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<span class="dquo">«</span> La Fachosphère » de Doucet et Albertini : une occasion manquée

23 octobre 2016

Temps de lecture : 6 minutes
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« La Fachosphère » de Doucet et Albertini : une occasion manquée

Temps de lecture : 6 minutes

Grosse promo pour les journalistes David Doucet (Les Inrocks) et Dominique Albertini (Libération) qui ont fait la une de Libération, un passage chez Bourdin et un autre sur le plateau de Yann Barthès. Ils ne pouvaient rêver meilleure publicité pour la sortie de leur livre enquête sur le « côté obscur » de l’information sur internet. Entre décembre 2013 et le printemps 2016, les deux complices, déjà auteurs d’une Histoire du Front national, ont réalisé une centaine d’entretiens pour dresser le portrait de la « fachosphère ». Disons le d’entrée, le titre racoleur (et fait pour diaboliser la cible) dévalorise le contenu alors que le livre ne sombre pas dans la paranoïa et dresse un panorama sur tout un pan de l’information et du combat politique mené sur internet On pourra cependant regretter la conclusion militante et l’absence d’une réflexion plus poussée sur le modèle de presse indépendante basée sur le don privé…

La « fachosphère » c’est quoi ?

Les auteurs – qui ont réal­isé leurs inter­views en annonçant un livre sur la « réin­fos­phère » — jus­ti­fient leur choix dans le pro­logue. Ils désig­nent par là « l’extrême droite dans sa diver­sité : iden­ti­taires et mau­r­rassiens, fron­tistes et dis­ci­ples du gourou Alain Soral, néo­fas­cistes et “cathos tradis” ». Tant pis pour tous ceux – comme l’Ojim – qui ne se retrou­veraient pas dans la liste !

Autres points com­muns étab­lis entre les dif­férents acteurs du web ain­si visés : « une oppo­si­tion com­mune à la moder­nité libérale et à son idéal de société ouverte » et un rejet de la déca­dence. Com­prenez : la société « ouverte » est morale­ment supérieure à une société « fer­mée », figée, qua­si morte. Plus glob­ale­ment, le sous-titre de l’ouvrage clar­i­fie le sujet : « com­ment l’extrême droite rem­porte la bataille du net », on l’aura com­pris : fachos­phère = extrême droite. À tra­vers cette « extrême droite », notion pas beau­coup plus claire que celle de « facho », les auteurs visent, en gros, tout ce qui dépasse les lim­ites fixées par l’élite jour­nal­is­tique en place.

Une approche historique parfois pertinente

Les deux com­plices, au cours des quelque 300 pages, font le tour du web poli­tique­ment incor­rect, pas­sant de sup­ports « tout pub­lic » comme Fdes­ouche ou TV Lib­ertés à des élé­ments plus rad­i­caux comme les Youtubeurs Hervé Ryssen ou Boris Le Lay. Ils évi­tent cepen­dant l’écueil com­plo­tiste qui voudrait que tout ce petit monde mange à la même table. A con­trario, les auteurs n’hésitent pas à s’intéresser aux rap­ports qu’entretiennent ces médias et leurs acteurs. Car il n’est pas ques­tion seule­ment des médias de réin­for­ma­tion mais aus­si de ceux qui pensent les médias autrement (Jean-Yves Le Gal­lou), des cri­tiques des médias comme l’Ojim, de ceux qui fab­riquent les médias alter­nat­ifs (un chapitre est con­sacré au fon­da­teur de Fdes­ouche Pierre Sautarel), d’électrons libres, d’auteurs faisant la pro­mo­tion de leurs ouvrages par le biais de vidéos Youtube et même de la bataille du net lancée par le Front Nation­al à l’aube du 21ème siècle.

L’approche his­torique du réc­it per­met de se rep­longer dans les bal­bu­tiements du web. Une nou­velle tech­nolo­gie qui a immé­di­ate­ment prof­ité à l’objet de l’étude des auteurs. Dès son appari­tion en France fleuris­sent des sites plus ou moins rad­i­caux de libre parole dont le vais­seau ami­ral fut « SOS Racaille ». L’enquête menée sur ce pre­mier phénomène inter­net est d’ailleurs menée avec péd­a­gogie. Com­ment les auteurs expliquent-ils cette prise d’assaut du web par ce qu’ils nom­ment l’extrême droite ? Par le manque de vis­i­bil­ité (voire l’absence totale) de cer­taines sen­si­bil­ités poli­tiques non représen­tées dans les médias alors vieil­lis­sants : presse papi­er, radio, télévision…

La presse subventionnée a‑t-elle peur ?

