La propagande, le martèlement idéologique constant, est un fond sonore devenu véritable bande son de nos vies ; elle agit sur notre inconscient à la manière de la musique, qui selon Platon « pénètre à l’intérieur de l’âme et s’empare d’elle de la façon la plus énergique. »
Un envoûtement quasi musical
Vladimir Jankélévitch écrit, à propos de cette immixtion qui relève de l’envoûtement, dans La musique et l’ineffable :
« Cette opération irrationnelle et même inavouable s’accomplit en marge de la vérité : aussi tient-elle plus de la magie que de la science démonstrative ; celui qui veut non point nous convaincre par des raisons, mais nous persuader par des chansons, met en œuvre un art passionnel d’agréer, c’est-à-dire de subjuguer en suggérant, et d’asservir l’auditeur par la puissance frauduleuse et charlatane de la mélodie, de l’ébranler par les prestiges de l’harmonie et par la fascination des rythmes : il s’adresse pour cela non pas à la partie logistique et rectrice de l’esprit, mais à l’existant psychosomatique dans son ensemble ; si le discours mathématique est une pensée qui veut se faire comprendre d’une autre pensée en lui devenant transparente, la modulation musicale est un acte qui prétend influencer un être ; et par influence il faut entendre, comme en astrologie ou en sorcellerie, causalité clandestine, manœuvres illégales et pratiques noires. »
Remplacez le terme « musique » par « idéologie », « musical » par « idéologique » et vous obtenez l’image exacte d’une opération de propagande.
Ajar, Ajar, Ajar !
Cependant, il y a aussi des bonnes nouvelles au pays des médias, ne soyons pas des esprits chagrins systématiques et par pure posture. Les réflexes doivent faire place à la réflexion. Sachons nous réjouir ! De splendides hosannahs devraient accueillir cette annonce du journal Mediapart : la création d’un poste de « responsable éditoriale aux questions raciales » dévolu à Sabrina Kassa, journaliste et éditrice. Soyez certains que les voûtes célestes ont bien failli craquer, les constellations se pulvériser dans un poudroiement enflammé d’étoiles agonisantes. Pour être plus prosaïque, nous sommes devant ce qu’il est convenu d’appeler un événement. Et tout cela sous la recommandation de l’Ajar, l’association des journalistes antiracistes et racisé.es. Il fallait qu’en termes inclusifs cela fût dit pour rendre toute la beauté de la chose, l’écriture incluse se révélant aussi belle, à bien y regarder, qu’un idéogramme chinois, et parfois tout aussi cryptique il faut bien le reconnaître.
La « chance de la France » selon Plenel
Sabrina Kassa a bien pris soin de justifier la création de ce poste. Était-ce bien nécessaire ? Nous ne devons cette politesse superfétatoire qu’à la générosité d’un média soucieux de ses souscripteurs. Un scrupule bien excessif, m’est avis, tant ces choses-là vont de soi et sont marquées au coin de la plus pure bienveillance qui se puisse concevoir. Un tel poste sur le média dirigé par Edwy Plenel est forcément une bonne idée. Ce dernier a en effet déclaré au micro de Jean-Jacques Bourdin sur BFM TV le 15 septembre 2014 :
« Pour la France c’est une immense chance d’être le premier pays musulman d’Europe ».
La question identitaire et raciale est donc entre de bonnes mains !
Un responsable aux questions raciales…
Résumons pour savoir de quoi il s’agit au juste. Il nous est dit, en propos liminaire, que « Mediapart a décidé de créer début septembre une fonction de « responsable éditorial aux questions raciales », inspiré du poste dédié aux questions de genre, créé en 2020, au sein de la rédaction. » De quoi rassurer bon nombre de sceptiques, craintifs et autres êtres voués par atavisme aux passions tristes ! Tout ceci se situe dans un cadre conceptuel et théorique d’une qualité incontestable puisque c’est « inspiré du poste dédié aux questions de genre ». Mais les ennuis commencent… En effet, après l’effervescence, il est temps de laisser la déploration faire son entrée : « Le mot est tabou, il a même été rayé de la Constitution au nom des valeurs qui sont censées nous animer. » Voyez cette admirable prudence au passage : « censées nous animer » permet de se rappeler qu’il reste – et nous verrons que ça n’a rien de résiduel ou de marginal mais tout de systémique – des personnes qui ne sont pas animées par ces valeurs, mais alors sont-elles mêmes animées par quoi que ce soit hormis la haine, sont-elles mêmes des personnes tout court ?
