra Jourová avec la galaxie Soros et ses contacts avec l’opposition hongroise et les médias « indépendants » budapestois sont avérés.
Jourová est en première ligne dans ce projet de nouvelle « loi européenne sur les médias » aux côtés de Thierry Breton et de Margrethe Vestager. Elle a bien sûr participé à la conférence de l’European News Media Forum à Bruxelles le 29 novembre 2021, où elle a tenu un discours prenant la défense du média d’opposition hongrois Telex devant un parterre composé de la crème du journalisme européen et des représentants de médias n’ayant pas véritablement de leçons à donner en matière de concentration des médias : TF1, Gazeta Wyborcza, AFP, Reuters, ARD, etc.
C’est au cours de cette réunion à Bruxelles que le Commissaire Thierry Breton a fait la promotion de l’European Media Freedom Act, montrant ainsi que ce projet était surtout destiné à régler le problème posé par les médias n’acceptant pas de respecter les lignes éditoriales admises à Bruxelles. Les prérogatives que s’accorderont les institutions européennes dans le cadre de ce Media Freedom Act à venir seront donc à surveiller de près.
Voir aussi : De la propagande dans l’Éducation nationale