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La gauche intellectuelle en ligne 1/3 : La Vie des Idées

18 juillet 2018

Temps de lecture : 8 minutes
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La gauche intellectuelle en ligne 1/3 : La Vie des Idées

Temps de lecture : 8 minutes

La gauche intellectuelle et universitaire disposant souvent de moyens techniques, financiers et de diffusion incomparables, ne serait-ce que par le biais des salaires d’État ou des subventions liées aux recherches supposées de ses acteurs, ainsi que du soutien des médias officiels, irrigue le net. Première de deux analyses, avec La Vie des Idées.

L’OJIM se penche aujourd’hui sur La Vie des Idées, média ou « revue en ligne » qui fête ses dix ans d’existence, avec la béné­dic­tion en deux grandes pages du quo­ti­di­en Le Monde daté du 7 juil­let 2018.

La Vie des Idées, c’est quoi ?

Au départ, il y a dix ans, une revue papi­er et un sim­ple site de bouil­lon­nement intel­lectuel et uni­ver­si­taire, ancré essen­tielle­ment du côté de la pen­sée de gauche sociale libérale, avec ouver­ture sur les pen­sées de la gauche rad­i­cale et con­tre toute forme de pen­sée qui n’est pas à gauche. Un média issu des uni­ver­sités et grandes écoles de sci­ences humaines français­es assez clas­sique en somme : un lieu de for­ma­tion, une com­posante asso­ciée aux « écoles de cadres libéraux lib­er­taires » que sont les espaces d’études supérieurs français. On trou­ve ain­si un « con­seil sci­en­tifique » mas­sive­ment investi de chercheurs et d’intellectuels appar­tenant à l’EHESS, Le Col­lège de France, L’IEP de Paris, l’ENS, l’INED etc. Tout ce qui pense, sur le plan uni­ver­si­taire, au cœur de la pen­sée dominante.

La Vie des Idées par elle-même

La revue en ligne se présente ainsi :

« Coopéra­tive intel­lectuelle, lieu de débat et ate­lier du savoir, La Vie des Idées veut être un réseau de com­pé­tences qui dépasse les fron­tières géo­graphiques et croise les champs dis­ci­plinaires, tout en cher­chant à rester acces­si­ble au plus grand nom­bre. La con­sul­ta­tion du site et l’abonnement aux let­tres d’information sont entière­ment gra­tu­its. Sa voca­tion est de pro­pos­er une infor­ma­tion de qual­ité sur la vie intel­lectuelle et l’actualité édi­to­ri­ale, tant française qu’internationale, ain­si que des con­tri­bu­tions sur les grands enjeux de notre temps, sous la forme d’essais appro­fondis, d’interviews et de dis­cus­sions publiques (…) le site s’est fixé trois principes :

  • associ­er, au sein d’un même espace et à part égale, essais et cri­tiques de livres, écrits par les meilleurs spécialistes.
  • le faire dans un souci de pluri et de trans­dis­ci­pli­nar­ité : à la fois ren­dre compte de toutes les com­posantes du savoir, mais aus­si inciter au dia­logue entre les disciplines.
  • s’ouvrir à l’international en s’intéressant aux ques­tions, aux débats, aux ouvrages qui, sur tous les con­ti­nents, con­stituent la vie intel­lectuelle. À cette fin, la revue s’appuie sur un réseau de cor­re­spon­dants dans le monde entier. En out­re, elle traduit en anglais une grande par­tie des arti­cles et des comptes ren­dus afin de faire con­naître à l’étranger la réflex­ion et la recherche français­es, à tra­vers le site « booksandideas.net », ver­sion anglaise de La Vie des Idées.

La Vie des Idées entend tir­er le meilleur par­ti des pos­si­bil­ités offertes par le web (…) La Vie des Idées est rat­tachée à l’Institut du Monde Con­tem­po­rain (Col­lège de France) et dirigée par Pierre Rosanvallon. »

Un élé­ment du vaste réseau du monde intel­lectuel, cul­turel, médi­a­tique et uni­ver­si­taire de gauche, un out­il par­mi d’autres, néan­moins mas­sif et de forte audi­ence (annon­cée, en tout cas), tra­vail­lant à ce que le champ de la cul­ture, en général, soit métapoli­tique­ment dom­iné par la gauche. Le site pub­lie en pre­mier lieu des recen­sions fouil­lées d’essais intellectuels.

