Fin septembre 2024, Le Média, chaîne de télévision la plus à gauche du panel français, disponible sur internet, YouTube et la Freebox, diffusait une présentation de l’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé.e.s (AJAR) par deux de ses membres, deux jeunes femmes « racisées » âgées de moins de trente ans. Un véritable publi-reportage de plus de dix minutes.
L’AJAR, c’est quoi ?
D’après le site de l’association :
« L’Association des Journalistes Antiracistes et Racisé·e·s (AJAR), c’est une association de plus d’une centaine de journalistes professionnels luttant contre le racisme dans la profession et les productions médiatiques. Passé·e·s en public depuis Mars 2023 par le biais d’une tribune dans Libération, nous travaillons en commissions pour soutenir et aider les journalistes racisé·e·s, produire de la critique médiatique, conseiller de meilleures pratiques journalistiques. Nous réfléchissons à de meilleures méthodes de recrutement en école et rédaction, à comment en faire des espaces accueillant réellement les personnes racisées, et à comment éliminer le racisme en leur sein. »
En un mot ce sont des non-blancs
Précisions sur Le Média. D’après Khédija Zerouali, l’une des deux jeunes femmes, et porte-parole de l’association, l’AJAR existe depuis mars 2023 (après la publication d’une tribune dans Libération) et comporterait « à peu près 200 membres », tous « journalistes racisé.es » de médias divers, depuis les médias traditionnels en passant par internet ou les podcasts. Ils seraient parfois en CDD, en CDI « beaucoup de pigistes ». Explication de ce dernier mot par la jeune journaliste « racisée » et coordonnatrice du Festival AJAR (nous y reviendrons), Celia Gueuti : cela consisterait à faire des remplacements ou à être appelé en surnombre si l’actualité est pressante. Autrement dit, les médias considéreraient les journalistes non européens ou non-blancs comme de la main‑d’œuvre d’appoint (pas de sources ni de données chiffrées pour venir à l’appui de ce sous-entendu).
Une association de journalistes non-blancs en somme. Surprenant. Comme le serait peut-être un syndicat scolaire du secondaire uniquement blanc en Ile-de-France pour défendre des élèves de moins en moins européens contre le racisme anti-blanc ? (voir à propos du « racisme anti blanc à l’école » le numéro 210, octobre-novembre 2024, du magazine Éléments). Chacun imaginera les réactions si un tel syndicat existait. Par contre, pour l’AJAR, silence radio. Pourtant, l’association compte agir comme un syndicat.
Objectifs, selon la porte-parole : « En gros, on s’est donné l’objectif de mener la lutte antiraciste aussi dans nos médias, en favorisant la diversité dans les embauches mais aussi en faisant en sorte qu’il y ait une couverture antiraciste exigeante dans nos médias ».
Une association « racisée » ? Pour exposer la raison d’être de l’AJAR, Khédija Zerouali doit expliquer le mot. Cela donne :
« Racisé, c’est qui subit le racisme, mais surtout est considéré par le groupe majoritaire comme faisant partie du groupe minoritaire. Et entre ces deux groupes, il y a évidemment un enjeu de pouvoir et de domination ».
Pour reprendre l’exemple de l’école : les élèves blancs des établissements scolaires seraient donc eux-aussi racisés ? L’on s’y perd. Notons que l’une des deux jeunes femmes est marseillaise, l’autre d’origine normande et parisienne. Quel est le groupe ethnique majoritaire à Marseille aujourd’hui ? En tout cas, ces jeunes journalistes veulent interpeller au sujet des « discriminations » et de la « violence » qu’ils subiraient. Dans un contexte où cependant les études pour devenir journalistes paraissent plutôt ouvertes, un contexte où existent des associations comme le Bondy Blog qui vise à remplacer les journalistes blancs par de plus foncés.
D’après la porte-parole de l’AJAR, l’association permettrait aux médias d’avancer « vers une écriture de la réalité plus proche de ce qu’elle est, en enlevant les biais racistes du traitement médiatique ». Hâte de voir son reportage sur le racisme dans les écoles du Nord de Marseille et quelques quartiers du « 9cube ».
Voir aussi : Bondy Blog, la banlieue parle aux bobos
Le racisme ? Ces journalistes le croisent tous les jours
Disent-elles. Soit du fait de leur expérience personnelle, soit par des remontées de témoignages de collègues. Ainsi, Celia Gueuti, parisienne d’origine normande, raconte son stage dans la presse quotidienne en Normandie. Elle pensait « être bien accueillie » en revenant sur le lieu de ses origines. Mais… elle s’est sentie au contraire de trop, a eu l’impression de ne pas être à sa place. Un ressenti. Sentiment de racisme ? La porte-parole insiste : dans les médias, le peu de journalistes racisés seraient « essentialisés par leur assignation » à des postes « que l’on considère comme des postes d’arabes ou de noirs » (sujets sur les banlieues, sur l’Afrique). De la même manière, selon l’AJAR les médias essentialiseraient les personnes présentées dans l’actualité, les renvoyant donc à leur origine ou à leur couleur de peau. Retour de Celia Gueuti qui expose qu’une fois on lui a demandé de faire un article sur du rap (sous-entendu car elle est noire. Il n’y a pas de rap blanc ?). Khédija Zerouali raconte une autre histoire, une « blague » entendue, selon elle, à plusieurs reprises : « Sais-tu pourquoi les noirs n’ont pas de lignes de la main ? Parce qu’ils n’ont pas d’avenir ».
Création d’une police raciale du journalisme
En conséquence, il faut agir. L’AJAR veut surveiller : il y a volonté que les médias fassent remonter des données, s’expliquent, concernant qui est représenté, pourquoi, et pourquoi de telle ou telle manière. Khédija Zerouali explique cela tranquillement sans s’apercevoir qu’elle prône une police raciale. L’AJAR veut aussi former. L’association propose des kits de formation (si, si…), le premier sur les outre mers, avec « des réflexions sur les mots à utiliser, ceux peut-être à bannir, ceux auxquels il faut plus réfléchir » (sic). Un petit moment d’enthousiasme aussi tout d’un coup : « On fait peur aussi parfois aux rédacteurs en chef. Ils savent qu’il y a maintenant une vigie antiraciste ». Rassurant pour la liberté d’expression. Le prochain grand objectif d’AJAR ? Que « Nos consœurs qui portent le voile puissent obtenir la carte de presse. C’est une discrimination qui est sexiste, raciste et islamophobe ».
Le site de l’AJAR est son principal vecteur d’action, à la fois lieu de recrutement de journalistes « racisés » et désireux de « lutter contre le racisme », deux conditions indiquées comme inséparables, et de diffusion. Le visiteur y trouvera essentiellement des communiqués contre l’extrême-droite et contre le traitement du conflit entre Israël et les palestiniens dans les médias.
L’AJAR a organisé son premier festival
C’était les 5 et 6 octobre 2024 à La Friche de la Belle de Mai, à Marseille. Un festival « sur l’antiracisme dans les médias ». Objectif ? « Réfléchir à comment on traite de la race dans les journaux à l’étranger, comment on parle de la communauté tzigane dans les médias, comment on parle des des outre mers et comment à Marseille, le racisme est dit dans le médias ». Tables rondes, podcasts, ateliers professionnels…
Il y aurait eu 200 personnes par jour et une vingtaine de conférenciers.
Le festival bénéficiait de partenaires : Prenons la Une, Profession pigiste, Urgence Palestine Marseille, le Syndicat national des journalistes (SNJ) ou encore l’Association des journalistes lesbiennes, gays, bi-e‑s, trans et intersexes (AJL) présentaient leurs propres actions.
Ce qui ressort d’une plongée dans l’AJAR ? Le fait de se trouver devant une obsession. Celle de la race. Tant du fait que du mot. Pourtant, la distinction de populations ethniques au sein de la République française n’est-elle par interdite par la loi ? Visiblement, il y a race et race. Notons que dans le même ordre d’idées l’Agence France Presse (AFP) et Médiapart se sont dotés de postes de responsable éditorial aux questions raciales.
Voir aussi : Pour Gilles Kepel, le Bondy Blog est dans la main des Frères musulmans