Peu coû­teux, le mod­èle inter­net ouvre des per­spec­tives nou­velles à ceux qui n’ont pas le sou­tien de Matthieu Pigasse le mil­liar­daire pro­prié­taire des Inrocks ou de Patrick Drahi autre mil­liar­daire pro­prié­taire lui de Libé (les deux médias dont sont issus les auteurs de l’ouvrage).

C’est donc bien une con­cur­rence qui dérange les médias étab­lis et décli­nant depuis main­tenant vingt ans avec l’arrivée d’internet. D’où un épi­logue involon­taire­ment éclairant dans lequel chercheurs et his­to­riens déplorent (mais si, mais si) le plu­ral­isme né d’internet… Le soci­o­logue Gérald Bon­net dénonce par exem­ple la « dérégu­la­tion du marché de la con­nais­sance », Michel Winock s’inquiète pour sa part des « extrêmes » qui font un bruit dis­pro­por­tion­né avec l’état numérique de leurs troupes… Vient alors la ques­tion fatidique : « Com­ment répon­dre à la fachos­phère ? » Une ques­tion qui inquiète jusqu’au secré­taire d’État chargée du numérique Axelle Lemaire qui s’interroge sur « l’équilibre entre la lib­erté d’expression et l’ordre pub­lic ». On sait mal­heureuse­ment com­ment se ter­mine générale­ment ce genre de réflexions…

Sont finale­ment pré­con­isées : la répres­sion par le cadre légal (mer­ci pour eux mais le titre annonçait déjà le bâton) mais aus­si une réac­tion sur inter­net, sur le « ter­rain de l’extrême droite », une réponse qui pour le moment n’est pas à la hau­teur selon les auteurs. Une chose est sûre, la « fachos­phère » est un mal, un mal moral et il faut le combattre.

Avec une forme d’arrogance de classe incon­sciente, les auteurs n’hésitent pas à expli­quer la réus­site des nou­veaux médias par l’existence de « nou­veaux publics, moins dotés en cap­i­tal cul­turel [et qui] y trou­vent une réponse à la crise du sens du monde con­tem­po­rain… ». Enten­dre les inter­nautes alter­nat­ifs sont des crétins qui ne sont pas allés à la fac­ulté et les lecteurs de Libé (de moins en moins nom­breux par ailleurs) des human­istes et autres Prix Nobel… Si Les acteurs et les médias aux­quels s’intéressent les deux com­pères font sys­té­ma­tique­ment l’objet de références biographiques, ce qui per­met d’avoir un point de vue glob­al intéres­sant on pour­ra regret­ter l’absence d’index. Ajou­tons pour le côté cocasse les deux derniers chapitres hauts en couleur : « Porno natio ou l’extrême droite classée X » et Les « youtubeurs de l’extrême », qui prê­tent à sourire à quiconque dis­pose d’un peu d’humour…

Une occasion manquée

Si le con­tenu, réal­isé à par­tir de nom­breux entre­tiens, est sou­vent de qual­ité, on peut regret­ter que les auteurs n’aient pas mieux analysé la prin­ci­pale dif­férence entre les médias dom­i­nants étab­lis (ceux de leurs patrons, rich­es et sub­ven­tion­nés) et les médias alter­nat­ifs : le finance­ment. En ayant recours au don et à la sol­i­dar­ité (puisque sou­vent privés et de pub­lic­ité et de sub­sides publics) les médias alter­nat­ifs se pla­cent dans une démarche résol­u­ment en rup­ture avec le mod­èle des médias aux­quels appar­ti­en­nent les auteurs, une démarche qui garan­tit non une objec­tiv­ité absolue, mais une cer­taine forme d’indépendance. Une chose est sûre ces deux mod­èles ne sont pas prêt de cohab­iter, les édi­tions Flam­mar­i­on ont inter­dit aux auteurs d’accorder des inter­views aux médias mis en cause…

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À propos de

La Fachos­phère (par Dominique Alber­ti­ni et David Doucet), éd. Flam­mar­i­on (21 sep­tem­bre 2016). 336 pages.

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