Poursuivie par l’association Droit des non-fumeurs (DNF) pour publicité en faveur du tabac, la revue bimestrielle L’Amateur de cigare, créée en 1994 par le journaliste Jean-Paul Kauffmann, a été relaxée jeudi 13 décembre par le tribunal correctionnel de Paris. L’association réclamait 60 000 euros de dommages et intérêts.
C’est le numéro 78 (octobre/novembre 2010) de la revue qui avait provoqué le courroux de l’association. Le chanteur Raphaël posait en couverture, deux cigares dépassant négligemment de la poche de sa chemise. DNF estimait que le numéro produisait « divers articles et photographies contrevenant aux dispositions édictées par le code de la santé publique, proscrivant la publicité et la propagande directe ou indirecte en faveur du tabac et des produits du tabac ». Parmi cette propagande éhontée, l’association pointait la présentation d’accessoires de conservation des cigares et le portrait d’un artiste-peintre qui vantait les sensations que lui procurait la consommation des cigares.
La 31e chambre du tribunal correctionnel a heureusement balayé les arguments de DNF en estimant que les objets présentés dans la revue correspondaient « à un goût et à une esthétique qui ne sont pas le seul apanage du fumeur de cigare ». Concernant, l’artiste-peintre amateur de barreaux de chaise, le tribunal a sagement parlé de « description d’une expérience individuelle » qui ne devait pas être considérée comme « la volonté délibérée de vanter, de manière plus générale ou collective, l’objet d’un désir gustatif que chacun doit rester en mesure de choisir ». Le tribunal a enfin fait preuve de bon sens en soulignant le fait que cette revue s’adressait « à un cercle restreint d’amateurs, dont l’intention n’est pas de conférer à leur communauté une grandeur et une écoute ». Dès lors les pages visées par DNF ne sont constitutives « ni d’une publicité, ni d’une propagande caractérisées et volontaires », a conclu le tribunal.
Pour l’avocat Pierre Mairat, conseil de l’association, la décision du tribunal « nie les faits les plus élémentaires et les plus évidents ». Selon lui, plus qu’une affaire entre deux parties, il s’agit d’une question de « santé publique ». Il en appelle ainsi solennellement aux ministres de la Santé et de la Justice, demandant qu’il soit interjeté appel de ce jugement.
Au-delà des arguties juridiques, c’est la question d’une forme de fanatisme anti-tabac qui se pose. Veiller à ce la presse généraliste ne comporte pas de publicités insidieuses pour le tabac risquant d’inciter un non-fumeur à fumer est compréhensible. Appliquer ce raisonnement a une revue spécialisée dans le cigare ressemble à de l’acharnement. On peut en effet supposer que le lecteur de ce type de revue, un adulte doté de libre-arbitre, ne risque pas d’être manipulé ou incité au vice puisqu’il achète de son plein gré une revue entièrement consacré à ce « vice » qu’il considère, lui, comme un produit raffiné de la civilisation. C’est donc très clairement la liberté individuelle qui est remise en cause par DNF qui semble de plus en plus vouloir le bien des gens malgré eux, ce qui pourrait être une définition du totalitarisme.
Maître Vergès a coutume de dire qu’il aime fumer le cigare parce que la fumée de celui-ci « éloigne les moustiques et les humanistes ». Mais ce que le brillant avocat ignorait, c’est que cette même fumée attire aujourd’hui les emmerdeurs.
Source : Correspondance de la presse, n° 16083. Crédit photo : montage Ojim