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La poussée de l’AfD en ex-Allemagne de l’Est vue par les médias français : point Godwin à tous les étages

9 septembre 2019

Temps de lecture : 7 minutes
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La poussée de l’AfD en ex-Allemagne de l’Est vue par les médias français : point Godwin à tous les étages

Temps de lecture : 7 minutes

Le point Godwin a été très vite atteint par les médias français une fois connus les très bons résultats du parti Alternative pour l’Allemagne (Alternative für Deutschland, AfD) dans les Länder du Brandebourg et de la Saxe, tous deux situés en ex-Allemagne de l’Est.

Rappel des résultats

Pour rap­pel, les habi­tants de ces deux régions renou­ve­laient leur par­lement le dimanche 1er sep­tem­bre 2019 et l’AfD, arrivée deux­ième, juste der­rière le SPD social-démoc­rate dans le Bran­de­bourg et der­rière la CDU en Saxe, y a plus que dou­blé ses scores de 2014 en y obtenant respec­tive­ment 23,5 % et 27,5 % des voix dans un con­texte de par­tic­i­pa­tion en forte hausse. L’AfD est un par­ti libéral-con­ser­va­teur créé en 2015 qui a ensuite évolué vers une ligne plus nationale-con­ser­va­trice à la faveur de la grande crise migra­toire des années 2015–16.

Amalgames en série

Le 1er sep­tem­bre, c’était aus­si le jour où l’on com­mé­morait les 80 ans de l’attaque de l’Allemagne nationale-social­iste con­tre la Pologne, une attaque qui déclen­cha la Sec­onde Guerre mon­di­ale. C’était donc un moment prop­ice aux amal­games faciles en met­tant les deux événe­ments en par­al­lèle, comme l’a fait par exem­ple TV5 Monde en pub­liant sur son site le soir des com­mé­mora­tions un arti­cle inti­t­ulé : « Alle­magne : entre com­mé­mora­tion de la Sec­onde Guerre mon­di­ale et pro­gres­sion de l’ex­trême droite ». Et TV5 Monde de relater dans un même arti­cle les deux événe­ments du jour : com­mé­mora­tions en Pologne et dis­cours remar­qué du prési­dent alle­mand Frank-Wal­ter Stein­meier, qui a demandé par­don aux Polon­ais, et «men­ace de l’extrême droite» qui «est pour­tant tou­jours présente en Alle­magne». Dans un petit rap­pel his­torique de la mon­tée de «l’extrême droite» en ex-RDA, la jour­nal­iste Nadia Bouchen­ni met ensuite sur le même plan l’AfD et le Nation­aldemokratis­che Partei Deutsch­lands (NPD), un par­ti sou­vent présen­té comme néo-nazi et qui a fait dans le passé l’objet de plusieurs procé­dures d’interdiction (qui n’ont toute­fois jamais abouti). Pourquoi l’AfD obtient-elle donc de bons scores en ex-RDA ? Parce que « après la chute du mur de Berlin et la réu­ni­fi­ca­tion des deux Alle­magne, l’ancienne Alle­magne de l’Est (RDA) devient le ter­reau d’une renais­sance de l’idéologie néon­azie » et que « le tra­vail de mémoire y a été moins intense qu’en Alle­magne de l’Ouest ».

France 24 assure de son côté que «Ces scruti­ns régionaux ont aus­si démon­tré que les électeurs en ex-Alle­magne de l’Est n’hésitent pas à vot­er AfD, même si la tête de liste cache à peine ses sym­pa­thies pour une extrême-droite aux relents néon­azis assumée.» Le média pub­lic français ren­voie ses lecteurs à un arti­cle de Die Welt dans lequel Andreas Kalb­itz, tête de liste de l’AfD dans le Bran­de­bourg, con­cède avoir par­ticipé au début des années 90 à un camp d’été d’une organ­i­sa­tion de jeunesse d’extrême droite à ten­dance néo-nazie, mais rap­pelle avoir déjà recon­nu publique­ment ses erreurs de jeunesse (ce que France 24 appelle « cacher à peine ses sym­pa­thies ») et assure rejeter aujourd’hui, tout comme son par­ti AfD, toute sorte « d’extrémisme de droite ». On aimerait que les médias publics français affichent la même intran­sigeance et le même refus du par­don pour le passé des nom­breux anciens trot­skystes et autres com­mu­nistes révo­lu­tion­naires ex-fans des crim­inels con­tre l’humanité Staline, Mao et Pol Pot qui peu­plent une par­tie de nos grands médias (dont ces médias publics, justement).

Libération, l’art de la photo suggestive

Un jour­nal qui se réjouis­sait ouverte­ment à une époque de l’entrée des Khmers Rouges dans Phnom Pen, c’est Libéra­tion. Aujourd’hui, pour accom­pa­g­n­er un entre­tien avec un soci­o­logue alle­mand « spé­cial­isé dans l’extrémisme de droite », pub­lié le 3 sep­tem­bre et inti­t­ulé « Régionales en Alle­magne : ‘L’AfD mène une guerre cul­turelle’ », Libéra­tion a choisi une pho­to où l’on voit Andreas Kalb­itz pen­dant la soirée élec­torale pris dans une pos­ture rap­pelant un salut nazi qui serait exé­cuté avec le bras gauche. Il est vrai que le salut nazi s’exécute nor­male­ment avec le bras droit, mais les lecteurs de Libéra­tion s’en seront-ils aperçus ? Cepen­dant le jour­nal ne dit nulle part qu’il s’agirait d’un salut nazi, et sur le plan formel on ne peut donc lui reprocher aucun men­songe direct ou manip­u­la­tion. Cela tient plus du mes­sage sub­lim­i­nal, sans doute plus effi­cace. 

