Le CSA s’est-il fait avoir dans l’affaire de la chaîne Numéro 23 ? Cette chaîne de la « diversité » avait obtenu sur ce valeureux programme une fréquence publique, donc gratuite, en avait finalement fait une chaîne fourre-tout avant de la revendre 90 millions d’euros au groupe NextRadioTV qui lorgnait une fréquence disponible. Un « casse du siècle » analysé par l’Ojim sur lequel une note récente du CSA jette une lumière crue capable de faire capoter la vente.
C’est le Canard Enchaîné du 1er juillet qui s’étend longuement sur cette note remise par les services du CSA à Olivier Schrameck, le président de l’instance. Grâce à cette note pour le moins sévère avec la chaîne, il peut reprendre la main dans cette affaire qui l’a chahuté encore plus que la grève historique de France Info. Les enquêteurs du CSA ont en effet découvert que la chaîne Numéro 23 avait un puissant actionnaire étranger – l’oligarque russe Alicher Ousmanov et son groupe UTH Russia. Un pacte d’actionnaires a été signé le 21 octobre 2013 entre l’impétrant et Houzelot. Resté secret, il prévoit l’injection de 10 millions d’euros par le russe – pas très loin du montant annuel des pertes – et « la vente de la société dès que possible, à partir de janvier 2015 ». Ce qui s’est précisément passé, puisque grâce à son entregent Houzelot s’est démené pour réussir l’opération, après avoir réussi grâce à son réseau à obtenir l’attribution d’une fréquence dans des conditions pour le moins obscures détaillées par Le Point et par une enquête très fouillée de Lyon Capitale.
Le groupe russe ne possède que 15% des parts mais possède une minorité de blocage : « aucune décision d’assemblée générale extraordinaire », telle que la cession de la chaîne, ne peut être prise « sans l’aval d’UTH Russia ». Or, selon les enquêteurs du CSA, cela contrevient à l’article 40 de la loi du 30 septembre 1986 selon laquelle un étranger ne peut pas posséder « plus de 20% du capital social ou des droits de vote » d’un média français.
Alicher Bourkhanovitch Ousmanov, milliardaire russo-ouzbek, a un profil assez proche de Xavier Niel en France par ses investissements dans les médias – le groupe de presse économique Kommersant – et les telecoms (Megafon et Yota.ru). Il possède également 25% du club de foot anglais Arsenal, et la majorité des actions du portail internet Mail.ru et de la chaîne sportive 7TV. Enfin il est le directeur général de GazpromInvestHolding, filiale de Gazprom, entreprise stratégique s’il en est, puisqu’elle a pour but de récupérer les dettes consenties par le géant russe du gaz ou de les convertir en actifs – notamment des gisements et des infrastructures de transport. Par ailleurs, il fait partie du top 5 des mécènes russes, achetant régulièrement des biens russes devenus propriété d’étrangers pour les faire revenir au pays – ainsi des droits exclusifs sur les dessins animés russes du studio By Jove Inc transmis à la chaîne pour enfants Bibigon ou de la collection d’œuvres d’art de Rostropovitch et de Galina Vishnevskaya.
Les enquêteurs du CSA déplorent que le pacte d’actionnaires leur ait été transmis tardivement, et que la vente puisse « régulariser une situation non-conforme depuis octobre 2013 ». Il reste à savoir par quoi était occupée leur attention tous ces mois ? Les dîners mondains de Houzelot ? Il y a mieux encore. Selon le journal satirique, Pascal Houzelot a aussi signé, en mai 2014 cette fois, avec un investisseur qatari. Qipco (Qatar Investment & Projects Developement Holding Company), détenu par cheikh Hamad ben Khalifa al Thani, ex-émir du Qatar (1995–2013) et qui reste après son abdication un personnage clé dans le royaume gazier dont il a fait un lieu important du capitalisme mondial et une puissance capable d’investir à tout va… et de séduire ces vieux européens désargentés que sont devenus les dirigeants français. Ce groupe a prêté 5 millions d’euros à Numéro 23, sous forme d’obligations convertibles en actions dans cinq ans. L’on pourra toujours se demander si les russes et les qataris ont remis au pot par pure philanthropie, ou pour pouvoir participer à une opération écrite d’avance qui leur aurait permis de récupérer leur mise, avec de solides bénéfices à la clé.