Après un passage raté en politique, l’ancien directeur de la rédaction et de la publication de Libération Laurent Joffrin refait une apparition dans le monde médiatique. Avec « Le Journal » il revient dans l’arène avec, à 70 ans, un sérieux risque de se gameller !
La quatrième voie de Laurent Joffrin
Monument de la gauche journalistique, Laurent Joffrin a de beaux restes. En dépit de l’échec cuisant du mouvement politique qu’il a tenté de lancer en 2020 « engagé.e.s », le septuagénaire fait encore parler de lui à la télévision notamment sur CNews et donc sur les réseaux sociaux. Son parti politique qui s’apparente plus à une cabine téléphonique et qui n’a jamais pesé semble déjà appartenir au passé. Malheureux en politique, heureux en média ? L’histoire le dira mais la mission s’annonce d’ores et déjà compliquée et Laurent Joffrin a lui-même déjà donné sa feuille de route : lancer un média en ligne affirmant une voix de gauche réformiste face à trois blocs considérés comme des dangers : « l’extrême droite nationaliste », « la technocratie verticale macroniste », « le populisme de gauche ». Électoralement parlante, cette quatrième voie avait un visage en 2022, celui d’Anne Hidalgo avec le succès que l’on connait.
Un ancrage politique à gauche
Si nombre de nouveaux médias revendiquent une certaine objectivité, à l’image de Factuel, Laurent Joffrin, lui, entend clairement monter un média ancré à gauche. Il constate dans Libération : « La gauche est paralysée, intimidée, prise en otage par les oukases de la France insoumise. ». Le journaliste dit ainsi vouloir revenir aux valeurs fondatrices de la gauche. Défenseur de la laïcité, opposé à la « cancel culture », il pourrait emprunter un chemin proche de celui de Franc-tireur mais dans une version plus gauchère. C’est le positionnement anti-Nupes qui semble cependant être la marque de fabrique que paraît vouloir imprimer Le Journal, si on s’en tient aux petites piques envoyées en direction des Insoumis et des publications des « engagé.e.s ». Aux côtés de Laurent Joffrin on retrouve néanmoins un profil moins « engagé » en la personne de Jean-Paul Mari, reporter, réalisateur et écrivain.
Un format numérique et une lettre
Pas fou, Le Journal ne se lance pas dans le papier mais s’en tient à un quotidien numérique doublé d’une lettre politique publiée sur la plateforme Kessel et envoyée tous les jours aux abonnés.
À grand renfort d’anaphores, dans un style très « hollandien » le journal se décrit comme écologique, libre, engagé… Pas avare non plus en formules toutes faites, il se donne pour devise « On peut être de gauche et avoir une bonne droite ». La lettre politique quotidienne est composée de l’éditorial de Laurent Joffrin, des trois principales informations du jour et de réflexions « polémiques » sur l’actualité.
Il sera compliqué pour ce média d’exister séparément de l’encombrante personnalité de Joffrin qui affirme pourtant que Le Journal se veut « capable de manier l’humour et de penser contre lui-même ». Économiquement, le média mise sur la plateforme Kessel chargée de monétiser l’audience, une audience que Joffrin estime « relativement diplômée ».
Une fenêtre de tir très étroite
Difficile pour l’heure de rire en lisant les premiers articles. On relèvera un format étonnant fait de bande-dessinée sur MBS. Quant à Jean-Paul Mari, il s’est essayé à un petit papier sur la question de la novlangue mais le texte est indigeste. Côté culture, on retrouve une ligne très proche de Franc-tireur.
Le Journal peine globalement à convaincre et il est difficile de percevoir l’apport de ce site en comparaison à ses concurrents si ce n’est l’éclairage de Laurent Joffrin. Le projet « né d’une sorte de colère » pourrait bien tourner court et le site était déjà mal géré dès la deuxième semaine d’existence. Mis en ligne le mercredi 12 avril 2023, il était toujours indiqué « semaine du 10 avril » huit jours plus tard, la semaine du 17 avril donc…
Un échec assuré ?
La ligne politique défendue par Laurent Joffrin est compréhensible. Il s’agit d’une ligne sociale-démocrate qui aujourd’hui est inaudible à gauche. Son principal porte-parole est l’insipide ancien Premier ministre de François Hollande, Bernard Cazeneuve et électoralement son retour reste suspendu à un hypothétique effondrement du centre macroniste et à un éclatement de la Nupes… Beaucoup de conditions donc ! Le Journal de Joffrin semble lui s’embarquer dans une voie sans issue. Et si le journaliste a un constat lucide sur le niveau du débat politique (« On n’est jamais tombé aussi bas qu’aujourd’hui » ; « Le débat public est en pleine régression »), il n’a en revanche pas vraiment su trouver la formule pour tirer ce débat vers le haut.
Voir aussi : Laurent Joffrin