La race, vous la voulez avec ou sans soufre ?
« Parler de « race » aujourd’hui en France suscite des polémiques sans fin ». On se demande bien à cause de qui… Ce sont les mêmes qui – savourons l’ironie – ont exercé leur terreur politico-linguistique autour de l’emploi du mot « race », devenu prohibé par leurs décrets épiscopaux, qui mettent au cœur de leur vision du monde le concept de race aujourd’hui. Vous les trouvez culottés ? Si peu, si peu. Ils ont peut-être découvert que le mot « chien » n’aboie pas et que le mot n’étant pas la chose, ils pouvaient trouver dans ce vocable, tout compte fait, un formidable levier pour leur entreprise idéologique. Et rassurez-vous : le mot « race » n’a une saveur de soufre qu’à la condition d’être prononcée par un Renaud Camus, par exemple, mot auquel il consacra un ouvrage. Quand ce mot est dégluti savamment par un militant décolonial ou une Rokhaya diallo, il se déroule tranquillement, dans la souplesse soyeuse des vestales préposées à la défense du Bien en soi, sans platonisme excessif il s’entend – ce qui renverrait à l’essentialisme conspué par biais antiraciste mais c’est encore une autre question…
D’un Camus l’autre
« Le mot « race » fait peur. Nous le savons bien », assène Sabrina Kassa. Avant de poursuivre : « Il évoque l’esclavagisme, le colonialisme le nazisme. » Là, je me permettrais quelques objections, le mot « race » a souvent servi de tout autres objectifs, le petit livre de Renaud Camus pourrait éclairer la lanterne de mediapart à ce propos. Prenez par exemple ce jugement d’Albert Camus à l’endroit de Bernanos : « Cet écrivain de race mérite le respect et la gratitude de tous les hommes libres. » Trouvez l’évocation de l’esclavagisme, du colonialisme et du nazisme dans cette occurrence, si vous le pouvez. J’avoue que mes compétences en matière linguistique ne vont pas jusque-là. Je noterais simplement que la merveilleuse polysémie du mot « race » leur est étrangère.
La Novlangue dans ses œuvres
Dominique Venner prescrivait de « se délivrer de la fascination des mots », en ceci très proche de Valéry qui procédait avant toute investigation intellectuelle à ce qu’il appelait un « nettoyage de la situation verbale », sorte de procédé prophylactique destiné à déjouer les prestiges du vague, de l’indéterminé, de l’équivoque, du trouble. Les problématiques linguistiques provoquent des emberlificotages inouïs, aux nodosités retorses, raison de plus pour appliquer cette recommandation avant d’évoquer ces questions, ce qui ne serait pas du luxe pour certains… Sabrina Kassa, elle, nous informe que « la bataille des mots – notre terrain de jeu – est à ce sujet, essentielle. Pour la mener, il faut porter la plume dans la plaie, en parlant plus franchement de la race (la racialisation, la racisation…), la blanchité, les privilèges, etc. Mais avec justesse et clarté. Ce champ nous intéresse en tant que journalistes – nous comptons élaborer un glossaire et un guide des bonnes pratiques. » Oui, ça s’appelle la novlangue, Orwell l’a déjà évoquée dans un livre fameux.
Mediapart lave plus blanc !
Dans la perspective du mouvement décolonial – bien mal nommé — la dissolution de la « blanchité » semble indispensable pour permettre l’assomption des minorités éternellement opprimées, comme si cette oppression était, pour les blancs, une occupation à plein temps, une préoccupation de tous les instants ! Paranoïa ? Allons, allons… Rien de nouveau sous le soleil, saint Coluche avait procédé à la même annulation du blanc, du français de souche, pour permettre une adhésion facilitée aux thèses de l’antiracisme institutionnel. Voici les propos que ce dernier a tenus le samedi 8 juin 1991, lors du septième concert annuel de S.O.S Racisme : « Les français sont pas français : la France est au milieu du reste et tout le monde passe par là… Dans notre histoire, toutes nos mères ont été violées, sauf celles qui n’ont pas voulu. » « Tout le monde passe par là », sous-entendu tout le monde doit continuer à passer par là, exit par conséquent la moindre velléité ou tentative de contrôler les flux migratoires. Commentaire de Paul Yonnet : « L’attention doit être immédiatement attirée sur le fait que cet élément persistant de la base antiraciste lie explicitement – et de façon spontanée – l’extinction d’un fait national français – et même du fait national français – à la transformation de sa composition ethnique. C’est là une conception racialiste de la nation qui donne raison à tous ceux qui disent vouloir sauvegarder l’homogénéité ethnique de l’Hexagone pour que la France puisse persister dans un être profond. » Culture du viol exceptée, cette conception des choses – ou plutôt cette rhétorique — n’a pas beaucoup varié : il faut dissoudre le fait français pour avaliser une société multiraciale et aujourd’hui la « blanchité », facteur d’oppression systémique, universelle, totalitaire et cosmique. Ce néo-antiracisme n’est finalement pas si novateur… Il a seulement accompli sa mue et perfectionné ses éléments de langage pour donner l’impression d’une forte charpente idéologique, le travail sur la sémantique se substituant au sens du réel.
