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De l’imprimé de Gutenberg à la télévision, les médias ont parcouru un long chemin pluriséculaire pour en arriver, aujourd’hui, à s’imposer comme le premier pouvoir. Cela n’a pas toujours été le cas et il fut un temps où l’État et l’Armée exerçaient leur contrôle sur l’information. Qu’en est-il aujourd’hui ? Comment l’Armée gère-t-elle sa communication face à ce nouvel acteur influent, après des siècles de contrôle plus ou moins total ? Nous nous attacherons ici à retracer l’histoire des rapports entre l’armée française – surtout en temps de guerre – et les médias. Ou l’histoire mouvementée d’un rapport de force qui s’est inversé.
1797 : Bonaparte invente le communiqué de guerre
C’est Napoléon Bonaparte, jeune général promu à la tête de l’Armée d’Italie en 1796, qui invente le « communiqué de guerre » pour informer le pays de ses exploits contre les Autrichiens. Après ses grandes victoires, il crée le 3 thermidor an V (20 juillet 1797) Le Courrier de l’armée d’Italie, qu’il confie à Marc-Antoine Jullien, un ancien jacobin. Puis, le 16 thermidor an V (3 août 1797), est créée La France vue de l’armée d’Italie sous la direction de Regnault de Saint-Jean d’Angély, ancien membre de la Constituante. Enfin, avec l’argent du butin comme pour les précédents, naît Le Journal de Bonaparte et des hommes vertueux. Cette propagande médiatique orchestrée par Bonaparte, général d’armée, va contribuer à créer un terreau favorable à sa future prise du pouvoir.
Plus tard, une fois couronné empereur, Napoléon Ier mettra en place le Bulletin de la Grande Armée afin de s’assurer, en plus des tableaux de propagande, de l’image qu’il souhaite véhiculer de ses conquêtes. Seule la presse étrangère, le caricaturant, viendra alors égratigner cette image. Le rapport Armée – Médias était né, avec, pour commencer, un total contrôle des baïonnettes sur les plumes.
La guerre franco-allemande de 1870
En 1870, la situation est plus complexe. Les médias ont eu le temps de se développer et de se libéraliser depuis 1789 avec la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dont l’Article IX stipule : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette liberté, dans les cas déterminés par la Loi. » Et la loi du 11 mai 1868, sous le Second Empire, vient apporter une législation plus souple aux journaux. C’est dans les années 1860 que l’on parle pour la première fois de « presse de masse ». Si la guerre de Crimée (1853–1856) fut la première guerre de l’histoire couverte par la photographie, les médias de l’époque sont exclusivement sous format papier.
À l’annonce de la guerre déclarée aux Prussiens en 1870, le Premier chef du Cabinet Émile Olivier fait voter une loi interdisant à la presse d’évoquer la guerre. Seul le régime est habilité à informer des opérations militaires. Mais celle-ci ne se gênera pas pour outrepasser ces conditions. D’ailleurs, pour la première fois en France, des « correspondants » sont envoyés sur place, au plus près des combats – cette pratique ayant été inventée par le Times quelques années auparavant.
Cette situation tendue donnera lieu à une succession de procès engagés contre les propriétaires de journaux. On se souvient également de l’affaire Victor Noir, journaliste de La Marseillaise assassiné par le très instable cousin de Napoléon III, le prince Pierre-Napoléon Bonaparte. Malgré ce climat délétère, le régime et l’Armée resteront assez souples vis-à-vis d’une presse favorable au conflit dans sa grande majorité. Cependant, l’imprudence de celle-ci va la conduire, involontairement, à divulguer des informations sur les mouvements des troupes françaises ce qui, diront certains, sera à l’origine de la perte de l’Alsace-Lorraine.
Après l’abdication de Napoléon III et la promulgation de la IIIème République, la presse va être totalement libérée et beaucoup de journaux vont émerger lors du siège de Paris –la plupart, éphémères, se limiteront à un seul numéro. Mais les erreurs et imprudences de la presse vont rester dans les mémoires…
Censure et propagande durant la Première guerre mondiale
En 1914, il n’est pas question de reproduire la catastrophe de 1870–1871 qui avait vu la presse alimenter l’ennemi en information. La contrôle par l’Armée sera total : non seulement pour la sécurité du pays, mais également pour maintenir le moral des troupes au front ainsi que celui de l’arrière – qui doit soutenir l’effort de guerre.
