Toujours correctement soutenus, d’une façon ou d’une autre, financièrement ou amicalement, ou les deux, les médias de la gauche libérale culturelle ne manquent pas. Ils ne changent guère non plus, machines militantes avant d’être médiatiques. La preuve par AOC.
Peu connu du grand public, lu sans doute essentiellement par son réseau d’auteurs et certaines franges militantes de la gauche radicale universitaire, celle qui impose des cours autour de la théorie du genre, du « racisme de l’État français » ou des questions dites « postcoloniales » jusque dans les amphithéâtres des universités de sciences, AOC est un média avant tout politique, fondé par Sylvain Bourmeau, sur lequel l’OJIM s’est déjà penché. Un article publié récemment en deux parties (21 et 22 août 2018) mérite d’aller voir de nouveau si c’est toujours le libéralisme culturel tendance bobo « radical » qui y délire gentiment. Son sujet ? Steve Bannon, un humain que le monde médiatique officiel imagine porteur d’une grande cape noire et d’une immense faux, prêt à raser les démocraties européennes.
Steve Bannon ? Il est partout !
Et avec lui vient « un léger parfum de fascisme » (c’est le titre du premier article d’AOC, classé dans la rubrique « analyse » du média en ligne) prêt à en découdre, pardon à faire « face au vieux monde » (titre du deuxième article). L’auteur des neuf pages formant cet ensemble est Albert Ogien, directeur de recherche au CNRS, enseignant à l’EHESS (une bonne idée de ce qui se produit là, en suivant le lien) et à Paris 8, comme il se doit, serait-on tenté de dire, pour tout militant de gauche radicale faisant profession d’intellectuel, c’est-à-dire dont le travail militant est financé par l’État. On le croise aussi sur France Culture (forcément) et sur France Inter (forcément), l’ensemble formant un parcours classique de petites intellectualités entre amis de gauche libérale culturelle, mandatés pour formater la jeunesse. Les chances que l’article publié dans AOC fasse preuve de recul sont a priori assez faibles, mais qui sait ? Les neuf pages paraissent en tout cas dans une période où Bannon est fortement présent dans les médias français. L’américain est paraît-il responsable de l’élection de Trump. Ce dernier que nos intellectuels par l’État financés jugent par avance « fou », sans doute sur la base de recherches sérieuses menées au sein du CNRS ou de l’EHESS, eux qui préférèrent Bernie Sanders puis Hillary Clinton (forcément). Partout ? Fin août et début septembe 2018, on parle de Steve Bannon (en mal) dans 20minutes, Europe 1, La Croix, Le Figaro, Le Monde, France 24, BFM, Ouest-France, L’Obs… L’idée ? C’est Ouest-France qui la résume le mieux : « Steve Bannon veut la peau de l’Europe ». Rien que cela ? Sans doute puisque tous les médias évoquant début septembre une rencontre entre Bannon et Salvini disent que les deux voudraient « sauver l’Europe ». Ce sont les mots des deux hommes. « Vouloir la peau » et « sauver », il n’est pas difficile de voir qu’il y a un souci de communication entre le libéralisme culturel médiatique officiel et le couple Bannon/Salvini. En tout cas, Steve Bannon ce n’est pas rien, au vu de la couverture médiatique et du fait que le « sérieux universitaire » se penche sur lui.
Appellation « antifa » d’Origine Contrôlée (AAOC)
Analyse universitaire, en apparence dans AOC. Personne ne saura surpris de découvrir qu’en réalité, la façade de l’université cache la forêt de la militance « antifa », c’est-à-dire dogmatiquement fermée à toute pensée autre que celle dans laquelle elle vit au quotidien dans l’entre-soi. Les deux partis de l’article consacré à Steve Bannon sont un modèle du genre.
Les mots de l’article 1 : Steve Bannon, un léger parfum de fascisme
‣ Le décor « universitaire » (sic) est planté d’emblée : « Qui est donc Steve Bannon, cette figure de l’alt-right américaine qui vient se mêler de nos élections (reprise de « on est chez nous » ? NDR) en offrant son expérience à l’extrême-droite européenne ? ».
