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La presse polonaise partagée entre inquiétude, scepticisme et soulagement après la victoire d’Emmanuel Macron contre Marine Le Pen

17 mai 2017

Temps de lecture : 6 minutes
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La presse polonaise partagée entre inquiétude, scepticisme et soulagement après la victoire d’Emmanuel Macron contre Marine Le Pen

Temps de lecture : 6 minutes

Les Polonais, pendant la campagne du deuxième tour du nouveau président français Emmanuel Macron, ont été menacés de sanctions et relégués au rang des pays à régime autoritaire (en même temps que la Hongrie et la Russie) où les libertés sont bafouées.

Sur les bor­ds de la Vis­tule, les médias n’ont pas man­qué de relever la con­tra­dic­tion entre l’européisme ent­hou­si­aste affiché par Macron et sa manière d’insulter et men­ac­er des pays parte­naires au sein de l’UE et de l’OTAN comme sans doute jamais aucun can­di­dat à la prési­dence de la République française ne l’avait fait avant lui. C’est ce qui a fait dire au plus gros heb­do­madaire d’actualité, Gość Niedziel­ny (catholique) que les con­vic­tions pro-européennes de Macron étaient en réal­ité très fran­co-français­es. Pour Gość Niedziel­ny, les dirigeants français ont du mal à accepter que leurs homo­logues polon­ais fassent comme eux, c’est-à-dire qu’ils fassent pass­er les intérêts de leur pays avant ceux des autres. L’hebdomadaire wSieci (con­ser­va­teur, pro-PiS) décrit une hos­til­ité tra­di­tion­nelle de la France envers la Pologne qui est remise au goût du jour par Emmanuel Macron. Pour wSieci, Macron risque de génér­er de fortes divi­sions dans l’UE avec sa vision typ­ique­ment française d’une UE non élargie : « Emmanuel Macron est le pre­mier leader européen aus­si influ­ent avec une stratégie de divi­sion sérieuse de l’Union européenne, jusqu’à revenir, au moins dans une cer­taine mesure, sur le grand élar­gisse­ment de 2004. ». Do Rzeczy (con­ser­va­teur) soulig­nait déjà en mars que le choix par les électeurs français du fédéral­iste libéral-lib­er­taire Macron, par­ti­san d’une Europe à deux vitesses, ne serait pas une bonne chose du point de vue de Varso­vie et que l’élection de François Fil­lon, même s’il était en apparence plus pro-russe, aurait été préférable pour éviter le risque de con­fronta­tions stériles entre États mem­bres et de mor­celle­ment de l’Union européenne. Bien enten­du, pour ces médias con­ser­va­teurs comme pour leurs con­cur­rents libéraux et gau­cho-lib­er­taires, l’élection de Marine Le Pen, assim­ilée à la qua­si-cer­ti­tude d’un Frex­it et de la fin de l’UE, n’aurait pas non plus été une bonne chose.

« À Paris rien de nou­veau » — « Vic­toire du can­di­dat de la grande finance et de la maçon­ner­ie », titrait le quo­ti­di­en catholique Nasz Dzi­en­nik tout en bas de sa Une le mar­di 9 mai. A l’intérieur, on soulig­nait le sou­tien du Grand Ori­ent de France et de la Grande Loge de France au can­di­dat du Sys­tème : « Le 7 mai 2017 ne fera pas date dans l’histoire de la France. Emmanuel Macron, le favori des dig­ni­taires, de l’establishment politi­co-médi­a­tique français et de la grande finance, est devenu le 8e prési­dent de la Ve République. La prési­dence de Macron va sig­ni­fi­er la pour­suite de la poli­tique de François Hol­lande, de l’impuissance face à l’immigration illé­gale et l’aggravation de l’insécurité des citoyens français. » Face à lui, rap­pelle le jour­nal, le FN n’est plus vrai­ment un par­ti nation­al-con­ser­va­teur. « Pour la Pologne, l’élection d’Emmanuel Macron va impli­quer l’aggravation des divi­sions au sein de l’Union européenne et le ren­force­ment des pres­sions sur notre pays de la part des insti­tu­tions de l’UE. La poli­tique étrangère polon­aise doit d’autant plus chercher à ren­forcer la sol­i­dar­ité et la col­lab­o­ra­tion entre les États d’Europe cen­trale, et en pre­mier lieu ceux du Groupe de Viseg­rád. », préve­nait encore Nasz Dzi­en­nik.

