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La presse aux ordres est unanime : Poutine est un menteur et Carlson un idiot utile

17 février 2024

Temps de lecture : 5 minutes
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La presse aux ordres est unanime : Poutine est un menteur et Carlson un idiot utile

Temps de lecture : 5 minutes

Il était le premier à obtenir une interview de Poutine depuis le début de la guerre en Ukraine, et ses confrères occidentaux jaloux ne le lui ont pas pardonné. Pour tous les médias, l’interview fleuve de Vladimir Poutine par Tucker Carlson s’approcherait plus de la caisse de résonance que de la contestation journalistique.

Une interview qui permet à Poutine de répéter ses sempiternels messages

L’interview de Pou­tine par Carl­son com­mence par un long retour sur l’histoire mêlée de la Russie et de l’Ukraine. 20 Min­utes, rejoint sur ces ter­mes par Cap­i­tal et l’Obs, par­le ain­si d’une « longue leçon d’histoire très sub­jec­tive » et le Huff­in­g­ton Post accuse l’ancien ani­ma­teur de Fox News d’avoir per­mis à Vladimir Pou­tine « de dérouler son roman his­torique russe sans la moin­dre con­tra­dic­tion ». Une vision partagée par CNN qui con­sid­ère qu’il lui a lais­sé « le champ libre pour manip­uler le pub­lic et racon­ter sa ver­sion de l’histoire ». Ver­sion d’ailleurs con­testée par Euronews qui affirme que « l’his­toire sécu­laire de l’Ukraine est un fait his­torique établi. »

Mais au fond, cette leçon d’histoire n’est peut-être pas ce qui a le plus choqué les médias occi­den­taux. Après tout, la plu­part des événe­ments évo­qués, qu’il s’agisse de guer­res ou de répar­ti­tions ter­ri­to­ri­ales, sont véri­fi­ables, et tout his­to­rien admet que l’histoire n’est jamais objec­tive. En revanche, on ne par­donne pas à Tuck­er Carl­son d’avoir lais­sé Vladimir Pou­tine dis­penser ses mes­sages habituels sur la non‑responsabilité de la Russie dans la guerre con­tre l’Ukraine « sans être le moins du monde con­testé », comme l’écrit Le Monde. Ce dernier titre ain­si « Vladimir Pou­tine déroule sa vision d’une Russie provo­quée par Kiev et les Occi­den­taux » et Le Point estime que « face à un Tuck­er Carl­son atten­tif, le prési­dent russe a pu dérouler un dis­cours légiti­mant l’agression de l’Ukraine. » Boule­vard Voltaire quant à lui, con­firme que l’entretien a « per­mis à Pou­tine, presque sans être inter­rompu, de dérouler sa com­mu­ni­ca­tion stratégique. »

Le point de vue de l’OTAN répété partout

Enfin, cer­tains médias récusent les affir­ma­tions de Vladimir Pou­tine, faisant en cela le tra­vail qu’ils auraient voulu réal­isé par Tuck­er Carl­son. Euronews pré­cise que « la Russie a déclenché la guerre en 2014, lorsqu’elle a annexé la Crimée », et « a ensuite com­mencé son inva­sion à grande échelle de l’Ukraine en févri­er 2022. » Le Point revient sur les affir­ma­tions de Pou­tine qui con­sid­ère que les exten­sions de l’OTAN ont vio­lé des accords tacites, rap­pelant que ses pro­pos ont été « démys­ti­fiés à de nom­breuses repris­es par les his­to­riens et les spé­cial­istes. » Vladimir Pou­tine a égale­ment rap­pelé l’applaudissement d’un ancien com­bat­tant SS ukrainien au Par­lement cana­di­en, en sep­tem­bre 2023 et en présence du prési­dent Zelen­sky. Le Point con­sid­ère ce fait comme « une erreur du prési­dent du Par­lement, qui avait par la suite démis­sion­né. » Enfin, il rap­pelle que la Pologne et la Let­tonie « aler­tent sur la men­ace d’une inva­sion russe d’i­ci quelques années », même si Vladimir Pou­tine a nié tout intérêt russe pour ces pays.