Une lettre de Philippe Pétain, commandant en chef des armées, au ministère de la Guerre le 23 août 1917 définit ce que la presse a le droit de dire et les sujets qu’elle doit éviter. « Le nombre de journaux qui parviennent au front par l’intermédiaire des agences et des coopératives est considérable, écrit Pétain. Leur lecture a sur le moral des troupes une influence directe, mauvaise ou bonne ; d’où deux catégories d’articles : ceux qu’il faut éviter, ceux qu’il faut inspirer et propager. »
Il est ainsi imposé à la presse d’éviter d’évoquer « les projets de loi militaires », les « réclamations », les « peut-on dire », les « articles de nature à creuser un fossé entre officiers et hommes de troupe », le « dénigrement systématique de Commandement et des États-Majors », ainsi que « les critiques sur l’organisation actuelle de l’Armée ». Pour Pétain, ces sujets représentent « un puissant dissolvant de la confiance dans les chefs ».
En revanche, il est proposé de laisser libre cours à d’autres sujets. « Le soldat doit croire au communiqué de guerre », poursuit Pétain. Ainsi, celui-ci doit être « sobre et sincère », sans en rajouter. Le commandant en chef conseille également d’éviter la censure partielle, les blancs amenant trop souvent les soldats à des interprétations pires que le papier original. Il faut également faire comprendre au soldat la nécessité d’une « paix victorieuse » et non une « paix blanche » qui serait « pire que la guerre ».
Les journaux doivent également « insister sur les crimes commis » par les Allemands, défendre le retour de l’Alsace-Lorraine dans les frontières nationales, véhiculer une bonne image de « l’arrière », montrer au soldat que « le Pays vit avec lui », et enfin insister sur « le respect dû aux Chefs ». Voilà les conditions de publication de l’époque. « Le moral des troupes est directement influencé par la lecture des journaux, conclut Pétain. La puissance de l’article imprimé reste grande sur son esprit. Il faut que la lecture du journal ne soit pas pour les hommes une source de scepticisme ni de rancœur, mais de persévérance et d’enthousiasme. »
Chaque journal doit être lu et validé avant sa parution. Des fuites demeurent, mais le contrôle reste très important. Un éditeur de l’époque témoigne : « Au moment de mettre sous presse, on envoyait l’épreuve complète du journal, la morasse, par téléphone ; les censeurs indiquaient l’article, le passage, la phrase ou même le mot qu’il fallait enlever. Comme les journaux clichent généralement, et qu’il était d’ailleurs trop tard pour recommencer la mise en page, un ouvrier grattait les clichés avec un outil spécial, une échoppe. »
Le Canard Enchaîné est né de cette contestation de la censure. Il parait pour la première fois le 10 septembre 1915. Il cessera sa parution en octobre pour reprendre en juillet 1916. Sur l’image ci-contre, on peut voir les « blancs » laissés après le passage de la censure, ou « Anastasie » avec des grands ciseaux. La censure date de la loi du 5 août 1914 et s’étend sur l’intégralité du conflit. Même les lettres sont contrôlées afin que rien n’échappe à l’Armée et qu’aucun plan ne soit dévoilé à l’ennemi.
Le contrôle est assuré par l’Armée d’avril 1914 à avril 1917, avant que le gouvernement ne s’en occupe jusqu’à la fin de la guerre en novembre 1918. Les moyens de communication sont assurés par le Service d’information des armées et par le Secteur cinématographique des armées. Sur place, au front, les journaux ont leur « correspondants accrédités » ; mais tous leurs écrits sont contrôlés avant publication.
À côté de cela, la propagande officielle assure l’image que l’on souhaite véhiculer auprès de la population. La vie au front est idéalisée, jusqu’aux limites du grotesque. Ainsi, une « lettre du front » publiée le 15 septembre 1914 dans le journal Le Matin raconte : « Leur artillerie lourde est comme eux, elle n’est que bluff. Leurs projectiles ont très peu d’efficacité… et tous les éclats… vous font simplement des bleus. »
Une autre, publiée dans L’Intransigeant le 17 août 1914, est dans le même registre : « L’inefficacité des projectiles ennemis est l’objet de tous les commentaires. Les shrapnells éclatent mollement et tombent en pluie inoffensive. Quant aux balles allemandes, elles ne sont pas dangereuses : elles traversent les chairs de part en part sans faire aucune déchirure. » Des photographies de « vie quotidienne » des soldats accompagnent ces extraits de désinformation, laissant croire à une vie paisible sur le front.
