En quelques semaines, le couple Trump/Musk a bouleversé le paysage politique, géopolitique et idéologique. Notre correspondant en Amérique du Nord revient – avec la méthode des questions/réponses – sur les conséquences de ces bouleversements dans les médias, leurs actionnaires et les journalistes.
Comment se positionne aujourd’hui Trump dans l’eschatologie médiatique ?
Résumons en une seule phrase : les journalistes n’ont pas compris qu’il y a eu une élection; leurs actionnaires et patrons, oui!
La fabrication d’un Trump apocalyptique, scandaleux et croquemitaine, avait fait jadis gagner beaucoup d’argent – ce n’est plus le cas !– à la cascade de holdings des grands médias télévisés qui somme toute forment un tout petit groupe en nombre :
- AT&T : actionnaire majoritaire de Warner Media, qui possède des médias tels que HBO, Warner Bros., CNN et TBS.
- Viacom-CBS : propriétaire de médias tels que CBS, MTV, Nickelodeon et Paramount Pictures.
- The Walt Disney Company : propriétaire de médias tels que ABC, ESPN, Disney Channel et
- Comcast : actionnaire majoritaire de NBC Universal, qui possède des chaînes telles que NBC, MSNBC, CNBC et Telemundo.
- Warner Media /Warner.bros-Discovery: propriétaires de
- Quelques grands capitalistes familiaux continuent de jouer un grand rôle (les Murdoch possèdent près de 40% du groupe FOX, tandis que les trusts familiaux de John Malone ou de Steven M. Ross, sont très influents dans la cascade Warner et Discovery)
- Notons que les giga-capitalistes tels que BlackRock et Vanguard ou encore State Street sont à peu près présents partout dans le système médiatique.
Qu’ont compris les actionnaires… et pas les autres ?
Résumons là encore en une phrase : en conséquence de plusieurs décisions de justice, comme ici, l’Intelligence artificielle va devenir une source de revenus colossale, assise sur des redevances, bien supérieure aux abonnements et à la publicité.
Dans ce modèle, les médias deviennent des « créateurs de contenu » dans lesquels vont puiser les entreprises d’intelligence artificielle. Or, aujourd’hui, l’IA, c’est Trump. De plus les « cellules souches » de l’IA (les algorithmes de départ), sont calibrés afin de produire une certaine « vision du monde ». Et cette vision du monde, c’est encore Trump. donc ne serait-ce que pour cette raison, il vaudrait mieux thématiquement aller dans le bon sens.
Et les journalistes n’ont rien compris ?
Il va falloir leur expliquer longtemps. Les journalistes « d’hier » ont été dressés à penser en silo, ou plutôt à colporter une bonne parole écrite par d’autres. Les aboyeurs d’aujourd’hui ont du mal à comprendre que le monde a changé et que la révolution trumpiste a pris racine. Et que la bonne parole a changé. Ils continuent (pour l’instant) de voir Trump comme une anomalie. Ils n’ont pas compris que Trump avait obtenu 66 millions de votes en 2016, puis 72 millions en 2020, puis maintenant 77 millions, de surcroit bien mieux répartis dans différentes catégories sociales. Il s’agit donc d’une poussée constante, en profondeur et en spectre de plus en plus diversifié. Ils n’ont pas compris que le Trump 2024 est un nouvel Obama… à l’envers!
Ils n’ont pas compris non plus que le modèle d’affaire de leurs patrons a changé, il n’ont pas compris que le modèle d’affaire du pays (pseudo-multilatéralisme hypocrite) a changé (impérialisme économique et technologique multipolaire).
En conséquence, ils se comportent comme des acteurs privés de texte, et, forcés à improviser, s’épuisent à courir après toutes les balles.
Comment se fait-il qu’ils n’aient pas compris cette évidence ?
Parce que, contrairement à leurs actionnaires, ils ne comprennent pas qu’une oligarchie vient d’en remplacer une autre. Et que s’y sont ralliés les grandes machines comme BlackRock et Vanguard, et de nombreux autres. Ils semblent ne pas comprendre que si les GAFAM avaient mis en place Barak Obama et Joseph Robinet Biden, ce sont bien aujourd’hui les grands pontes de l’intelligence artificielle et du numérique qui ont installé Trump à la Maison blanche. Ce sont eux, les nouveaux patrons. Et ce sont les patrons de leurs patrons. Et déjà les contrats des journalistes se renouvellent à une fraction du montant antérieur, quand ils ne sont pas simplement terminés. Blessés dans leur vanité, ils aboient toujours, mais le cœur n’y est plus.
