Non, les dinosaures (du grec deinos terrible et sauros lézard) que l’on croyait disparus lors de l’extinction du crétacé il y a presque 70 millions d’années ne sont pas morts ! La preuve : Serge July revient à Libération.
Du maoïsme à la société libérale
July fonde le journal en 1973 avec Jean-Paul Sartre. Le manifeste fondateur publié le 5 février 1973 donne le tempo :
« La majorité des rédacteurs de la presse quotidienne reçoit servilement des directives fabriquées dans les grands restaurants où se rencontrent les faiseurs de la politique officielle. Le journaliste de Libération s’informe dans les cités ouvrières, les quartiers populaires, les villages, parce qu’il y vit et y connaît des gens ».
Le journal sera suspendu en février 1981 pour renaître en mai de la même année, avec un peu plus tard (1983) comme nouveaux actionnaires minoritaires Antoine Riboud (Danone) et Jérôme Seydoux (Pathé). Les échecs de Radio Libé (1985), de Lyon Libé (1986) entraînent la création d’un Libé 3 (1994) qui sera un fiasco retentissant et verra (début 1995) Jérôme Seydoux devenir actionnaire majoritaire à 66%. Les maos spontex des origines sont loin.
D’un milliardaire à l’autre
Jérôme Seydoux, soutien financier depuis 1983 – alors sur les conseils de Jean Peyrelevade à la fois du Crédit Lyonnais et du Siècle – va se lasser et fait appel en 2005 à Édouard de Rothschild. Ce dernier conseillé par Matthieu Pigasse (banque Lazard) met 20M€ au pot, promet de garder July jusqu’en 2012 tout en s’en séparant dès 2006. Plus passionné par l’équitation de haut niveau que par la presse, Rothschild se lasse à son tour et fait venir deux nouveaux actionnaires, un italien propriétaire du quotidien La Repubblica et Bruno Ledoux, une fortune de l’immobilier qui devient actionnaire de référence en 2012/2013.
Mais ce n’est pas fini ! En juillet 2014, Patrick Drahi (SFR) s’invite au capital et partage le pouvoir avec Bruno Ledoux à 50/50, puis en reprenant la totalité en juin 2016. Un peu fâché d’être le puits qui remplit le tonneau des danaïdes des pertes, il sort en mai 2020 pour céder le journal à un pompeux « fonds de dotation pour une presse indépendante » dont il a la prudence de nommer ses proches à la tête. Mais ce n’est toujours pas fini ! Libé s’offre un nouveau milliardaire en septembre 2022 avec le Tchèque Daniel Křetínský qui donne 1M€ et « prête » 14M€. En attendant le suivant.
Voir aussi : Křetínský passe la corde au cou de Libération
Retour du naufrageur
Rendons grâce à July, c’est bien lui qui a lancé le quotidien. Rendons grâce à l’histoire et à la justice, c’est aussi lui qui l’a coulé avec une politique folle de diversification (radio, antennes en province), c’est également lui qui l’a ouvert à la publicité et aux joies du capitalisme industriel (Riboud/Danone, Saydoux/Pathé puis Ledoux et Drahi) ou financier (Rotschild). Dans un communiqué publié par l’AFP, le directeur de la rédaction Dov Alfon (ancien des services secrets israéliens) se réjouit du retour de l’enfant prodigue :
« Figure centrale du journalisme français, grand observateur de la scène politique depuis des décennies, auteur de biographies passionnées et passionnantes, documentariste multiprimé, Serge écrira des billets dans la page Editos à partir du 23 janvier ».
Ce retour est en effet un signe. On dit que près de mourir, nous revoyons notre enfance pour peut-être la revivre encore un peu. Rien ne dit que Libération mourra – il y aura toujours un milliardaire pour le renflouer. Pourquoi ? Dans le diptyque du qualificatif libéral libertaire, le côté sociétal libertaire – woke, LGBTQ+, diversitaire – n’est là que pour servir de cache-sexe au côté libéral et financier, le rôle de l’idiot utile rien de plus. Le journal se pâme dans la défense du climat mais survit grâce au bon vouloir de Křetínský, principal opérateur des mines de charbon et de lignite en Europe. Certains se demandent pourquoi. Pas Křetínský. Et nous non plus.
Voir aussi : Libération, infographie