L’adresse de la revue ? La Vie des idées, Col­lège de France, 3 rue d’Ulm 75005 Paris. Au Col­lège de France, donc.

Métapolitique : une preuve ?

Une preuve du rôle métapoli­tique de ce site ? Il suf­fit à l’observateur de chercher un peu dans l’actualité récente de l’une ou l’autre des écoles ou uni­ver­sités qui irriguent en chercheurs et con­tribu­teurs les pages de La Vie des Idées. Un exem­ple révéla­teur, issu du mou­ve­ment étu­di­ant de 2018, mou­ve­ment large­ment minori­taire mais forte­ment relayé par les médias offi­ciels et soutenu idéologique­ment au sein des grandes écoles :

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Con­crète­ment, la pen­sée uni­ver­si­taire à gauche et son irri­ga­tion métapoli­tique dans le réel débouchent sur ce genre de doc­u­ments et de déci­sions, directe­ment act­ifs dans la vie non pas des idées mais des étu­di­ants et salariés, ain­si que dans la vie quo­ti­di­enne col­lec­tive puisque les étu­di­ants issus d’écoles comme l’EHESS vont ensuite à leur tour agir dans les lieux de pou­voir intel­lectuels, cul­turels et médi­a­tiques. Il n’est pas besoin d’analyser en détails le con­tenu idéologique et séman­tique d’un tel cour­ri­er, lequel par­le de lui-même. Notons sim­ple­ment que, mal­gré ses longues et patientes recherch­es, l’OJIM n’a pas trou­vé de décret offi­ciel faisant de l’écriture inclu­sive la langue offi­cielle des insti­tu­tions uni­ver­si­taires de la République française, ce qu’elle sem­ble pour­tant être sous la plume du prési­dent de l’EHESS.

Dix ans de La Vie des idées ? Un anniversaire fêté par Le Monde

Dans son édi­tion du 7 juil­let 2018, le quo­ti­di­en Le Monde fête l’anniversaire de La Vie des Idées. Si ce n’est pas for­cé­ment nor­mal (nous n’avons pas sou­venir que Le Monde fête les anniver­saires de la revue Élé­ments par exem­ple), c’est cepen­dant habituel : les réseaux con­sid­érés sont clubs de ser­vices per­ma­nents. La revue en ligne est dirigée par Pierre Rosan­val­lon, fig­ure intel­lectuelle mil­i­tante sociale-démoc­rate recon­nue, qui dirige La République des idées et la col­lec­tion éponyme aux édi­tions du Seuil, et son directeur de la rédac­tion est Flo­rent Gué­nard, tous deux étant impliqués et financés en de nom­breux lieux offi­ciels pour dévelop­per idées et recherch­es rel­a­tives à leurs pro­pres idées poli­tiques ; c’est ce dernier qui offi­cie auprès du Monde, par le prisme d’un long entre­tien dont il ressort ceci (il est à not­er que les pro­pos sont recueil­lis par Julie Clar­i­ni, longtemps sur France Cul­ture, puis au Monde des Livres) :

La Vie des Idées :