‣ La sémantique est au rendez-vous : « brutal », « décomplexé », « relent de fascisme », « instrumentaliser », « citoyen.ne .s » (j’espère ne pas faire de fautes), « chemise noire sous veste de combat beige » (suivez mon regard…), « guerre », « anéantissement total », « violence », « éradication de l’ordre cosmopolite », « cynique », « imposer par la force », « manipulation politique », « fascisme soft », « célèbre la supériorité de la civilisation blanche », « homophobie », « islamophobie », « misogynie », « racisme », « essence de la tactique fasciste », « chaos »…
‣ Les arguments d’autorité aussi :
→ « C’est avec le suffrage universel qu’il entend détruire les démocraties occidentales » (Là… le lecteur est sans voix…).
→ « C’est que les partis d’extrême droite ont décidé d’instrumentaliser à fond l’accueil des réfugiés » (pas « migrants », « clandestins » etc, « réfugiés »).
→ (une élection) « dont on peut craindre qu’elle ne se réduise à un référendum pour ou contre la présence musulmane en Europe » (c’est donc ainsi que les termes du débat politique sont posés dans l’Université française ? L’OJIM serait curieux de savoir quel mouvement politique républicain présentant des candidats à ces élections propose de mettre un terme à la présence de personnes musulmanes en Europe).
→ Steve Bannon ? « Dans ses plans, la prise (sic) du parlement européen viendrait parachever l’œuvre qu’il se flatte d’avoir accomplie en assurant les succès du Brexit en Grande-Bretagne et de Trump aux USA. Car une fois ce grand chelem réalisé, l’espoir de refaçonner le cours du monde serait enfin à portée » (il ne semble pas venir à l’esprit de l’universitaire que Trump et le Brexit résultent de processus électoraux démocratiques, tout comme son hypothèse d’une victoire de la volonté supposée de Bannon en 2019).
→ « Ce qui exige une mesure d’urgence : le rétablissement des frontières pour restaurer une souveraineté bafouée. Cette politique de « nationalisme économique » vise à soustraire les ouvriers et les employés blancs (il existe donc des races ? NDR) à la concurrence déloyale que les pays à bas coût de main d’œuvre et les migrants de toutes origines font peser sur les emplois et les salaires »
→ « exaltation de la supériorité de la civilisation chrétienne, qui serait menacée par l’invasion musulmane d’une part, et par l’hédonisme individualiste propagé par le libéralisme, d’autre part. Et, pour faire front à cette double menace, il importe de réactiver le respect intransigeant de la hiérarchie « naturelle » qui dicte aux « inférieurs » — noirs, femmes, LGBT, migrants, juifs, musulmans – de baisser la tête et de raser les murs et les dissuade de réclamer fièrement l’égalité des droits ». (Objectivement… si c’est ce qui se passe dans les murs de l’EHESS, cela demanderait une intervention de l’État. Pour le reste, l’OJIM attend des témoignages concrets de cette réalité censément majoritaire en France telle qu’ici « décrite »).
→ Bannon est supposé vouloir imposer un « redressement national », « au mépris souverain des critiques, des oppositions et des résistances que le recours aux organes de répression de l’État aura tôt fait de circonvenir » (un peu comme le couple Macron/Benalla en somme ?) ; il voudrait « la suppression de tous les contre-pouvoirs (partis, associations, ONG, syndicats, etc) et la restriction du droit d’opinion (presse et médias présentés comme diffusant des fake news, justice aux ordres, menace sur la critique, intimidation et répression des opposants). » Nous n’inventons rien, tout ce que vous êtes en train de lire est réellement écrit dans cette « analyse ».
Les mots de l’article 2 : Steve Bannon, face au vieux monde
‣ Le décor faussement « universitaire » (sic) est tout aussi planté d’emblée : « Le débarquement de Bannon sur le sol européen rend un peu d’actualité à une question oubliée : la banalisation de l’attitude fasciste conduit-elle à rendre acceptable l’instauration d’une société totalitaire ? ».
