Le résultat du vote, qui s’est tenu mercredi 3 juillet à Libération concernant la nomination de Laurent Joffrin en tant que directeur de la rédaction, ne trompe pas. Une courte majorité (52,8%) s’est prononcée en sa faveur, une forte minorité votant contre (47,2%). Même si celui qui sera conjointement le PDG du titre n’a pas fait l’objet d’un véto (plus de 60% contre), le retour de Joffrin n’enthousiasme guère une partie importante des quelque 220 journalistes. A preuve, en 2006, lors de son troisième passage à Libération, déjà comme PDG, 63% de la rédaction l’avait plébiscité. Aujourd’hui, les raisons de ce vote mi-figue-mi-raisin sont variées.
En premier lieu, l’ex directeur de la rédaction du Nouvel observateur, n’incarnerait pas le renouveau attendu pour Libération. Le quotidien est en crise financière (2,5 millions d’euros de pertes en 2013), managériale et actionnariale depuis octobre 2013. Laurent Joffrin, revient pour la quatrième fois dans l’immeuble de la rue Béranger. L’ensemble de sa carrière a été marquée par des allers et retours entre Libération et Le Nouvel observateur. De surcroît, Joffrin n’aurait pas laissé que des bons souvenirs en interne, même s’il a redressé le journal, avec Natalie Collin, entre 2006 et 2011. Il serait jugé par nombre de rédacteurs de Libération comme l’archétype du journaliste parisianiste et, parfois, de connivence avec les puissants. “Le contraire du patron de rédaction, “addict” d’investigation et d’enquêtes”, jugent plusieurs sources en interne. Son âge, 62 ans, et le peu d’appétence pour les nouvelles technologies dont il a fait preuve pendant les trois ans passées au Nouvel observateur, ne plaideraient pas non plus en sa faveur.
Le choix de Johan Hufnagel, comme adjoint, a justement été opéré pour gommer ce maillon faible numérique. Le co-fondateur de Slate.fr, âgé de 45 ans, est un spécialiste de l’information digitale. Il a également été rédacteur en chef adjoint de Liberation.fr jusqu’en 2006, avant de démissionner pour rejoindre 20minutes.fr. Reste que son arrivée non plus ne ferait pas l’unanimité, après un passage contrasté à la tête du site. Son leadership managérial aurait été jugé insuffisant.
De ce constat émergent en troisième lieu des doutes sur la capacité réelle du duo à mener à bien les lourds dossiers qui l’attendent. Grosso modo, Joffrin et Hufnagel doivent faire complètement basculer Libération dans l’ère numérique. Trois signes forts attestent de cette nouvelle feuille de route. Les rédactions print et web fusionneront au 15 septembre. Alors que la collaboration fonctionne encore actuellement au coup par coup, au travers notamment de “Hubs” par services, la publication multimédia devra constituer une réalité dans deux mois seulement. Elle nécessitera la mise en place d’une politique serrée d’arbitrage au niveau du choix des canaux de diffusion de l’information. Les aspects techniques seront aussi revus, avec la fusion des deux systèmes actuels d’information pour le print et pour le web. Autre élément du changement, la refonte de Liberation.fr est également prévue à la rentrée. D’ores et déjà, la version actuelle héberge Radio Libé, lancée le 1er juillet. La web radio, pour laquelle Pierre Fraidenraich, le directeur opérationnel, a obtenu une fréquence auprès du bouquet Goom, a vocation à passer sur la radio numérique terrestre (RNT) au second semestre.
En confiant les rênes à Joffrin et Hufnagel, les actionnaires de Libération n’ignoraient évidemment pas ces faiblesses. Ils ont néanmoins préféré ce tandem qui connaît la maison à l’aventure avec un duo venu de l’extérieur, qui aurait été du reste probablement retoqué par la rédaction.