Jusqu’à la fin de la guerre, le contrôle sera total, hormis quelques fuites. En aucun cas on ne veut que la presse compromette, comme elle l’a fait en 1870, le succès des opérations et, surtout, ne démoralise le pays et les soldats.
Seconde guerre mondiale et guerre des ondes
Durant la Seconde guerre mondiale, c’est une armée ennemie qui contrôle et bâillonne la presse française. L’apparition de la radio et le développement du cinéma sont de nouveaux facteurs à prendre en compte. C’est d’ailleurs par la radio que la guerre de l’information va se jouer, la fameuse « guerre des ondes ». Et c’est de cette même radio que les « fuites » vont avoir lieu, que le contrôle de l’information va échapper à l’armée d’occupation.
On se rend compte alors que les plus anciens médias sont toujours les plus contrôlables et que les nouveaux moyens de communication posent problème aux états et à l’Armée. La preuve est en, aujourd’hui, avec internet.
Devant l’inquiétude suscitée par la radio, et surtout les radios étrangères comme Radio-Londres – d’où les Résistants s’adressent aux Français –, les autorités allemandes iront même jusqu’à interdire son écoute, qui deviendra clandestine.
Nous ne nous pencherons pas outre mesure sur cette période, l’armée de contrôle étant une armée étrangère et les radios l’étant également.
« Embedded journalism » : le journalisme embarqué
Devant l’explosion et l’ascension gigantesque des médias en un demi-siècle, il fallait réagir. Comment contrôler et maîtriser un acteur de plus en plus influent, de plus en plus puissant, de plus en plus insaisissable ? Dans les années 90, la solution a été trouvée : le journaliste embarqué.
Le journalisme embarqué est une pratique qui consiste, pour l’Armée, à prendre dans ses rangs des journalistes accrédités afin de leur permettre de suivre le conflit de l’intérieur. Ces pratiques existent depuis un certain temps : on a vu, par exemple, lors du débarquement de Normandie en 1944, Samuel Fuller, caméra au poing, débarquer avec la troisième vague, et figurer parmi les premiers hommes sur la plage d’Omaha-Beach ; ou encore durant la guerre du Viêt-Nam.
Mais c’est depuis la guerre du Golfe, en 1991, que l’« embedded journalism » est devenu une pratique courante. En théorie, elle est utilisée pour permettre au journaliste – qui porte un uniforme camouflé, un casque et un gilet pare-balles – de capturer des scènes de guerre au plus près des combats. Dans les faits, elle n’a qu’une vertu : contrôler les journalistes et les utiliser.
Il s’agit tout d’abord de faire naître chez le journaliste un « esprit de corps » afin qu’il se sente, au fur et à mesure, « parmi les siens ». Ensuite, il est question de susciter une sympathie – et une difficulté à dire du mal – de ce dernier envers ceux qui, de facto, le défendent et le protègent. Enfin, le journaliste embarqué n’a pas grande marge de manœuvre : il va là où on lui demande d’aller. En général, il est tenu à l’écart des zones sensibles et même parfois, des combats. On peut également lui faire voir ce que l’on souhaite qu’il voit et faire passer des messages. Le contrôle est quasi-total.
Au Mali, un « embedded a minima »
L’armée française a parfaitement utilisé cette stratégie lors de la guerre au Mali. Les journalistes embarqués ont été intelligemment tenus à l’écart des combats et seules les miettes – déploiement, camp d’entraînement, etc. – leur étaient laissées. On voulait alors faire croire à une « guerre propre et nette », sans bavures. « On ne nous emmène jamais sur le front, là où se passent les combats. Pour l’heure, les opérations sont surtout menées par les forces spéciales. L’armée n’aime jamais montrer ça », a expliqué Pierre Grange, l’un des envoyés spéciaux de TF1 au Mali. « Les autorités françaises ont peur que nos informations servent à l’ennemi, poursuit-il. On nous refile donc très peu de tuyaux. » Durant ce conflit, on parle ainsi d’« embedded a minima ».