‣ La sémantique est toujours au rendez-vous : « fascisme », « forces obscures », « suprématie blanche », « tentation fasciste », « mobilisation totale »…
‣ Les arguments d’autorité aussi : il faut « voir le fascisme », « Par décence ou pusillanimité ou rigueur scientifique, les analystes et commentateurs préfèrent ne pas utiliser le terme fascisme pour qualifier un programme ou un mouvement politique ainsi sauf lorsqu’il reprend cette étiquette. À son compte, ils trouvent toujours un bon argument historique ou politique pour ne pas admettre qu’une idéologie ou un racisme contemporain mérite vraiment cette qualification » (au mépris de, par exemple, la « rigueur scientifique », le lecteur en reste baba étant donnés les lieux d’émargement financier de l’auteur).
‣ « Les démarches comme celle de Bannon » (…) « saluent l’autorité, exaltent la violence, glorifient l’identité, propagent la haine et réclament l’institution d’une police de la pensée » (rien que cela… Ne pas oublier que Sylvain Bourmeau, le patron d’AOC, a longtemps joué un rôle important sur France Culture et Médiapart).
‣ Ogien évoque les « démocraties représentatives qui se transforment insensiblement en attentats totalitaires » au sujet de la Pologne et de la Hongrie (le fait que le parti de Monsieur Orban soit membre du PPE au parlement européen, au même titre que Les Républicains, vient-il accréditer cette « thèse » d’un « attentat » ?).
‣ Refusant l’usage académique du fascisme en tant que concept historique et de sciences politiques, Ogien considère comme plus crédible sa définition personnelle, laquelle est constituée de façon à pouvoir appliquer le concept à Bannon. La question n’est pas de montrer en quoi la pensée de Bannon serait assimilable au fascisme en tant que concept académique, mais bien de transformer la définition normale du fascisme en une nouvelle définition, afin qu’elle colle à Bannon. Il s’agit donc d’inventer le réel. La définition est alors celle-ci : « Il serait plus judicieux d’envisager le fascisme comme une attitude, qui repose sur une vision du monde paranoïaque (un peu comme quand Ogien voit refleurir le fascisme partout ? NDR), apocalyptique et barbare et appelle à un combat sans merci pour anéantir un adversaire maléfique et sournois qui met en péril la survie d’une race, d’un peuple ou d’une nation ».
‣ Puisqu’il est donc acté que Bannon serait « fasciste » par « attitude », et serait cet homme décrit dans le point ci-dessus, cela induira (indique prophétiquement notre universitaire) « le gouvernement par la terreur » (c’est écrit, si, si…), la question est celle des obstacles qu’il va rencontrer dans sa conquête du Vieux Continent. Il y en a trois : les institutions, le fait qu’Ogien pense que les partis « nationalistes » ne voudraient pas la disparition de l’Europe et l’espoir que les peuples ont « une aversion pour le fascisme ». Rassurés ? Ogien pense improbable que la question migratoire et « derrière elle la construction de la question musulmane (cela n’existe pas, c’est construit, il n’y a pas de musulmans en Europe, le CNRS et l’EHESS le disent, avec un peu d’aide de Radio France) soit un mobile suffisant pour entraîner une adhésion massive au fascisme ». OUF ! C’est la huitième et avant dernière page, la dernière étant constituée de notes (service minimum) et l’universitaire nous rassure : le danger fasciste (dont il parle depuis le début, supposément incarné par Bannon) en fait… n’existe pas. Plus : « Paradoxalement, la présence de Bannon pourrait être une aubaine ». Du coup, on se le demande : à qui profite le supposé crime « fasciste » ambulant que serait Bannon ? À la gauche, nous dit l’éminent directeur de recherche du CNRS.
Nous supposons que cet article sera comptabilisé dans les travaux annuels permettant à l’auteur de conserver ses positions universitaires, autrement dit de justifier de son travail de recherche et son salaire, lesquels passent par des publications. Mais, s’agit-il vraiment de travaux universitaires ? Nous laissons la réponse à l’honorable lecteur.