Grosse promo pour les journalistes David Doucet (Les Inrocks) et Dominique Albertini (Libération) qui ont fait la une de Libération, un passage chez Bourdin et un autre sur le plateau de Yann Barthès. Ils ne pouvaient rêver meilleure publicité pour la sortie de leur livre enquête sur le « côté obscur » de l’information sur internet. Entre décembre 2013 et le printemps 2016, les deux complices, déjà auteurs d’une Histoire du Front national, ont réalisé une centaine d’entretiens pour dresser le portrait de la « fachosphère ». Disons le d’entrée, le titre racoleur (et fait pour diaboliser la cible) dévalorise le contenu alors que le livre ne sombre pas dans la paranoïa et dresse un panorama sur tout un pan de l’information et du combat politique mené sur internet On pourra cependant regretter la conclusion militante et l’absence d’une réflexion plus poussée sur le modèle de presse indépendante basée sur le don privé…
La « fachosphère » c’est quoi ?
Les auteurs – qui ont réalisé leurs interviews en annonçant un livre sur la « réinfosphère » — justifient leur choix dans le prologue. Ils désignent par là « l’extrême droite dans sa diversité : identitaires et maurrassiens, frontistes et disciples du gourou Alain Soral, néofascistes et “cathos tradis” ». Tant pis pour tous ceux – comme l’Ojim – qui ne se retrouveraient pas dans la liste !
Autres points communs établis entre les différents acteurs du web ainsi visés : « une opposition commune à la modernité libérale et à son idéal de société ouverte » et un rejet de la décadence. Comprenez : la société « ouverte » est moralement supérieure à une société « fermée », figée, quasi morte. Plus globalement, le sous-titre de l’ouvrage clarifie le sujet : « comment l’extrême droite remporte la bataille du net », on l’aura compris : fachosphère = extrême droite. À travers cette « extrême droite », notion pas beaucoup plus claire que celle de « facho », les auteurs visent, en gros, tout ce qui dépasse les limites fixées par l’élite journalistique en place.
Une approche historique parfois pertinente
Les deux complices, au cours des quelque 300 pages, font le tour du web politiquement incorrect, passant de supports « tout public » comme Fdesouche ou TV Libertés à des éléments plus radicaux comme les Youtubeurs Hervé Ryssen ou Boris Le Lay. Ils évitent cependant l’écueil complotiste qui voudrait que tout ce petit monde mange à la même table. A contrario, les auteurs n’hésitent pas à s’intéresser aux rapports qu’entretiennent ces médias et leurs acteurs. Car il n’est pas question seulement des médias de réinformation mais aussi de ceux qui pensent les médias autrement (Jean-Yves Le Gallou), des critiques des médias comme l’Ojim, de ceux qui fabriquent les médias alternatifs (un chapitre est consacré au fondateur de Fdesouche Pierre Sautarel), d’électrons libres, d’auteurs faisant la promotion de leurs ouvrages par le biais de vidéos Youtube et même de la bataille du net lancée par le Front National à l’aube du 21ème siècle.
L’approche historique du récit permet de se replonger dans les balbutiements du web. Une nouvelle technologie qui a immédiatement profité à l’objet de l’étude des auteurs. Dès son apparition en France fleurissent des sites plus ou moins radicaux de libre parole dont le vaisseau amiral fut « SOS Racaille ». L’enquête menée sur ce premier phénomène internet est d’ailleurs menée avec pédagogie. Comment les auteurs expliquent-ils cette prise d’assaut du web par ce qu’ils nomment l’extrême droite ? Par le manque de visibilité (voire l’absence totale) de certaines sensibilités politiques non représentées dans les médias alors vieillissants : presse papier, radio, télévision…
La presse subventionnée a‑t-elle peur ?
Peu coûteux, le modèle internet ouvre des perspectives nouvelles à ceux qui n’ont pas le soutien de Matthieu Pigasse le milliardaire propriétaire des Inrocks ou de Patrick Drahi autre milliardaire propriétaire lui de Libé (les deux médias dont sont issus les auteurs de l’ouvrage).
C’est donc bien une concurrence qui dérange les médias établis et déclinant depuis maintenant vingt ans avec l’arrivée d’internet. D’où un épilogue involontairement éclairant dans lequel chercheurs et historiens déplorent (mais si, mais si) le pluralisme né d’internet… Le sociologue Gérald Bonnet dénonce par exemple la « dérégulation du marché de la connaissance », Michel Winock s’inquiète pour sa part des « extrêmes » qui font un bruit disproportionné avec l’état numérique de leurs troupes… Vient alors la question fatidique : « Comment répondre à la fachosphère ? » Une question qui inquiète jusqu’au secrétaire d’État chargée du numérique Axelle Lemaire qui s’interroge sur « l’équilibre entre la liberté d’expression et l’ordre public ». On sait malheureusement comment se termine généralement ce genre de réflexions…
Sont finalement préconisées : la répression par le cadre légal (merci pour eux mais le titre annonçait déjà le bâton) mais aussi une réaction sur internet, sur le « terrain de l’extrême droite », une réponse qui pour le moment n’est pas à la hauteur selon les auteurs. Une chose est sûre, la « fachosphère » est un mal, un mal moral et il faut le combattre.
Avec une forme d’arrogance de classe inconsciente, les auteurs n’hésitent pas à expliquer la réussite des nouveaux médias par l’existence de « nouveaux publics, moins dotés en capital culturel [et qui] y trouvent une réponse à la crise du sens du monde contemporain… ». Entendre les internautes alternatifs sont des crétins qui ne sont pas allés à la faculté et les lecteurs de Libé (de moins en moins nombreux par ailleurs) des humanistes et autres Prix Nobel… Si Les acteurs et les médias auxquels s’intéressent les deux compères font systématiquement l’objet de références biographiques, ce qui permet d’avoir un point de vue global intéressant on pourra regretter l’absence d’index. Ajoutons pour le côté cocasse les deux derniers chapitres hauts en couleur : « Porno natio ou l’extrême droite classée X » et Les « youtubeurs de l’extrême », qui prêtent à sourire à quiconque dispose d’un peu d’humour…
Une occasion manquée
Si le contenu, réalisé à partir de nombreux entretiens, est souvent de qualité, on peut regretter que les auteurs n’aient pas mieux analysé la principale différence entre les médias dominants établis (ceux de leurs patrons, riches et subventionnés) et les médias alternatifs : le financement. En ayant recours au don et à la solidarité (puisque souvent privés et de publicité et de subsides publics) les médias alternatifs se placent dans une démarche résolument en rupture avec le modèle des médias auxquels appartiennent les auteurs, une démarche qui garantit non une objectivité absolue, mais une certaine forme d’indépendance. Une chose est sûre ces deux modèles ne sont pas prêt de cohabiter, les éditions Flammarion ont interdit aux auteurs d’accorder des interviews aux médias mis en cause…
Voir aussi
À propos de
La Fachosphère (par Dominique Albertini et David Doucet), éd. Flammarion (21 septembre 2016). 336 pages.