Le Monde et l’islamophobie

L’autre jour­nal de la gauche libérale lib­er­taire, Le Monde, recourt lui aus­si au point God­win face à l’AfD dans un arti­cle du 1er sep­tem­bre inti­t­ulé « Scruti­ns régionaux en Alle­magne : ‘Ça peut dif­fi­cile­ment aller mieux’ pour l’extrême droite », dans lequel le jour­nal­iste Thomas Wieder explique : « Dans le Bran­de­bourg, l’homme fort de l’AfD s’appelle Andreas Kalb­itz, une fig­ure de l’ultra-droite dont la presse a révélé qu’il avait par­ticipé à des rassem­ble­ments néon­azis à la fin des années 2000. En Saxe, le chef de l’AfD est Jörg Urban, qui a œuvré au rap­proche­ment du par­ti avec le mou­ve­ment islam­o­phobe Pegi­da, con­tre l’avis des plus mod­érés. » « Les rassem­ble­ments néon­azis à la fin des années 2000 », c’est en fait une man­i­fes­ta­tion en 2007 à Athènes organ­isée par le par­ti grec d’extrême droite Aube doré, qui réfute toute­fois lui-même le qual­i­fi­catif de néon­azi ou fas­ciste, et à laque­lle Andreas Kalb­itz avait effec­tive­ment par­ticipé. Quant à Pegi­da, c’est le mou­ve­ment de protes­ta­tion con­tre l’immigration de masse, en prove­nance notam­ment de pays musul­mans, né en réac­tion à la grande crise migra­toire de 2015, quand Angela Merkel avait fait entr­er dans son pays un mil­lion d’immigrants illégaux.

Même chose dans l’éditorial du Monde du 2 sep­tem­bre inti­t­ulé « Alle­magne : éviter un nou­veau mur », dans lequel la rédac­tion écrit que « Andreas Kalb­itz, qui dirige la fédéra­tion du Bran­de­bourg, a fréquen­té des groupes néon­azis dans sa jeunesse. Jörg Urban, l’homme fort de l’AfD en Saxe, a rap­proché celui-ci du mou­ve­ment islam­o­phobe Pegi­da.»

Le Figaro posait la ques­tion le 2 sep­tem­bre, sous forme de titre : « Qu’est-ce que l’AFD, le par­ti d’extrême droite qui perce en Alle­magne ? ». Et le jour­nal­iste Stanis­las Poyet d’affirmer dans son arti­cle que «L’AFD se droi­tise et se rap­proche du révi­sion­nisme his­torique en rel­a­tivisant les hor­reurs de la péri­ode nazie.», en allu­sion aux pro­pos du co-prési­dent du par­ti Alexan­der Gauland, qui, souhai­tant pro­mou­voir les aspects posi­tifs de l’histoire de son pays, avait jugé que « Hitler et le nation­al-social­isme ne sont que du pipi de chat sur mille ans d’his­toire alle­mande vic­to­rieuse. » Gauland s’était ensuite défendu de tout révi­sion­nisme, tout comme le Français Jean-Marie Le Pen après l’histoire des cham­bres à gaz, «point de détail» de l’histoire, mais ses pro­pos en faveur d’une réha­bil­i­ta­tion de la fierté nationale alle­mande sont sou­vent cités pour accuser l’AfD de révi­sion­nisme, même si son par­ti avait pris ses dis­tances avec la for­mu­la­tion util­isée par son co-prési­dent. Ici aus­si, on dénote un cer­tain deux poids, deux mesures des grands médias puisque le révi­sion­nisme his­torique de la chaîne publique ZDF, con­trôlée par la coali­tion CDU-SPD au pou­voir, choque beau­coup moins dans les chau­mières de la grande presse des deux côtés du Rhin.

Ouest-France plus circonspect

Ouest-France a été plus direct que Le Figaro dans la ques­tion posée en titre de son arti­cle du 2 sep­tem­bre com­men­tant les bons résul­tats de l’AfD: « Néon­azi, pop­uliste ou d’ex­trême droite… Com­ment qual­i­fi­er l’AfD, le sul­fureux par­ti poli­tique alle­mand ? ». Réponse «nuancée» d’un secré­taire général du Comité d’études des rela­tions fran­co-alle­man­des (Cer­fa) à l’Institut français des rela­tions inter­na­tionales dégot­té par le jour­nal­iste Fabi­en Cazenave: «‘néon­azi à la marge et d’extrême droite oui… mais par­tielle­ment’, explique-t-il.C’est un par­ti com­pos­ite qui réu­nit des élé­ments d’extrême droite et des élé­ments con­ser­va­teurs nation­al­istes, mais qui est encore dans le spec­tre poli­tique répub­li­cain».

Ouf, 80 ans après le début de la guerre la plus meur­trière de l’histoire de l’humanité, nous voilà ras­surés ! Enfin, presque…

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