Pour contourner ce contrôle et les images officielles fournies par l’ECPAD (Établissement de communication et de production audiovisuelle de la défense), des médias comme TF1 et M6 n’hésiteront pas à donner des caméras aux habitants pour qu’ils leur ramènent des images. Mais devant cette impasse, beaucoup rentreront au pays dans les 15 jours et les médias se contenteront de faire bavarder des « experts » sur les plateaux télévisés.
Comme en 1914, comme depuis plusieurs siècles, on ne veut surtout pas que les médias fournissent imprudemment des informations à l’ennemi. Aussi, on veut contrôler l’opinion, donner une bonne image de la guerre. Le journalisme embarqué fût alors une technique des plus efficaces. Mais devant l’explosion d’internet et des moyens de communication (Wikileaks, smartphones, satellites, réseaux sociaux, etc.), les fuites sont toujours possibles.
Afghanistan : L’affaire Guesquière-Taponier
Hervé Guesquière et Stéphane Taponier sont deux journalistes de France Télévisions. Lors de la guerre d’Afghanistan, ces derniers ont été enlevés par les talibans en 2009 et ont passés 547 jours en captivité avant leur libération. Mais une polémique va naître sur leur imprudence et même, sur leurs réelles motivations.
Quelques jours après leur capture – ils s’étaient aventurés dans une zone à hauts risques déconseillée par l’Armée –, le président de la République Nicolas Sarkozy évoque une « imprudence vraiment coupable ». Le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, renchérit en déclarant que les journalistes font « courir des risques à beaucoup de nos forces armées, qui du reste sont détournées de leurs missions principales ». Le général Jean-Louis Georgelin, chef d’état-major des armées françaises, ajoute le 21 février sur Europe 1 que la recherche a couté « plus de 10 millions d’euros » et en appelle à un « sens des responsabilités des uns et des autres ». Même Bernard Kouchner déclare qu’il leur « faudra s’expliquer » après leur libération.
Scandale dans les médias, qui défendent leurs protégés. Reporters sans frontières condamne les déclarations des dirigeants. Pourtant, les faits sont têtus : les deux journalistes sont bien sortis de la zone de sureté, ont pris des risques inutiles – leur reportage était terminé – et ont mis, par la suite, en danger la vie des soldats français venus à leur recherche. Le reporter de guerre Yves Debay (1954–2013) parlera d’« imbécile ambition des “héros” » et dénoncera leur « mélange d’anti militarisme… additionné d’une recherche malsaine du sensationnel [ayant] mené au drame de cette prise d’otage qui a causé mort d’homme ».
Certaines rumeurs prêteront même aux deux journalistes des motivations bien plus graves : « assurer les talibans du soutien de la presse et de la gauche française dans leur lutte… »
Quoi qu’il en soit, cette affaire est bien caractéristique des oppositions constantes entre une Armée désireuse de mener à bien sa mission et de véhiculer une bonne image de la guerre qu’elle mène, et les médias, en recherche de sensationnel, d’hémoglobine et de scoop.
Explosion des moyens de communication et « droit de réserve »
Dans un premier temps, il convient de s’arrêter un instant sur ce surnom qui est, encore aujourd’hui, attaché à l’Armée : la Grande Muette. Nombreux sont ceux qui pensent que cette appellation de « grande muette » vient du fait que l’Armée, ou du moins son État-major, reste très en retrait de la vie politique et s’exprime rarement, et à grand renfort de langue de bois.
En réalité, ce surnom remonte à la IIIe République. Méfiants envers l’Armée, les Républicains ont alors interdit aux militaires le droit de vote. Cette loi ne sera abolie que le 17 août 1945, faisait des militaires la dernière partie de la population à avoir obtenu le droit de vote ; après les femmes. L’appellation « grande muette » demeure aujourd’hui du fait du silence imposé aux militaires sur leurs orientations politiques et religieuses, sur leur impossibilité de se syndiquer et de se plaindre publiquement de leur condition ou de l’organisation. L’article L4121‑3 du Code de la défense stipule (partie législative) : « Il est interdit aux militaires en activité de service d’adhérer à des groupements ou associations à caractère politique. »
Selon l’article D4121‑1 (partie réglementaire), « Tout militaire a le droit de s’exprimer librement dans le respect des dispositions du statut général des militaires. Les manifestations, pétitions ou réclamations collectives sont interdites. »
L’article L4121‑2 (partie législative) ajoute : « les militaires doivent faire preuve de discrétion pour tous les faits, informations ou documents dont ils ont connaissance dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions. » Mais cela reste ambigu et, comme nous allons le voir, pas toujours respecté.