Racisme de la logique
Vous trouvez que l’antiracisme, nouvelle et ancienne manière est une offense faite à la logique, mais la logique c’est raciste chers lecteurs ! Jean-François Braunstein, dans La religion woke, nous le rappelle opportunément : « Mais l’idéologie woke n’est pas qu’un snobisme passager et sans conséquences. On a affaire à des militants qui s’enthousiasment pour leur cause. Ce ne sont plus des universitaires, mais des combattants au service d’une idéologie qui donne sens à leur vie. Quiconque a eu l’occasion de tenter de débattre avec des wokes comprend très bien qu’il a affaire, au minimum, à des enthousiastes, et dans bien des cas à ce que Kant nommait des « visionnaires ». Il suffit de consulter l’une des nombreuses vidéos qui relatent la prise de pouvoir des wokes à l’université d’Evergreen aux Etats-Unis pour comprendre qu’il n’est pas envisageable d’argumenter avec ces jeunes militants, assez comparables aux gardes rouges chinois durant la révolution culturelle. Comme le résume très brutalement l’un des agresseurs de Bret Weinstein, le seul professeur qui ait eu le courage de résister à ces militants et qui essayait de les raisonner : « Arrête de raisonner, la logique c’est raciste. » Cette affirmation résume la radicalité d’un mouvement inaccessible à la raison. »Toute cette rhétorique fonctionne à la manière des discours religieux et nous en sommes au point où, selon le mot de Nietzsche, « on a considéré la valeur de ces valeurs comme donnée, comme réelle, comme au-delà de toute mise en question. »
Philip K. Dick dépassé
Inaccessible à la raison, nous dit Braunstein, en effet et quand on apprend (Frontières) qu’ « un antifa « déterminé à tuer », a tenté d’assassiner le maire de la ville de Saint-Brieuc. Équipé d’un grand couteau, le militant d’extrême gauche, qui a été interpellé, avait déjà traité Hervé Guihard, l’édile de la ville, de « nazi ». » On se dit que certains vivent dans des mondes parallèles, une uchronie du type « Le maître du Haut-Château », roman de Philip K. Dick qui imagine un monde d’après la seconde guerre mondiale, mais, cette fois-ci, où les puissances de l’axe ont été victorieuses. C’est une des forces de la propagande gauchiste : faire croire – tout en étant archi-dominant idéologiquement – qu’on lutte contre des oppressions systémiques et tous azimuts, imaginaire complotiste autorisé seulement à gauche bien entendu.
Déni de réalité et bonne conscience
Selon Mediapart « la représentation qualitative de personnes vues comme « non blanches » demeure inégale avec des rôles d’importance mais à connotation négative. Si elles sont plus souvent vues dans des premiers rôles, elles sont surreprésentées dans les rôles à connotation négative et sous-représentées dans les rôles à connotation positive. » Ils ont Netflix, Disney Plus, Google, Facebook, avec eux mais ils se vivent comme des chrétiens relégués dans les catacombes du temps des persécutions sous l’empire romain. C’est grotesque ! Samuel Fitoussi, dans woke fiction, rapporte cette déclaration révélatrice de Dana Walden, présidente de Disney Télévisions Studios, le 9 avril 2021 : « Nous recevons parfois des scénarios magnifiquement écrits qui ne remplissent pas nos conditions d’inclusivité, et nous les refusons ». Gageons que Mediapart et sa responsable éditoriale à la question raciale, recevant des nouvelles du réel, attestant abondamment d’un racisme anti-blanc qui se déchaîne avec violence – parfois, trop souvent meurtrière – les refusera comme autant de scénarios ne respectant pas leur charte d’inclusivité, au mépris des victimes, dont les souffrances ne semblent pas égratigner le moins du monde leur bonne conscience, cette forteresse imprenable qui s’édifie sur la fascination des mots et se barricade derrière le déni de réalité.
Jean Montalte