Les Polonais, pendant la campagne du deuxième tour du nouveau président français Emmanuel Macron, ont été menacés de sanctions et relégués au rang des pays à régime autoritaire (en même temps que la Hongrie et la Russie) où les libertés sont bafouées.
Sur les bords de la Vistule, les médias n’ont pas manqué de relever la contradiction entre l’européisme enthousiaste affiché par Macron et sa manière d’insulter et menacer des pays partenaires au sein de l’UE et de l’OTAN comme sans doute jamais aucun candidat à la présidence de la République française ne l’avait fait avant lui. C’est ce qui a fait dire au plus gros hebdomadaire d’actualité, Gość Niedzielny (catholique) que les convictions pro-européennes de Macron étaient en réalité très franco-françaises. Pour Gość Niedzielny, les dirigeants français ont du mal à accepter que leurs homologues polonais fassent comme eux, c’est-à-dire qu’ils fassent passer les intérêts de leur pays avant ceux des autres. L’hebdomadaire wSieci (conservateur, pro-PiS) décrit une hostilité traditionnelle de la France envers la Pologne qui est remise au goût du jour par Emmanuel Macron. Pour wSieci, Macron risque de générer de fortes divisions dans l’UE avec sa vision typiquement française d’une UE non élargie : « Emmanuel Macron est le premier leader européen aussi influent avec une stratégie de division sérieuse de l’Union européenne, jusqu’à revenir, au moins dans une certaine mesure, sur le grand élargissement de 2004. ». Do Rzeczy (conservateur) soulignait déjà en mars que le choix par les électeurs français du fédéraliste libéral-libertaire Macron, partisan d’une Europe à deux vitesses, ne serait pas une bonne chose du point de vue de Varsovie et que l’élection de François Fillon, même s’il était en apparence plus pro-russe, aurait été préférable pour éviter le risque de confrontations stériles entre États membres et de morcellement de l’Union européenne. Bien entendu, pour ces médias conservateurs comme pour leurs concurrents libéraux et gaucho-libertaires, l’élection de Marine Le Pen, assimilée à la quasi-certitude d’un Frexit et de la fin de l’UE, n’aurait pas non plus été une bonne chose.
« À Paris rien de nouveau » — « Victoire du candidat de la grande finance et de la maçonnerie », titrait le quotidien catholique Nasz Dziennik tout en bas de sa Une le mardi 9 mai. A l’intérieur, on soulignait le soutien du Grand Orient de France et de la Grande Loge de France au candidat du Système : « Le 7 mai 2017 ne fera pas date dans l’histoire de la France. Emmanuel Macron, le favori des dignitaires, de l’establishment politico-médiatique français et de la grande finance, est devenu le 8e président de la Ve République. La présidence de Macron va signifier la poursuite de la politique de François Hollande, de l’impuissance face à l’immigration illégale et l’aggravation de l’insécurité des citoyens français. » Face à lui, rappelle le journal, le FN n’est plus vraiment un parti national-conservateur. « Pour la Pologne, l’élection d’Emmanuel Macron va impliquer l’aggravation des divisions au sein de l’Union européenne et le renforcement des pressions sur notre pays de la part des institutions de l’UE. La politique étrangère polonaise doit d’autant plus chercher à renforcer la solidarité et la collaboration entre les États d’Europe centrale, et en premier lieu ceux du Groupe de Visegrád. », prévenait encore Nasz Dziennik.
Également conservateur mais plus proche du PiS, le quotidien Gazeta Polska codziennie du 9 mai ne mentionnait la victoire de Macron qu’en coin de sa Une avec la mention : « Berlin a poussé un soupir de soulagement après la victoire de Macron ». Par contre, comme pour souligner l’hostilité de la France macronienne vis-à-vis de la Pologne, la grande Une concernait… un film américain, « Asile », qui raconte l’histoire de Jan et Antonina Żabinski qui s’occupaient du zoo de Varsovie pendant la Deuxième guerre mondiale et qui ont, au risque de leur vie, caché des juifs : aucune salle de cinéma française n’aurait accepté de projeter ce film. Pour le journal, qui n’a sans doute pas tout à fait tort, c’est parce qu’il va à l’encontre du stéréotype du Polonais antisémite très présent en France. Quant au commentaire en page 2 consacré à l’élection française, il constate que les deux candidats du deuxième tour étaient un mauvais choix pour la Pologne : Marine Le Pen, mais aussi Macron qui traite de dictateurs ceux qui refuse d’accueillir « les extrémistes islamiques qu’on appelle immigrants ».
Ceci dit, les médias hostiles au gouvernement conservateur aux commandes à Varsovie ont, eux, apprécié la victoire du candidat des grands médias français et ont surtout poussé un énorme soupir de soulagement avec la défaite de Marine Le Pen. « Les Français n’ont pas tué l’Union européenne – Emmanuel Macron a largement battu Marine Le Pen. C’est un soulagement pour la France, l’Europe et le monde », écrivait ainsi le quotidien libéral Rzeczpospolita dans son édition du 8 mai sur sa Une aux 3/4 consacrée à l’élection française. Mais Rzeczpospolita soulignait aussi le nombre record de voix pour Marine Le Pen et le premier tour qui a montré, avec les voix pour Mélenchon, que 43 % des électeurs n’accepte pas l’économie de marché, l’intégration européenne et l’OTAN. Le risque pour Rzeczpospolita, c’est un échec de Macron et une victoire du Front national en 2022.
Le journal libéral-libertaire Gazeta Wyborcza, fidèle à son habitude, n’a pas fait dans la dentelle. Consacrant toute sa Une et deux pages intérieures à la victoire d’Emmanuel Macron que l’éditorial du jour qualifie de victoire de l’Europe démocratique sur le nationalisme, la haine et le fascisme. La situation est bien entendu comparée aux années 30, point Godwin oblige, mais le journal se réjouit de ce « happy end » par la voix de son correspondant Piotr Moszyński, qui est également journaliste chez RFI. « Mais les 35 % pour Le Pen signifient que l’extrême droite est devenue éligible », avertit le journal polonais de référence des médias français.
Dans les hebdomadaires de la gauche anti-PiS, Polityka fait un parallèle entre Marine Le Pen et le PiS en Pologne pour son exploitation des sentiments antiallemands, puisque Macron a été qualifié de candidat de Merkel. Entre les deux tours, Newsweek parlait de Marine Le Pen comme de la candidate des ouvriers dans une France qui perd ses usines et se paupérise et soulignait aussi que beaucoup d’électeurs d’Emmanuel Macron votent en fait contre Le Pen plutôt que pour Macron. Pour finir, Newsweek prévoit que si le candidat de la France « libérale, ouverte, proeuropéenne » ne parvient pas à combler le fossé avec la France « fermée, hostile au monde et à la globalisation, eurosceptique », c’est Marine Le Pen qui remportera les élections dans cinq ans.
Contrairement aux journaux conservateurs, les journaux de gauche considèrent que c’est à la Pologne de saisir sa chance et de rejoindre le noyau dur fédéral de l’UE appelé de ses vœux par le nouveau président français. Une manière de dire que si les Polonais ne veulent pas être laissés sur le bord de la route de la construction européenne, il ne faut pas qu’ils donnent à nouveau une majorité au PiS aux prochaines élections.