2008 : L’affaire du groupe dit « Surcouf »
En juin 2008, le groupe Surcouf, un groupe d’officiers anonymes des trois armées (Terre, Mer, Air) publie une tribune dans Le Figaro pour contester et critiquer le Livre Blanc de la Défense. Il est jugé « déficient et davantage marqué par un certain amateurisme ». « Les autorités de la défense ont laissé passer l’occasion historique […] que justifiaient les ambitions du chef de l’État, ajoute le groupe. Le reste est affaire de communication politique, qui ne saurait masquer la réalité d’un véritable déclassement militaire de notre pays. » Dans cette situation, des soldats utilisent les médias pour revendiquer leur avis.
Dans la revue L’Épaulette d’avril 2009, le général de brigade aérienne Michel Sarazin revient sur cette affaire et se penche sur l’efficacité mitigée du « droit de réserve » dans l’Armée. Ce dernier regrette que les officiers de Surcouf n’aient pas été inquiétés car « les débats juridiques qui en auraient forcément résulté auraient peut-être permis de clarifier ces notions ». Il considère également qu’il serait « vain d’espérer trouver des définitions précises relatives au droit de réserve ».
« Dans le cas particulier du groupe Surcouf, poursuit-il, à partir du moment où la discussion concerne un projet largement débattu par les élus et dans les médias, on voit qu’il est difficile pour les autorités de s’appuyer sur cette nécessaire discrétion des militaires liée aux faits connus dans “l’exercice de leurs fonctions” pour reprocher un manquement au statut. »
Et ce dernier de conclure : « il apparaît, de façon paradoxale, que la seule manière de savoir, juridiquement, si un fonctionnaire a outrepassé les “limites de sa réserve” est que sa hiérarchie le sanctionne et qu’il intente ensuite une action en Conseil d’État. »
On voit bien que dans cette histoire, la puissance des médias est utilisée par des militaires, privés officiellement de toute revendication. Et l’Armée ne sait, devant l’ambiguïté du droit de réserve, gérer au mieux ce problème. Sans doute laisse-t-elle couler volontairement afin que sa voix soit toute de même entendue à propos de ce projet de démilitarisation progressive.
Cette année, on voit que cette liberté d’expression des militaires est un gros problème à gérer pour l’Armée : un grand nombre de militaires, dont des officiers et des enfants d’officiers, militent ouvertement contre le « mariage pour tous ». Selon le Canard Enchaîné, deux enquêtes viseraient actuellement ces militaires dans le but de les ficher et de les contrôler…
Conclusion
Au fur et à mesure que les médias se développaient il devenait de plus en plus difficile pour l’Armée de les contrôler. De Bonaparte et son contrôle total des communiqués de guerre à Philippe Pétain exerçant une censure imposante pour éviter les erreurs de 1870 ; de la Seconde guerre mondiale et ses radios étrangères à la guerre du Golfe et ses tentatives de contrôle par le journalisme embarqué… chacun s’est adapté en fonction de l’époque et des circonstances.
De nos jours, avec l’explosion des moyens de communication, le pouvoir énorme acquis par les médias et la puissance d’internet, il paraît de plus en plus difficile pour l’Armée de maîtriser son image et celle de ses actions. Jusque dans ses propres rangs, le problème se pose : les militaires, de plus en plus actifs sur internet et les réseaux sociaux, ne doivent en aucun cas révéler des opérations en cours ou, comme nous l’avons vu avec l’affaire Surcouf, pouvoir s’exprimer sur leur condition et sur les décisions prises par le gouvernement et l’État-major.
La complexité du monde entraîne une complexité des rapports de forces. Des rapports de force qui ont été, au fil du temps, jusqu’à s’inverser. Et cette histoire mouvementée entre les médias et l’Armée est loin d’être terminée…
CL