  • lutte con­tre les « men­aces pesant sur la démoc­ra­tie » (« pop­ulismes »).
  • refuse de réduire la démoc­ra­tie à « la lib­erté indi­vidu­elle et à l’élection »
  • « On se penche aujourd’hui sur ce qui men­ace la démoc­ra­tie de l’intérieur »
  • sou­tient et promeut : les Indignés, Occu­py ou Nuit Debout.
  • s’intéresse « à l’articulation entre démoc­ra­tie et mou­ve­ment social »
  • développe une pen­sée « anti pop­uliste » pour penser le « pop­ulisme ».
  • « il y a une val­ori­sa­tion de la spon­tanéité dans le pop­ulisme », qui « peut être portée par un chef » (ici, tout lecteur au fait des sci­ences poli­tiques com­prend que La Vie des Idées assim­i­le le « pop­ulisme » d’aujourd’hui au « fas­cisme » d’hier).
  • Cette spon­tanéité qui réfère au fas­cisme poli­tique est aus­si un point com­mun, pour La Vie des Idées, avec le « néolibéral­isme » (insis­tons : c’est la pen­sée dif­fusée par Le Col­lège de France).
  • nie que le pop­ulisme puisse être expres­sion de la sou­veraineté populaire
  • analyse les liens entre sys­tème économique (cap­i­tal­isme et finan­cia­ri­sa­tion), idéolo­gie (libéral­isme) et iné­gal­ités sociales : ce serait la source de la perte du sens de « la com­mu­nauté poli­tique ».
  • s’inscrit claire­ment dans la lutte con­tre le libéral­isme économique (sous sa forme « néo ») et promeut la néces­sité « d’arguments théoriques et des études empiriques qui mon­trent que les iné­gal­ités sont injustes et ébran­lent pro­fondé­ment nos sociétés démoc­ra­tiques » (le réveil des peu­ples est ain­si une con­séquence exclu­sive­ment sociale, liée à un sys­tème économique par­ti­c­uli­er – La Vie des Idées ne con­naît pas l’enracinement, par exemple).
  • veut « déprovin­cialis­er la pro­duc­tion française », enten­du la pro­duc­tion intel­lectuelle française cor­re­spon­dant à l’idéologie pro­mue par La Vie des Idées et les réseaux dans lesquels la revue s’inscrit.

En conclusion ?

Cet entre­tien est claire­ment une forme de pub­lic­ité ami­cale pour un lieu intel­lectuel de gauche sociale-démoc­rate, né en 2005 sous sa pre­mière ver­sion, avec une for­mule papi­er, qui affirme béné­fici­er de 400 000 lecteurs par mois, se dif­fuse aus­si en anglais, ne rémunère per­son­ne, sauf le secré­tari­at de rédac­tion, mais fonc­tionne à l’intérieur des insti­tu­tions uni­ver­si­taires, ce qui est en soi une forme de rémunéra­tion, d’autant que les chercheurs pub­liant dans cette revue, qui fonc­tionne avec un comité de lec­ture, peu­vent chaque année utilis­er leurs paru­tions dans La Vie des Idées comme preuves de la réal­ité de leurs travaux de recherche. « Sa voca­tion pre­mière est de con­vo­quer, sur l’actualité, l’éclairage des sci­ences humaines et sociales, en recher­chant autant que pos­si­ble les con­tri­bu­tions et les com­para­isons inter­na­tionales ». Con­clu­sion nette de Julie Clar­i­ni : « En 2011, une étude a mon­tré qu’une moitié de ses lecteurs est con­sti­tué d’universitaires et d’étudiants, et l’autre de ce « fameux milieu cul­tivé non spé­cial­iste » qui, assure le directeur de la rédac­tion Flo­rent Gué­nard, « est la chance de la France ».

Quoi de plus clair ?

Le lecteur pour­ra au gré de recherch­es au hasard sur le site de La Vie des idées voir à quel point la gauche intel­lectuelle, théorique­ment frater­nelle, tolérante et ouverte, ne l’est, réelle­ment, qu’à l’intérieur d’elle-même. On ne trou­vera ain­si pas de penseur dit pop­uliste ou de droite. Pas plus de recen­sion, par exem­ple, de l’important Dic­tio­n­naire du con­ser­vatisme paru en 2018, ou des travaux de Math­ieu Bock-Côté sur la « reli­gion mul­ti­cul­turelle ». Par con­tre le lecteur saura tout sur le genre, le post­colo­nial­isme, le racisme, « le mythe de la dédi­a­boli­sa­tion » de cer­tains par­tis, le pop­ulisme, la présence de l’extrême droite partout, ain­si que de tous les thèmes de préoc­cu­pa­tion d’une con­science de gauche cor­recte­ment for­matée. C’est ain­si que le lecteur décou­vri­ra par exem­ple ce genre de recen­sion édi­fi­ante : « Halal cool ».

Entre­tien avec Julie Clar­i­ni, site et revue ample­ment soutenus par l’État, action uni­ver­si­taire et édi­to­ri­ale, nous sommes ain­si en présence de réseaux où l’entre soi tourne à plein régime (lien édi­fi­ant), avec l’aide des organes, médias, locaux et finances de la République.

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