Un grand quotidien de la gauche libertaire qui fait faillite au pays de Viktor Orbán, cela ne peut être que le signe d’une reprise en main du pouvoir aux yeux des journaux français qui s’informent pour la plupart auprès de l’AFP : « Un paysage médiatique proche du modèle russe », c’est-à-dire sous le contrôle du pouvoir politique, pour Libération, « La liberté de la presse en danger » pour Le Monde. Même Le Figaro se pose des questions et La Croix souligne que Népszabadság publiait des articles gênants pour le gouvernement de Budapest. Pour la journaliste de la radio RFI, « le pouvoir hongrois cherche à absorber les quelques journaux critiques qui existent encore ». Pourtant, en matière de diversité des médias, et même après que son principal quotidien de gauche a mis la clé sous la porte, la Hongrie n’a rien à envier à la France, et c’est même le Fidesz qui a imposé le pluralisme dans les médias.
Comme le faisait judicieusement remarquer L’Humanité, Népszabadság, « La Liberté du peuple », avait été depuis 1956 l’organe officiel du Parti socialiste ouvrier hongrois, c’est-à-dire du parti communiste, avant d’être vendu au groupe de presse allemand Bertelsmann dans les années 1989–90, lors de la transition démocratique. En fait de transition démocratique, la vente à des investisseurs occidentaux de ce journal comme des autres médias du pays s’est effectuée en échange de la promesse faite aux communistes de ne pas changer les membres de la rédaction pendant cinq ans. Ayant supprimé son slogan « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! » et s’étant reconverti du communisme au gauchisme libéral-libertaire, Népszabadság a ainsi pu favoriser le retour aux affaires de la gauche post-communiste dans les années 1990 puis 2000, et notamment de l’oligarque Ferenc Gyurcsány, le président du parti socialiste hongrois qui, premier ministre de 2004 à 2009, a mené son pays au bord d’une faillite comparable à celle de la Grèce, avant que les électeurs ne décident de donner leur chance au Fidesz et à son leader Viktor Orbán.
Dans les années 1990, Népszabadság était le numéro 1 des quotidiens nationaux hongrois et vendait même plus que tous les autres quotidiens réunis. Mais les manifestations de 2006 contre le monopole des postcommunistes dans les médias du pays, quand la foule a pris d’assaut et incendié le siège de la télévision publique MTV, a marqué le début du déclin de ce journal qui avait été revendu en 2003 au groupe suisse Ringier, avant de devenir la propriété de Vienna Capital Partners après la fusion en 2014 de Ringier et d’Axel Springer. Le groupe Mediaworks, qui regroupe les médias hongrois du nouveau propriétaire, a soudainement annoncé le 8 octobre la fermeture du journal Népszabadság, justifiant cette décision par la baisse brutale des ventes, de 74 % en dix ans, et les fortes pertes accumulées totalisant plus de 16 millions d’euros. Ce n’est donc pas le Fidesz ni Viktor Orbán qui ont forcé cette fermeture, mais bien les lecteurs qui ont déserté le journal. Et parmi les quelques centaines de manifestants qui protestaient sous la pluie le 8 au soir devant le siège du parlement hongrois, il y avait une proportion importante de journalistes, y compris étrangers.
Le groupe Mediaworks conserve en Hongrie ses 13 journaux régionaux et plusieurs magazines nationaux consacrés au sport et à l’automobile. Son quotidien Népszabadság avait déjà subi plusieurs cures d’amaigrissement, tant au niveau du contenu, réduit de moitié, que de son équipe de journalistes. Mediaworks semble avoir voulu profiter du déménagement des rédactions de ses journaux pour cette fermeture surprise de son titre phare, évitant ainsi une possible grève avec occupation des locaux.
Le pluralisme médiatique s’en trouve-t-il affaibli en Hongrie ? Certes, la domination des quotidiens de droite est renforcée par cette fermeture, mais l’exemple du grand quotidien conservateur Magyar Nemzet montre qu’un journal peut être de droite et très critique à l’égard du gouvernement. Par ailleurs, c’est toujours le titre gauchiste-libertaire HGV qui domine dans le secteur des hebdomadaires d’actualités et la chaîne européiste et libertaire RTL, très anti-Fidesz, qui domine dans le secteur de la télévision. Comparée à la France, la Hongrie reste un modèle de pluralisme médiatique, même sans le quotidien Népszabadság qui n’était plus tiré qu’à moins de quarante mille exemplaires, contre plus de 700 000 quand il bénéficiait du monopole de l’information écrite à l’époque communiste.
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