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L’Antipresse de Slobodan Despot fête son troisième anniversaire

25 novembre 2018

Temps de lecture : 7 minutes
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L’Antipresse de Slobodan Despot fête son troisième anniversaire

Temps de lecture : 7 minutes

L’Observatoire du journalisme est abonné à L’Antipresse de l’écrivain francophone suisse d’origine serbe Slobodan Despot. Nous avons reproduit plusieurs fois des articles de cette publication comme récemment un épatant papier d’Eric Werner sur la censure en Suisse. Antipresse devenu Le Drone souffle ses trois bougies et son 156ème numéro. À cette occasion, nous avons interrogé son créateur. 

Ojim : Slobodan Despot, quelle est la genèse de votre Antipresse ?

Il n’y a que le pro­vi­soire qui dure ! Quand on pense à ce qu’est devenu le pro­jet, son orig­ine paraît vrai­ment bur­lesque. En réal­ité, c’est par­ti d’une exas­péra­tion. Jean-François Fournier, jour­nal­iste de méti­er et de tal­ent, et moi-même, avons lancé L’Antipresse sous forme de sim­ple let­tre par e‑mail le 6 décem­bre 2015. C’était le jour où la con­seil­lère fédérale (min­istre du gou­verne­ment suisse) Eve­line Wid­mer-Strumpf pre­nait sa retraite après avoir détru­it la place finan­cière suisse et capit­ulé en rase cam­pagne face aux chan­tages améri­cains. Nous savions néan­moins que ce départ sus­cit­erait un obséquieux et angélique con­cert de louanges dans les médias offi­ciels et nous avions décidé d’y gliss­er, avec nos mod­estes moyens, au moins une fausse note. Le retour en ter­mes d’abonnements et de réac­tion a dépassé nos espérances. Très rapi­de­ment, bien que notre QG soit situé en Suisse, les lecteurs français sont devenus majori­taires dans la communauté.

Ojim : Quel est le concept d’Antipresse?

Résumons d’abord l’essence du pro­jet. « Le monde à livre ouvert » : c’est l’une de nos devis­es — l’autre étant ce mot d’ordre médi­um­nique de Vic­tor Hugo : « voir des choses au-delà des choses ». À la plat­i­tude, à l’absence de per­spec­tive his­torique, cul­turelle, humaine de l’information de masse, oppos­er une chronique dis­tan­ciée et libre — de cette lib­erté de pen­sée que donne la cul­ture — de notre temps de troubles.

De la let­tre heb­do­madaire gra­tu­ite au mag­a­zine virtuel (16 pages au for­mat PDF) sur abon­nement, le con­cept a peu à peu évolué. JFF est par­ti à cause d’un engage­ment pro­fes­sion­nel, cinq nou­veaux rédac­teurs se sont joints (Pas­cal Van­den­berghe, édi­teur et pro­prié­taire de la chaîne de librairies Pay­ot ; Eric Wern­er, philosophe poli­tique bien con­nu ; Fer­nand Le Pic, ana­lyste ès-affaires inter­na­tionale s; Sébastien Fan­ti, avo­cat, spé­cial­iste mon­di­al de la pro­tec­tion des don­nées sur inter­net ; Arnaud Dotézac, juriste, jour­nal­iste et philologue).

Nous avons con­servé néan­moins un point d’ancrage immuable : la sor­tie à 7 heures du matin chaque dimanche. Nous nous sommes ren­dus compte que c’était peut-être le meilleur tim­ing de pub­li­ca­tion en ter­mes de temps et de fraîcheur d’esprit disponibles.

Avec notre approche lit­téraire por­tant sur une var­iété de sujets, nous adres­sons à un pub­lic plutôt cul­tivé, plutôt scep­tique, et donc assez éli­taire, mais très engagé et très fidèle. Le moin­dre retard à la paru­tion du Drone nous vaut des protes­ta­tions immé­di­ates, y com­pris par SMS. Heureuse­ment, c’est assez rare. Depuis trois ans, nous n’avons pas man­qué un seul dimanche !

Ojim : Pourquoi avoir rajouté le surtitre Le Drone ?

Sim­ple­ment pour mar­quer la valeur ajoutée que représen­tait la trans­for­ma­tion de la let­tre de L’Antipresse en un véri­ta­ble petit mag­a­zine, avec une typogra­phie soignée et un français impec­ca­ble. De plus, l’idée du Drone qui « observe, analyse, inter­vient » sur les « choses vues d’en haut » nous sem­blait résumer assez bien notre démarche (le côté agres­sion et flicage mis à part, bien entendu).

Ojim : En trois ans d’existence quel bilan éditorial pouvez vous faire ?