Égale­ment con­ser­va­teur mais plus proche du PiS, le quo­ti­di­en Gaze­ta Pol­s­ka codzi­en­nie du 9 mai ne men­tion­nait la vic­toire de Macron qu’en coin de sa Une avec la men­tion : « Berlin a poussé un soupir de soulage­ment après la vic­toire de Macron ». Par con­tre, comme pour soulign­er l’hostilité de la France macroni­enne vis-à-vis de la Pologne, la grande Une con­cer­nait… un film améri­cain, « Asile », qui racon­te l’histoire de Jan et Anton­i­na Żabin­s­ki qui s’occupaient du zoo de Varso­vie pen­dant la Deux­ième guerre mon­di­ale et qui ont, au risque de leur vie, caché des juifs : aucune salle de ciné­ma française n’aurait accep­té de pro­jeter ce film. Pour le jour­nal, qui n’a sans doute pas tout à fait tort, c’est parce qu’il va à l’encontre du stéréo­type du Polon­ais anti­sémite très présent en France. Quant au com­men­taire en page 2 con­sacré à l’élection française, il con­state que les deux can­di­dats du deux­ième tour étaient un mau­vais choix pour la Pologne : Marine Le Pen, mais aus­si Macron qui traite de dic­ta­teurs ceux qui refuse d’accueillir « les extrémistes islamiques qu’on appelle immi­grants ».

Ceci dit, les médias hos­tiles au gou­verne­ment con­ser­va­teur aux com­man­des à Varso­vie ont, eux, appré­cié la vic­toire du can­di­dat des grands médias français et ont surtout poussé un énorme soupir de soulage­ment avec la défaite de Marine Le Pen. « Les Français n’ont pas tué l’Union européenne – Emmanuel Macron a large­ment bat­tu Marine Le Pen. C’est un soulage­ment pour la France, l’Europe et le monde », écrivait ain­si le quo­ti­di­en libéral Rzecz­pospoli­ta dans son édi­tion du 8 mai sur sa Une aux 3/4 con­sacrée à l’élection française. Mais Rzecz­pospoli­ta soulig­nait aus­si le nom­bre record de voix pour Marine Le Pen et le pre­mier tour qui a mon­tré, avec les voix pour Mélen­chon, que 43 % des électeurs n’accepte pas l’économie de marché, l’intégration européenne et l’OTAN. Le risque pour Rzecz­pospoli­ta, c’est un échec de Macron et une vic­toire du Front nation­al en 2022.

Le jour­nal libéral-lib­er­taire Gaze­ta Wybor­cza, fidèle à son habi­tude, n’a pas fait dans la den­telle. Con­sacrant toute sa Une et deux pages intérieures à la vic­toire d’Emmanuel Macron que l’éditorial du jour qual­i­fie de vic­toire de l’Europe démoc­ra­tique sur le nation­al­isme, la haine et le fas­cisme. La sit­u­a­tion est bien enten­du com­parée aux années 30, point God­win oblige, mais le jour­nal se réjouit de ce « hap­py end » par la voix de son cor­re­spon­dant Piotr Moszyńs­ki, qui est égale­ment jour­nal­iste chez RFI. « Mais les 35 % pour Le Pen sig­ni­fient que l’extrême droite est dev­enue éli­gi­ble », aver­tit le jour­nal polon­ais de référence des médias français.

Dans les heb­do­madaires de la gauche anti-PiS, Poli­ty­ka fait un par­al­lèle entre Marine Le Pen et le PiS en Pologne pour son exploita­tion des sen­ti­ments antialle­mands, puisque Macron a été qual­i­fié de can­di­dat de Merkel. Entre les deux tours, Newsweek par­lait de Marine Le Pen comme de la can­di­date des ouvri­ers dans une France qui perd ses usines et se paupérise et soulig­nait aus­si que beau­coup d’électeurs d’Emmanuel Macron votent en fait con­tre Le Pen plutôt que pour Macron. Pour finir, Newsweek prévoit que si le can­di­dat de la France « libérale, ouverte, proeu­ropéenne » ne parvient pas à combler le fos­sé avec la France « fer­mée, hos­tile au monde et à la glob­al­i­sa­tion, euroscep­tique », c’est Marine Le Pen qui rem­portera les élec­tions dans cinq ans.

Con­traire­ment aux jour­naux con­ser­va­teurs, les jour­naux de gauche con­sid­èrent que c’est à la Pologne de saisir sa chance et de rejoin­dre le noy­au dur fédéral de l’UE appelé de ses vœux par le nou­veau prési­dent français. Une manière de dire que si les Polon­ais ne veu­lent pas être lais­sés sur le bord de la route de la con­struc­tion européenne, il ne faut pas qu’ils don­nent à nou­veau une majorité au PiS aux prochaines élections.

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