Voir aus­si : Liste des Young Lead­ers de la French Amer­i­can Foundation

Tucker Carlson, journaliste désavoué par la profession

Si la grande star de l’interview était Vladimir Pou­tine, Tuck­er Carl­son est loin d’être un incon­nu, et surtout il est loin d’être appré­cié par la pro­fes­sion. « Sul­fureux jour­nal­iste » pour Le Figaro, « chantre du com­plo­tisme améri­cain » pour L’Express, Tuck­er Carl­son ne pou­vait que dif­fi­cile­ment sor­tir gag­nant de l’exercice. On lui reproche d’avoir été « con­ciliant » pour Le Point, et Boule­vard Voltaire con­firme que « Carl­son, pour­tant ordi­naire­ment pugnace, ne s’est pas com­porté en jour­nal­iste. » Le Figaro con­sid­ère lui aus­si que « sa pos­ture, sou­vent inter­loquée et dénuée de répar­tie face au chef du Krem­lin, sem­ble avoir porté préju­dice à sa crédi­bil­ité. » « On a con­nu inter­vieweur plus pugnace », tacle Le Point.

Voir aus­si : Le Point et la guerre russo-ukrainienne

Le Monde aligné sur CNN

La pro­fes­sion estime que son tra­vail auprès de Vladimir Pou­tine n’a rien d’une inter­view. Le Monde par­le d’une « opéra­tion de com­mu­ni­ca­tion » et même d’une « véri­ta­ble opéra­tion de pro­mo­tion » et Boule­vard Voltaire d’un « savant mélange de vrai et de faux, d’objectivité et de sub­jec­tiv­ité, de pon­cifs et de révéla­tions. » Pour CNN, le prési­dent russe s’est accordé une « vic­toire de pro­pa­gande », et pour le Huff­in­g­ton Post : « Vladimir Pou­tine a prof­ité de l’interview de Tuck­er Carl­son pour s’adresser aux répub­li­cains améri­cains. » Au reste, si l’on en croit L’Express, l’entretien fai­sait « déjà saliv­er les trump­istes. » Ces derniers « mili­tent au Con­grès pour l’arrêt des aides à l’Ukraine » et l’interview de Vladimir Pou­tine par un jour­nal­iste favor­able à leur can­di­dat était donc « une aubaine », tou­jours selon L’Express.

Bref, l’interview de Vladimir Pou­tine n’aurait con­va­in­cu per­son­ne. Ceux qui sou­ti­en­nent Vladimir Pou­tine le sou­ti­en­nent un peu plus, et ceux qui ne le soute­naient pas fusti­gent l’entretien, qui n’a d’ailleurs pas apporté grand-chose de nou­veau. « Si l’ambition de Tuck­er Carl­son était de faire enten­dre une parole jamais enten­due, l’exercice est raté », raille Le Monde, rejoint par Le Figaro qui estime que « Vladimir Pou­tine n’a guère apporté d’élé­ments nou­veaux dans cette inter­view de plus de deux heures. » Une décep­tion qui sera dif­fi­cile­ment par­don­née à Tuck­er Carl­son, qui affir­mait sur Fox News que « pas un seul jour­nal­iste étranger [n’avait] pris la peine d’interviewer » Vladimir Pou­tine. D’autant que cette affir­ma­tion peut être con­testée : même si aucun n’a réus­si, nom­breux sont les jour­nal­istes qui ont essayé d’interviewer le prési­dent russe. Il ne resterait à Tuck­er Carl­son qu’une répu­ta­tion d’arrogant qui a réus­si là où les autres ont échoué. L’Express l’accuse de se « gar­garis­er » d’avoir financé son voy­age sans aide gou­verne­men­tale, et de se « van­ter » d’avoir obtenu un entre­tien finale­ment sur­coté. Une « prise de guerre » pour repren­dre les mots de L’Express. Mais l’hebdomadaire d’Alain Weill et Patrick Drahi – devenu une copie en français de l’anglais The Econ­o­mist — oublie de men­tion­ner que l’entretien a déjà été vu 200 mil­lions de fois, une prise de guerre que beau­coup doivent envi­er secrètement.

Voir aus­si : L’Express ou l’anti-journalisme

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