[Première diffusion le 27 février 2020]
Février 2019, le « scandale de la Ligue du LOL » éclate, la médiasphère s’emballe, en une semaine 8 journalistes sont mis à pied puis licenciés plus tard, trente-sept mille articles publiés en un an (vous avez bien lu, 37000). Une morbide opération de règlements de comptes sur des dossiers largement créés de toutes pièces ou amplifiés à l’infini en chambre d’écho. Il faut lire le très long article d’une des principales victimes, le journaliste Vincent Glad, paru le 23 février 2020 dans la revue en ligne Médium pour se rendre compte de l’enchaînement infernal et des profonds dégâts humains. Inventaire un an plus tard.
Les débuts en 2010
En octobre 2010 la Ligue n’est qu’un forum privé de conversation sur Facebook comme il en existera des milliers. Ce groupe informel rassemble suivant les années entre 20 et 30 personnes, la plupart journalistes, communicants, graphistes, artistes, étudiants attardés etc. Au total une quarantaine de personnes fréquenteront le Forum dont un quart de femmes. Le groupe s’exprime surtout sur Twitter, pratique l’auto-dérision et l’humour vache, tout le monde se moque de tout le monde, dans une atmosphère d’adulescents entrant dans leur vie professionnelle. Le forum/groupe est une sorte de Guignols de l’info des réseaux sociaux, pratiquant « private jokes », un humour parfois lourdingue, une atmosphère de copains et copines qui regardent un match de foot, quelques bières à la main, ce qui facilite rarement la finesse et la retenue, mais n’a rien de criminel.
4 février 2019, ouverture des hostilités
C’est un journaliste qui se sent « victime », Thomas Messias, qui ouvre le feu, dénonçant un « journaliste modèle » (dans lequel tout le monde reconnaît Vincent Glad, y compris l’intéressé) qui pratiquerait le harcèlement systématique sur ses consœurs dans une atmosphère sexiste. Dans la foulée une liste est postée anonymement sur Pastebin donnant 35 noms de membres de la Ligue avec les références de leurs employeurs pour demander leur licenciement. Tout ceci se passe dans le petit monde libéral libertaire circonscrit par Libération, Les Inrocks, Télérama etc. Des mœurs charmantes et révélatrices d’une certaine ambiance culturelle. L’effet de meute fonctionne, un blog antifa menace un des membres de la Ligue de le « traquer jusque dans les chiottes » (sic). Parmi ceux qui ont été anonymement dénoncés, 8 sont mis à pied puis licenciés par leurs employeurs.
Emballement et mise à mort par les confrères
Ceux qui ont élevé des poules ou les ont observées connaissent le phénomène du « piquage ». Nous empruntons au site spécialisé 300 œufs leur définition : « les poules peuvent devenir de charmants cannibales. Dès lors qu’une poule se met à saigner, cela attire les autres qui peuvent s’acharner jusqu’à ce que mort s’ensuive. Et même si elles ne vont pas jusqu’à assassiner leur congénère, celle-ci peut se retrouver affaiblie et dépérir ». Les hommes imitent parfois les gallinacés et au-delà.
C’est ce qu’ont pratiqué certains aimables confrères journalistes : quelques poules saignent, on peut les assassiner. Le Monde titre le 15 février 2019 « La Ligue du LOL pourrait être notre affaire Weinstein », rien que ça dans un dossier où il n’y a aucun soupçon de viol ni d’agression sexuelle. France Culture renchérit le 3 avril « Sur l’aspect fasciste, le choix des cibles de la Ligue du LOL est révélateur ». Comme quoi le fascisme a toujours bon dos. Le New York Times reprend sans enquête les informations de ses confrères français “Facebook Group of French journalists harassed women for years” (un groupe Facebook de journalistes français a harcelé des femmes pendant des années).
L’inversion accusatoire
Au tout début de l’affaire les accusés, pris dans la tourmente et certains à l’étranger, vont commettre une erreur : ils vont s’excuser. Et ces excuses vont valoir de preuves pour toutes les accusations, y compris celles qui ne sont étayées par rien. Non, une journaliste n’a pas été agressée lors du tournage d’une émission de France 5. Non, le groupe ne se réunissait pas pour truster les places dans les rédactions en éliminant les adversaires à coups d’actes délictuels coordonnés comme le dit RFI le 16 février parlant de « logique de prise de pouvoir » et du « sexisme et du racisme induit par certains comportements ».
Certains membres de la Ligue (et d’autres par contagion) vont effacer certains tweets ou essayer de les effacer. Conclusion des accusateurs : si les preuves manquent c’est que les accusés les ont supprimées. On ne raisonnait pas autrement au temps de l’Inquisition ou de la Stasi. Pile, vous avouez (les excuses), vous êtes possédé par le diable, on vous brûle. Face, vous niez, c’est la preuve absolue de votre diablerie, au bûcher ! Le tout avec la joie mauvaise de confrères jaloux ou heureux de voir siffler les balles sans être touchés eux-mêmes, « nous avons toujours besoin de rendre quelqu’un responsable de nos ennuis et de nos malheurs » (Pirandello).
Biais de confirmation et baudruche dégonflée
Quand l’histoire est trop belle, on veut y croire, surtout dans un milieu journalistique où on veut aller plus vite que le voisin pour publier le premier et où on ne déteste pas dénigrer le journaliste d’à côté, en toute confraternité. Un an plus tard aucune inculpation n’est prononcée et l’AFP parle seulement d’« une vingtaine de personnes accusées ». Mais Wikipedia continue de reprendre les accusations les plus fantaisistes, les menaces de mort que reçoivent les accusés et accusées sont nombreuses. L’une d’entre elles peut lire sur les réseaux sociaux des mots doux tels que « on devrait te raser comme les putes collabos ». Pire, El Pais, Il Fatto quotidiano, le Guardian, le NYT, la BBC, le Spiegel et bien d’autres ont colporté les rumeurs les plus fantaisistes, marquant au fer rouge les mis en cause. La plupart des licenciés n’ont pas retrouvé de travail, ils sont comme disent les djeunes « cancelled », annulés, frappés d’indignité numérique. On ne sache pas qu’aucun des accusateurs se soit excusé de cette chasse à l’homme entre amis. Les réseaux sociaux ont largement repris l’article de Médium, les médias de grand chemin pas du tout. Comme le disait La Rochefoucauld, « dans l’adversité de nos meilleurs amis, nous trouvons quelque chose qui ne nous déplaît pas ». Vae victis.
Pour aller plus loin : voir nos précédents articles sur le sujet
- En février 2019 en pleine tourmente : La Ligue du LOL, la souris accouche d’une montagne
- Un premier papier de Médium en juillet 2019 : Retour sur la Ligue du LOL, une analyse fouillée sur Medium
- Une remise en contexte avec ceux/celles qui ont profité de l’affaire pour obtenir une promotion : Ligue du LOL suite, remise en contexte