Pourquoi tous les démocrates capitalistes ont-ils misé sur Trump ?
D’abord parce que les équipes de Biden ont voulu faire avec eux ce qu’ils avaient fait avec Twitter et Zuckerberg. Ils pensaient pouvoir imposer leurs règles (et leur normes) aux géants en herbe de l’IA. Ils se situaient mentalement dans le modèle qui fixe l’État comme patron des technologies. Ils semblent ignorer que ce sont les technologies qui vont maintenant contrôler l’État.
Or, deuxième raison, Trump et les oligarques se tiennent par la barbichette. Ce qui constitue la force de la nouvelle coalition : Trump et les siens tout comme Musk et les siens, sans omettre Kennedy et les siens, tous veulent démolir un système rongé par les cochenilles, mais ni les uns ni les autres ne pourraient le faire seuls.
La troisième raison serait que cette nouvelle génération d’entrepreneurs comprend que les États-Unis sont un Titanic qui flotte encore, ne réalisant pas qu’il est déjà mort. Il faut donc, pensent-ils, reconstruire le bateau en pleine mer plutôt que le sauver. Car l’iceberg chinois a causé beaucoup trop de dommage à la coque. Et les équipages du monstre sont dépassés par le principe de Peter. Il faut en fait tout reconstruire : une économie adaptée au futur, une armée adaptée au futur, pour réinventer l’hégémon américain du futur. Et tout cela passe par une domination technologique massive, face à la Chine qui fait vite, mieux et moins cher. Pour mieux comprendre cette vision nous référons vos lecteurs au podcast All In, dont les participants ont joué un grand rôle dans la campagne Trump, et le suivent encore aujourd’hui.
Réinventer en même temps l’économie, l’armée et la technologie, ça semble prometteur. Mais est-ce faisable ?
C’est ici que s’impose la prophylaxie en cours qui a pour objectif de nettoyer les écuries d’Augias et réorganiser en accéléré la bureaucratie, la ramener à ses missions originelles, rendre l’État à la population. Bill Clinton et Al Gore avaient essayé, Barak Obama aussi. Sans succès.
Or, cela change aujourd’hui. Il faut noter que tous les hauts responsables aux postes critiques récemment nommés (Santé, Défense, Affaires étrangères, Trésor, Sécurité nationale, Éducation, etc.) vont, outre leurs tâches usuelles, joindre leurs forces avec le ministère temporaire de l’efficacité gouvernementale dirigé par Musk, le DOGE.
Une telle opération cumule trois objectifs pour 2026 :
- Opérationnellement : l’optimisation de la performance du système
- Culturellement : l’éradication du paysage étatique et fiscal des églises wokiste, climatiste, et belliciste.
- Financièrement : la récupération en cash de deux à trois mille milliards de dollars.
Pourquoi un objectif si court, si impensable ?
Il faut d’abord agir avant que le parti démocrate rejaillisse de ses cendres.
Ensuite, date importante, les élections législatives de mi-mandat auront lieu en 2026. Sur un plan politicien, il sera important certes de démontrer la réalisation d’un progrès, mais principalement de mettre en lumière les bienfaits attendus de la continuation des nouvelles politiques, c’est-à-dire le stoppage de la Chine dans ses progrès exponentiels.
Avec également le rêve secret de la nouvelle oligarchie : réinstaller la Russie et ses promesses économiques dans le giron du « Make the World Great Again », ou encore « Make the World Intelligent Again ». avec à terme un découplage de la Russie et de la Chine.
Soyons clair : l’administration Trump ne réussira que dans le cas où elle aura dégagé deux à trois mille milliards de $, ce qui permettrait non seulement de colmater progressivement les déficits budgétaires, de compenser l’inflation tarifaire et d’inverser le cercle vicieux de la dette.
Car ce sera entre 2026 et 2028 que tombera la guillotine. Les États-Unis auront à rembourser des portions importantes de leurs capitaux empruntés. Habituellement, ils empruntent à nouveau pour rembourser le principal. