« PayPal a démonétisé la Free Speech Union. Il n’est pas rare que des sociétés financières comme PayPal retirent leurs services à des personnes ou des groupes qui expriment des opinions politiquement controversées, mais c’est la première fois qu’une organisation qui défend le droit des gens à exprimer de telles opinions est démonétisée. C’est un nouveau coup bas qui nous rapproche d’un système de crédit social à la chinoise, dans lequel ceux qui ne suivent pas la ligne du parti sont exclus du système financier. »
Tel est le message que l’on pouvait lire pendant la dernière semaine de septembre sur la page d’accueil de la Free Speech Union, l’Union pour la liberté de parole, une organisation britannique qui défend la liberté d’expression.
La société californienne PayPal n’est sans doute plus à présenter aux internautes et encore moins aux lecteurs de l’Observatoire du Journalisme, puisque c’est un des moyens de paiement que nous utilisons pour recevoir les dons qui nous permettent de continuer à informer sur ceux qui nous informent, c’est-à-dire les journalistes et les médias. Pour le moment, PayPal n’a pas suspendu notre compte, mais si c’était le cas, sans doute les grands médias français ne casseraient-ils pas l’Omerta de rigueur quand est attaqué un média français qui les incommode (voir notamment les attaques des Sleeping Giants contre Valeurs Actuelles ou la suppression de la subvention publique au journal Présent – deux événements totalement passés sous silence par nos grands médias).
En tout cas, il faut croire que la Free Speech Union incommode beaucoup de monde au Royaume-Uni, car peu de journaux, et même aucun de gauche, n’ont parlé de cet acte de censure inédit outre-Manche. Le Guardian, par exemple, quotidien phare de la gauche travailliste, n’en souffle pas mot dans ses colonnes. Et d’ailleurs, selon le site LGBT Pink News, qui mentionne cet acte de censure à la marge d’un article attaquant une personne accusée de « transphobie », la Free Speech Union serait une organisation « anti-LGBTQ+ ». Forcément, puisqu’elle défend la liberté d’expression contre le totalitarisme Woke grandissant au Royaume-Uni, ce dont se sont même inquiétés plusieurs membres du gouvernement et même premiers ministres ces dernières années.
Signalons encore le média de gauche progressiste New Statesman qui défend la décision de PayPal sous le titre « PayPal contre Toby Young n’est pas une question de liberté de parole, c’est une question de libre-marché » (Toby Young est le fondateur de la Free Speech Union, et son compte PayPal personnel a été bloqué le même jour que celui de son organisation), et la question en chapô : « Si une pâtisserie n’est pas obligée de préparer un gâteau gay, pourquoi PayPal ne pourrait-il pas refuser ses services à quelqu’un qui répand de la désinformation sur les vaccins » ? On pourrait répondre à l’éditorialiste du New Statesman que le pâtissier qui refuse de préparer un gâteau de mariage avec des motifs et inscriptions de « mariage gay » dessus ne refuse pas ses services à certaines personnes mais refuse de fabriquer un certain produit. Dans toutes les affaires de ce type qui ont fait la Une des médias, et que les pâtissiers ont généralement gagné en justice, les clients qui se sont vus refuser un gâteau de mariage pouvaient demander n’importe quel autre produit offert par le pâtissier à ses autres clients. Ce n’est pas ici le cas du fondateur de la Free Speech Union face à PayPal puisque la société californienne lui refuse ses produits standards en raison de ses opinions ou des opinions de son organisation exprimées en publiques.
Accessoirement, comme le note l’auteur du New Statesman dans son article, « Young nie qu’il soit anti-vax ou qu’il ait publié des informations erronées, déclarant au Times que si le Daily Sceptic [son média Internet, NDLR] “a des réserves sur l’efficacité et la sécurité” des vaccins Covid, “nous ne prenons pas position sur la question de savoir si les gens doivent les prendre ou non, mais nous les encourageons à faire leur propre évaluation des risques”. »
Mis à part ces deux mentions dans des médias dits « progressistes », la censure de PayPal n’est donc abordée au Royaume-Uni que dans des médias conservateurs comme la nouvelle télévision conservatrice GB News, le tabloïde Daily Mail, le prestigieux journal The Times, avec un éditorial intitulé « Quand un tiroir-caisse virtuel commence à vous censurer, c’est qu’il y a un gros problème avec la Big Tech » et un article du 22 septembre portant le titre : « Les comptes Paypal de la Free Speech Union fermés pour cause de « désinformation » sur le Covid ». Apparemment le journal a ses sources chez PayPal, car les responsables de l’organisation censurée assurent ne pas avoir été informés par PayPal des motifs de la fermeture de leurs comptes, au-delà du libellé standard de violation de la « Politique des utilisations autorisées ».
Le fondateur de la Free Speech Union a également pu s’exprimer lui-même à ce sujet sur le site du Spectator, média conservateur appartenant au même groupe médiatique que le Telegraph (qui comprend le quotidien Daily Telegraph, son édition du week-end Sunday Telegraph et le site d’information The Telegraph). Il l’a fait dans un article intitulé « Pourquoi PayPal a‑t-il annulé la Free Speech Union », utilisant le verbe anglais « cancel », qui est celui utilisé pour parler de « cancel culture », la « culture de l’annulation ». Pas étonnant que le Spectator lui ait ouvert ses colonnes, puisque l’on apprend sous sa signature qu’il est un contributeur régulier du site.
Ceci expliquant cela, c’est justement le Telegraph qui couvre le plus cette affaire de censure, avec tout un tas d’articles parus depuis le 20 septembre, l’acte de censure étant intervenu le 15 septembre. Mais il faut aussi le dire, le Telegraph, journal que l’on qualifierait de progressiste à bien des égards, est traditionnellement très engagé en faveur de la liberté d’expression et des autres formes de libertés civiques, et il n’a pas peur de critiquer frontalement la dictature de la pensée qui s’est développée ces dernières décennies au Royaume-Uni.
On ne citera ici que les titres concernant cette affaire de censure par PayPal d’une organisation de défense de la liberté d’expression, avec le chapô de chaque article entre parenthèses, car ils sont très parlants (recherche faite le 27 septembre sur le site telegraph.co.uk) :
- 20 septembre : « PayPal ferme les comptes de la Free Speech Union » (« La décision de la société de paiement américaine est une “forme sinistre de culture de l’annulation”, affirme le fondateur du groupe de pression. »)
- 21 septembre : « PayPal ferme le compte d’une association de parents qui avait fait campagne pour garder les écoles ouvertes pendant la pandémie » (« UsForThem a déclaré ne plus pouvoir accéder à des milliers de livres sterling de dons “en raison de la nature de nos activités”. »)
- 22 septembre : « La censure de PayPal marque une nouvelle phase vicieuse dans la guerre contre la liberté d’expression. » (« Il devrait être illégal de refuser des services numériques essentiels à quiconque sur la base de convictions politiques légales. »)
- 22 septembre : « Si les grandes entreprises sont autorisées à décider quelles opinions sont permises, alors la liberté d’expression est morte. » (« Il est temps d’interdire aux sociétés de services financiers d’exercer une discrimination à l’encontre de leurs clients en raison de leurs convictions politiques. ») (un éditorial de Toby Young, le fondateur de la Free Speech Union)
- 24 septembre : « PayPal est prié de débloquer les fonds confisqués des comptes britanniques gelés » (« L’entreprise américaine de paiement a été accusée d’attaques “orchestrées et politiquement motivées” contre des groupes britanniques qui défendent la liberté d’expression. »)
- 25 septembre : « Les portefeuilles sont la nouvelle frontière dans la lutte pour la liberté d’expression » (« La décision de PayPal de fermer le compte de la Free Speech Union souligne les dangers d’une future société sans espèces. »)
- 25 septembre : « Il pourrait être interdit à Paypal de bloquer les comptes de groupes de campagne pour des raisons politiques. » (« Une nouvelle loi est proposée par des députés conservateurs après que des groupes de campagne “anti-Woke” ont vu leurs comptes bloqués pour “violation des conditions de service”. »)
- 26 septembre : « Jacob Rees-Mogg met en garde PayPal contre l’utilisation de la “culture de l’annulation” au Royaume-Uni. » (« Le ministre des Affaires, de l’Énergie et de la Stratégie industrielle veut que le géant américain de la technologie explique son comportement en matière de blocage des comptes de l’organisation Free Speech Union de Toby Young. »)
Comme on peut le constater, l’affaire prend une tournure politique, mais en date du 27 septembre, une semaine après la fermeture des comptes de la Free Speech Union, cela restait un non-sujet pour la plupart des médias britanniques classés ou perçus comme étant de gauche, y compris de la BBC.
La pression de ces quelques médias de droite et les réactions qu’elles ont causées au sein de la majorité parlementaire et du gouvernement semble toutefois avoir porté ses fruits, puisque le Daily Sceptic informait ses lecteurs le 27 septembre que les trois comptes bloqués (celui de la Free Speech Union, du Daily Sceptic et de Toby Young) venaient d’être débloqués par PayPal. Toby Young promet toutefois de militer en faveur d’une loi qui freinera à l’avenir les possibilités de censure de la part de compagnies comme le géant américain des paiements en ligne, car si la censure a été levée dans ce cas concret, la menace de censure continue de peser sur tous ceux qui exprimeraient des opinions non conformes à celles de la très libérale-libertaire Big Tech californienne.