[Première diffusion le 5 avril 2016] Rediffusions estivales 2016
Comme en France de plus en plus d’Allemands se méfient de la presse de leur pays, une presse en perte de vitesse et surtout de prestige. Mensonges, manque de pluralisme, carences dans la vérification des sources, tous ces facteurs expliquent la baisse de confiance des lecteurs.
La presse allemande jouissait depuis 1945 d’une réputation de sérieux et d’un prestige indéniables. Ce n’est pas que la concentration y fasse complètement défaut : on se rappellera du groupe de presse Springer, qui contrôle tout de même 180 journaux et magazines nationaux et régionaux, dont le fameux tabloïd Bild Zeitung, informant entre 20 et 25% des Allemands. Et on se souvient aussi de la vindicte que la gauche et l’extrême-gauche allemandes ont toujours vouée à Axel Springer (1912–1985), homme résolument conservateur voire réactionnaire, viscéralement anticommuniste et anti-intellectuel, vindicte qui a trouvé dans le fameux roman L’honneur perdu de Katharina Blum de Heinrich Böll et le film homonymes de Rainer-Werner Fassbinder son point culminant.
La majorité des journaux allemands reste cependant – à la différence de leurs homologues français – indépendants grâce à un électorat dispersé, à des tirages très supérieurs à ceux de la presse française et à de bons équilibres financiers. La presse allemande ne survit pas comme en France grâce aux seules subventions directes et indirectes des contribuables.
Et pourtant cela grince dans les chaumières des lecteurs depuis quelques temps déjà, et notamment depuis qu’une presse de réinformation, inégale mais de plus en plus audible, a fait son apparition notamment sur Internet. Le terme de « Lügenpresse » (presse mensongère), qui a été usité par tous les opposants aux régimes allemands en place depuis 1848, est revenu en force sur le devant de la scène. Et les journalistes pincés de rappeler que ce terme a « souvent été par le passé utilisé par les extrêmes » et de se défendre de tout manquement.
Mais qu’en est-il vraiment ? Pour en avoir le cœur net, le quotidien Die Zeit (« Le temps ») a fait réaliser, il y a quelques mois déjà, une enquête auprès du public par l’institut infratest dimap. Die Zeit n’est pas un des « trois grands » quotidiens allemands (qui sont FAZ, Die Welt et Süddeutsche Zeitung). Il fait partie, avec un tirage de tout de même près de 500 000 exemplaires, du deuxième rang seulement des quotidiens nationaux allemands. Il présente aussi quelques caractéristiques uniques : il est exceptionnellement épais, donne la parole à plusieurs opposants dans le cadre de débats contradictoires, et est l’un des seuls journaux à ne pas s’afficher « unabhängig » (indépendant) et « unparteilich » (non partisan). Dirigé pendant des décennies par l’ancien chancelier fédéral Helmut Schmidt (1983–2015), il n’a en effet jamais caché ses sympathies sociales-démocrates.
Les résultats sont clairs et dépassent largement le problème d’une frange extrémiste marginale : le fait est que la méfiance d’une vaste frange du public allemand vis-à-vis des médias croît. Les Allemands s’informent en effet majoritairement en regardant la télévision ; en second lieu en lisant la presse et en troisième position sur Internet, où les qualités sont très variables.
Si les médias écrits conservent donc un atout indéniable, le ver est bel et bien dans le fruit : 60% des personnes interrogées n’ont en effet aucune confiance (53%) ou seulement une confiance limitée (7%) dans la presse écrite contre 40% de personnes confiantes. La confiance a baissé chez 25% des gens au cours de ces dernières années. Les causes de la méfiance grandissante du grand public sont encore plus inquiétantes car elles touchent à la qualité et au sérieux : 27% personnes interrogées estiment en effet que l’information est volontairement biaisée et manipulée, ou bien unilatérale (20%). 15% des personnes interrogées estiment que certaines recherches sont mal faites ou insuffisantes.
Et pourtant, 10% seulement des Allemands estiment que leur presse n’est pas indépendante. C’est donc bien la chape de plomb du « politiquement correct » qui est en cause… Les contraintes économiques obligeront-elles les journaux allemands à réviser leur position ? C’est en fait ce que sous-entend Die Zeit, en publiant des résultats qui déconseillent de se contenter de jeter l’anathème sur ceux qui parlent de « Lügenpresse ». Car le mal est profond.