La directive droits d’auteur a finalement été votée au Parlement Européen le 26 mars 2019. Les réactions sont contrastées, allant de l’enthousiasme au franc scepticisme.
Satisfaction du groupe socialiste français du Parlement
Le communiqué de Virginie Rozière et de Pervenche Berès salue la victoire en termes lyriques, « c’est aujourd’hui une victoire historique pour la Culture et la liberté de la presse au XXIème siècle ; il est manifeste que les GAFA s’enrichissent en pillant le travail des créateurs. Il fallait rééquilibrer le rapport de force en défendant ceux qui font, ceux qui créent, tout simplement car tout travail mérite salaire. C’est chose faite ! ».
« Cette victoire n’est pas uniquement celle de la Culture. C’est une victoire culturelle au sens noble du terme. Ce combat va beaucoup plus loin que la défense de la création et des créateurs, il est fondateur et embrasse bien d’autres champs : celui des rapports de travail dans un monde numérisé ; celui de la défense d’une information plurielle et de qualité ; celui qui démasque un Internet qui se présente comme espace de liberté, alors qu’il se construit en espace purement commercial, et celui surtout de la souveraineté européenne par rapport aux volontés de domination des géants numériques qui ne reculent devant aucun moyen, aucun mensonge, aucune manipulation pour défendre leurs intérêts. Cette victoire constitue un premier pas essentiel pour mettre un terme à cette visée hégémonique »
Soutien du SCAM
Le SCAM qui représente les intérêts des auteurs manifeste son accord complet dans un style inclusif frôlant le ridicule :
L’Europe a dit OUI à la directive sur le droit d’auteur.
Elle a dit OUI à un meilleur partage de la valeur collectée par les GAFA.
Elle a dit OUI à l’instauration d’un droit voisin pour la presse et les journalistes.
Elle a dit OUI au principe d’une rémunération proportionnelle pour les auteurs, les autrices et les artistes-interprètes en Europe à l’instar de ce qui existe déjà en France.
L’Europe a dit OUI à son avenir.
La culture millénaire de l’Europe et sa diversité sont le ciment de l’union de ses peuples et son atout le plus précieux. En votant la directive sur le droit d’auteur, les eurodéputé·es ont fait preuve d’une volonté politique dont les pères fondateurs auraient sans doute été fiers. Les Etats membres sont parvenus à s’unir pour défendre leur identité et leur avenir.
Réticences de Jean-Frédéric Lambert
Jean-Frédéric Lambert, Président du kiosque numérique ePresse, est plus sceptique « La directive droit d’auteur vient d’être votée, mais c’est peut-être un tigre en papier »
« Le Parlement européen a finalement voté le texte sur la directive « droit d’auteur », notamment l’article 11 — devenu l’article 15 — et l’article 13 — devenu l’article 17.
L’article 15 ouvre la notion de droit voisin à la presse et doit lui permettre de se faire rétribuer par les agrégateurs de contenu qui diffusent ses articles.
Mais la directive telle qu’elle a été votée contient en son sein 3 faiblesses fondamentales :
1- La négociation sur la valeur du droit se fera État par État. Le rapport de force sera clairement en faveur des GAFAs et c’était précisément pour échapper à cette négociation que les éditeurs de presse avaient porté le sujet jusqu’à Bruxelles.
2- La taille des snippets n’est pas définie et les GAFAs pourraient se contenter du titre et de 3 ou 4 lignes d’article pour échapper à tout paiement tout en s’appropriant la partie du contenu qui les intéresse.
(NB Un snippet est un terme de programmation désignant une petite portion de code source ou de texte)
3- Les règles de diffusion des agrégateurs restent complètement à la main des GAFAs qui pourront faire la pluie et le beau temps des éditeurs.
Le texte de loi voté par le Sénat français en février 2019 ne prévoit pas de mesure plus dure que celles contenues dans le texte voté par le Parlement européen. Il faut donc espérer que l’Assemblée nationale, munie de cette enveloppe juridique, obtenue de haute lutte à Bruxelles, transforme l’essai et pallie les faiblesses non traitées
Seules les applications en droits nationaux de la directive européenne montreront sa portée réelle. On peut faire confiance aux GAFA pour les détourner au maximum à leur avantage, elles ont perdu une bataille mais la guerre pour la maîtrise des contenus continue.