Le quotidien économique de Bernard Arnault s’est livré à un exercice original le lundi 21 mars 2016 en faisant réaliser le journal par deux cents personnalités économiques, culturelles et politiques supposées prendre la relève en France dans les années à venir et en filigrane à partir des élections de 2017.
Une idée heuristique qui conduit les journalistes d’un jour à sortir de leur pré carré. Au-delà des contenus des contributions c’est un portrait de la France à travers ses actuelles/futures élites qui est dressé et les absents sont aussi importants que les présents. Analyse.
De nombreuses contributions sont apportées par de jeunes entrepreneurs en particulier du secteur numérique mais pas seulement. Il est impossible de les citer tous mais on peut trouver quelques perles comme le cuisinier Jean-François Piège qui voit en la figure Hillary Clinton – digne représentante de l’oligarchie mondialiste et de l’État profond américain – le signe de « beaucoup d’espoir ». Peut-être un article involontairement comique ?
A tous saigneurs pardon seigneurs tout honneur le secteur bancaire est très largement représenté : Morgan Stanley (voir le portrait de Emmanuel Goldstein), HSBC, Bank of America, Messier Maris, Société Générale, BPCE, la Banque Mondiale et enfin pas moins de trois représentants de la Banque Rothschild dont Alexandre de Rothschild lui-même.
Du côté des « pipoles » le choix semble très orienté bobo/riche/un peu gaucho mais pas trop. Citons le producteur de cinéma Charles Gillibert (son film Mustang connaît un joli succès) dont l’associée dans sa société de production est … Julie Gayet. Ou bien l’excellent mathématicien titulaire de la médaille Fields Cédric Villani soutien de … Anne Hidalgo. Ou encore Frédéric Mion successeur du tumultueux Richard Descoing à la direction de Sciences-Po et qui recrute à la direction de la stratégie Brigitte Taittinger… femme de Jean-Pierre Jouyet premier conseiller de François Hollande à l’Élysée. Et aussi Bernard Mourad bras droit de … Patrick Drahi chez Altice Média (voir ici le portrait de Patrick Drahi ainsi que l’infographie que nous lui consacrons). Sans oublier la bien charmante Diana Filippova partenaire (cela veut il dire qu’elle est associée ou employée ?) de … l’américain Microsoft.
Rassurez vous la « diversité » est bien représentée. La diversité ? mais si vous le savez bien : remplacer « les hommes blancs de plus de 50 ans » par … d’autres personnes. (Rappelez vous les déclarations d’Anne Lauvergeon alors Présidente d’Areva qu’elle a conduit au désastre et celles de l’actuelle présidente de France Télévisions,). Gageons que Mounir Mahjoubi du Conseil national du numérique, Amar Oussama, Saïd Hammouche , Ryad Boulanouar, ou la pimpante Najoua El Atfani (Club du XXIème Siècle et Vinci) échapperaient aux critères d’exclusion d’Anne Lauvergeon et Delphine Ernotte.
L’analyse précise des politiques représentés indique clairement où Les Échos /Bernard Arnault voient leurs intérêts défendus au mieux : à la jonction du PS et des Républicains. Du côté des Républicains : NKM l’égérie bobo des beaux quartiers, Xavier Bertrand, Valérie Pecresse, Geoffroy Lejeune, Sébastien Lecornu (soutien de Bruno Le Maire à la primaire à droite) et du côté Juppé deux représentants de poids : Édouard Philippe maire du Havre et porte-parole (avec Benoit Apparu) d’Alain Juppé et Gilles Boyer directeur de campagne … d’Alain Juppé. Du côté PS fraction historique : Myriam El Khomri qui y verra du réconfort dans un moment difficile, Thomas Andrieu directeur du cabinet du garde des sceaux, Pierre Larroutourou de Nouvelle Donne en rupture de parti mais « macroniste » sans oublier Gilles Finchelstein de la Fondation Jean-Jaurés ou l’inévitable Daniel Cohn Bendit en deuil desVerts.
Au total c’est bien une défense de classe que représente ce numéro révélateur (et souvent intéressant) des Echos. L’alliance des banques, d’une caste intellectuelle hors sol et d’une partie « centriste » de la classe politique, le meilleur gage pour que surtout rien ne change … pour l’actionnaire du journal.