Le bilan, nous le réca­pit­u­lons en chiffres dans chaque let­tre du dimanche. Nous en sommes, notam­ment, à plus de 600 arti­cles de fond orig­in­aux, plus de 1000 tur­bu­lences (chroniques brèves), une cen­taine de tri­bunes offertes à des voix qu’on entend trop peu… Mais la quan­tité ne serait rien si elle n’était sous-ten­due, à chaque para­graphe, par une exi­gence d’originalité, de style et de sérieux. J’ose affirmer que les archives de l’Antipresse sur ces 156 dernières semaines per­me­t­tront aux his­to­riens de demain de nuancer sérieuse­ment les représen­ta­tions admis­es de la réal­ité de l’Occident et du monde entre 2015 et 2018.

Nous n’avons évidem­ment jamais atteint l’audience des grands sites d’information ou de «réin­for­ma­tion» — mais nous ne l’avons jamais cher­chée. L’Antipresse est aux médias sur l’internet ce que le vinyle est au stream­ing ou au MP3: un plaisir d’écoute sans déperdi­tion où même le grésille­ment ajoute au charme, une façon stylée d’aborder la musique, mais aus­si le signe de ral­liement d’une cer­taine sphère cul­turelle et un marché grat­i­fi­ant et prospère dans sa niche.

Ojim : La plupart des médias de grand chemin (une formule que nous vous empruntons) sont financés par des groupes industriels ou financiers, vous considérez vous comme indépendant ?

Bien évidem­ment, puisque la pub­li­ca­tion ne vit que des abon­nements que nous versent nos lecteurs. C’est du reste à mon avis la seule voie pour un jour­nal­isme libre et viable dans le temps. Entre les annon­ceurs, les pro­prié­taires et les spon­sors d’État, le spec­ta­cle des médias de grand chemin ressem­ble plutôt à un ban­quet médié­val où des bouf­fons se démè­nent pour arracher un sourire d’approbation à leurs seigneurs et maîtres.

Ojim : Vous êtes connu à la fois pour votre activité politique passée, comme conseiller d’Oskar Freysinger, mais aussi comme écrivain et éditeur. Quelle activité privilégiez-vous ?

Je ne suis romanci­er que depuis peu de temps — et pour­tant c’est l’expérience créa­tive et spir­ituelle la plus mar­quante de ma vie. Voir vos deux pre­miers man­u­scrits pub­liés aus­sitôt chez Gal­li­mard et recevoir des prix vous donne de quoi repenser la suite de votre car­rière. Des amis qui me veu­lent du bien me poussent à ne faire que cela.

Pour­tant j’aime l’écrit sous toutes ses formes et j’ai de la peine à laiss­er pass­er sans bronch­er les cas­cades d’âneries qui nous tien­nent lieu d’information. Je suis un écrivain impliqué, somme toute (plutôt qu’engagé), comme on l’était ordi­naire­ment avant les minaud­eries éthérées du Nou­veau roman. Écrire des pam­phlets au vit­ri­ol n’empêchait pas les romanciers de dévelop­per une œuvre sere­ine et subtile.

Ojim : Papier ou digital, entre les deux mon cœur balance, et le vôtre ?

Papi­er, bien enten­du — et ce n’est pas qu’une affaire de cœur. À l’ère de la manip­u­la­tion et de l’instrumentalisation de tout — y com­pris l’information et la con­nais­sance —, l’impression sur papi­er est une garantie con­tre l’amnésie, voire la cen­sure, qui nous men­ace tous sur le net (car nous oublions trop vite que les lib­ertés qui nous restent ne nous sont con­cédées qu’à bien plaire par les pro­prié­taires de ce vaste bac à sable). Pour effac­er un livre ou une revue comme on dés­ac­tive un compte Twit­ter, MM. les censeurs devront se lever de bonne heure ! L’an dernier, nous avons ten­té de lancer une for­mule papi­er, sans toute­fois attein­dre le seuil cri­tique d’abonnés. Mais nous ne dés­espérons pas.

Ojim : Comment recevoir L’Antipresse/Le Drone, comment et où un lecteur français peut il s’abonner?

C’est très sim­ple : à l’occasion de cet anniver­saire, nous venons de met­tre en place un site inter­net très mod­erne et très com­plet (antipresse.net), et cette légère con­ces­sion à la mode vous donne à la fois accès au Drone heb­do­madaire et à ses archives, mais aus­si à toute la bib­lio­thèque des arti­cles par auteurs et par thèmes. Jusqu’ici, il fal­lait con­serv­er ses let­tres heb­do­madaires et les archiv­er soi-même, comme avec les mag­a­zines de jadis. L’abonnement annuel est de 50 euros, soit un euro par édition.

Slo­bo­dan Despot, nous vous remercions.

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