La Croix hebdo, le numéro de fin de semaine (21 mai 2021) du journal de centre gauche, nous a gratifié d’un titre racoleur pour son opus de Pentecôte : « Terrorisme d’ultra droite — une autre menace ». Le tout illustré d’une belle croix celtique. Une « une » à la Libé à laquelle La Croix ne nous avait pas habitués… Mais à y regarder de plus près, on regrette presque les pages de Libération.
Photos hors-sujet, papy fait de la résistance et Valeurs actuelles
L’introduction du propos donne le ton : six attentats d’ultra-droite déjoués depuis 2017, c’est-à-dire zéro mort, zéro blessé… Pas grave : c’est tout de même parti pour dix pages sur cette fameuse ultra-droite terroriste.
Les références lexicales laissent peu de place à l’imagination sur les convictions des auteurs : la formule « mieux la combattre » est issue en droite ligne du site “antifasciste” La Horde. La deuxième photo d’illustration du dossier fait aussi dans le racolage, avec un cimetière juif profané qui soulève un nouveau problème. En effet, si les profanations de cimetières sont des actes abjects, difficile de les assimiler à du terrorisme… Ajoutons à cela que cette profanation, qui a eu lieu en Alsace, n’a pas été authentifiée comme étant l’œuvre d’individus émanant de « l’ultra droite ». Enfin, il sera question d’opposition à l’islam pendant tout le dossier ; cette photo d’un cimetière juif est donc complètement hors sujet.
Le papier s’ouvre avec le témoignage d’un homme de 72 ans, fiché S qui a visiblement peu de sympathie pour l’islam (on notera la contradiction avec l’illustration). À la tête d’un énigmatique groupe AFO « Action des Forces Opérationnelles », il dit se tenir prêt à intervenir en cas d’insurrection. Là encore, nous ne sommes pas dans ce qu’il conviendrait d’appeler le terrorisme, mais plutôt dans les pieds nickelés.
Est ensuite fait mention de la tribune de généraux dans l’hebdomadaire Valeurs actuelles qui met en garde contre ce que ses signataires tiennent comme un risque de guerre civile… Et les journalistes de La Croix d’enchaîner : « d’autres vont plus loin encore », évoquant le cas de tags sur un centre islamique à Rennes ou encore celui de ce jeune homme mis en examen au Mans, qui aurait voulu s’en prendre à des mosquées. Les raccourcis sont très légers, l’amalgame flagrant.
Qu’est-ce que l’ultra-droite, qu’est-ce que le terrorisme ?
Le problème que doit soulever un tel sujet est avant tout celui du vocabulaire. Qu’est-ce que l’ultra droite ? Concernant les droites et les gauches radicales, on a longtemps eu tendance à dire « ultra » pour les mouvances qui frayaient avec les actions de type terroriste (brigade rouge, OAS).
Le dossier ne définit pas cette notion politique ni même celle de terrorisme qui ne fait d’ailleurs pas l’objet d’une définition juridique et mérite donc d’être décrite pour un tel travail.
Une mise au point de l’état des violences politiques en France aurait d’ailleurs pu être intéressante et marquer des distinctions claires entre ce qui relève du droit commun (bagarre de rue, agression) et ce qui pourrait être assimilé à du terrorisme (assassinat ciblé, dépôt de bombe). Les violences politiques sont inhérentes aux mouvances radicales de droite comme de gauche. Il apparaît aujourd’hui inexact d’assimiler des organisations nationalistes ou identitaires, des structures trotskistes ou antifascistes à des organisations terroristes en France. Les auteurs de l’article ne s’embarrassent pas de ces détails.
Un marronnier de printemps
À la manière des numéros du Point ou de L’Express qui aguichent le chaland en affirmant vous dire « tout sur la franc maçonnerie » ou sur « ceux qui ruinent la France », ce dossier ne nous apprend rien ou presque. On reprend l’idée d’un péril émanant des corps constitués avec l’armée et la police. L’occasion de rappeler l’épisode des militaires s’étant récemment illustrés avec des visuels du troisième Reich, la fameuse tribune des militaires mécontents et d’évoquer la présence d’anciens policiers dans les rangs des groupes obscurs visés : les barjols, l’AFO et quelques groupuscules au goût pour le folklore germanique prononcé et manifestement plus proches d’une ambiance éthylique que révolutionnaire.
Faire l’amalgame entre l’État islamique et un quarteron de papis vaguement hostiles à l’islam et particulièrement agressifs sur les réseaux sociaux, des militaires screugneugneu qui n’ont pas envie d’une guerre civile et quelques mouvances rompues au coup de com’ et parfois au coup de poing, relève de la simple mauvaise foi.
Il y a pourtant un sujet à traiter
Thimothy Mc Veigh, États-Unis, 1995 : 168 victimes ; Anders Breivik en Norvège en 2011 : 77 morts, Brenton Tarrant en Nouvelle Zélande en 2019 : 51 morts. La liste n’est pas exhaustive mais elle témoigne de l’existence d’une forme de terrorisme d’ultra droite. Les cas énumérés concernent d’ailleurs des tueries de masse et ont pour point commun un nationalisme de type anglo-saxon.
Motivés par la peur du déclassement des leurs par l’immigration de masse et convaincus d’une prédestination ethnique de l’homme blanc souvent alimentée par une culture WASP (White Anglo-Saxon Protestant), les suprémacistes anglo-saxons se situent très loin des sensibilités « droitières » que l’on retrouve dans le paysage politique et groupusculaire français.
Ainsi, l’Action française (citée dans le papier) est une chapelle politique de type monarchiste qui se désintéresse des questions ethniques quand une organisation aujourd’hui dissoute comme le Bastion Social, est issue du nationalisme révolutionnaire, idéologie nationaliste dont les tenants sont sur une ligne pro-arabe contre l’État d’Israël, ce que l’on ne retrouve absolument pas dans le nationalisme blanc à la sauce américaine, obnubilé par des questions cutanées.
Objet de digressions dans l’article, le mouvement « Génération Identitaire », a été dissout en mars 2021 ; il est difficile de voir dans ce mouvement, qui a fait des coups de communication sa marque de fabrique, une organisation terroriste ou quasi-terroriste.
La présence de photos à haut coefficient anxiogène d’un obscur groupe « Vengeance Patriote » contribue au sensationnel mais n’apporte rien au « fond » du propos. Cette « organisation » connaîtra en effet une existence éphémère (un an) et sera tellement peu prise au sérieux que son compte sur le réseau social Twitter ne sera jamais supprimé, les barjos sont de retour.
En s’intéressant à ce qu’est le suprémacisme, aux ressorts du nationalisme blanc anglo-saxon basé notamment sur l’obsession de la pureté raciale, les auteurs auraient pu proposer un papier moins sensationnel mais plus proche de la réalité. L’effet Trump et la mondialisation ont largement affecté certaines mouvances dites de droite en France (soutien exacerbé à l’État d’Israël, récurrence du « choc des civilisations », regain d’intérêt pour les questions biologiques) et une forme d’américanisation d’une partie des droites radicales française aurait pu être étudiée.
Seule éclaircie dans la confusion de l’article la déclaration d’un juge antiterroriste sur « la vraie menace » qui est selon lui celle d’un « type isolé ». Et pour cause : les structures en présence en France, même si certaines n’hésitent pas à en venir aux mains, ne s’inscrivent pas dans des logiques de meurtres de masse mais de bagarres, de règlements de compte individuels
Des auteurs ignares
Si des personnalités en France comme Jean-Yves Camus ont une vraie expérience par des études sérieuses des mouvances droitières, les deux auteurs du dossier n’ont aucune connaissance sur le sujet. Qui sont ces deux journalistes à l’origine du dossier ?
La première, Marianne Meunier, du service « Monde » de La Croix, pourfend Orbán et Bachar Al-Assad (depuis Paris) et s’illustre sur France Culture ; la seconde, Marie Boëton, est naturellement hostile aux populismes (Trump, Bolsonaro et même Johnson mais pas Bergoglio alias le pape François…) et se veut détracteur du « complotisme » ; elle s’inscrit par ailleurs dans une démarche journalistique très convenue.
[THREAD] Comme nous, vous avez pu voir les images choquantes des manifestants envahissant le #Capitole à Washington mercredi 6 janvier.
👉 Convaincus qu’on leur a « volé l’élection », les plus jusqu’au-boutistes du camp Trump ont fait trembler l’Amérique ces derniers jours. pic.twitter.com/BeH7oAhHoG
— Marie Boeton (@marieboeton) January 15, 2021
Pas avare de contradiction, c’est une admiratrice de Navalny, qui lui, en connaît un rayon sur « l’ultra droite ».
Dernier post Instagram de #Navalny, faisant référence à Kant, « Trois choses ne cessent de m’étonner. Le ciel étoilé au-dessus de nos têtes, l’impératif catégorique au-dedans de nous et l’impression merveilleuse de passer sa paume sur son crâne fraîchement rasé. » pic.twitter.com/ATtDdyU7tp
— Marie Boeton (@marieboeton) March 17, 2021
Peu rigoureux, mal renseignés, brouillons, cultivant des amalgames qui empêchent une réflexion constructive, les auteurs – paresseux ou partisans — n’ont finalement produit qu’une maladroite synthèse de presse saupoudrée de réseaux sociaux et d’un zest d’opinion.
Un numéro sorti samedi 22 mai et déjà périmé dimanche 23, avec la publication d’un dossier de Mediapart. Les confrères du média en ligne ont eu accès à un rapport du parquet général de Paris (il serait intéressant de savoir comment). Marine Turchi et Matthieu Suc, livrent ainsi une enquête qui peut susciter de vives critiques, avec le parti-pris que l’on connaît au média d’Edwy Plenel, mais qui a le mérite de fournir des informations inédites sur le sujet à la lumière des thèmes de prédilection de ces deux journalistes, des informations sans doute venues en droit ligne de la Préfecture de police. Merci qui ?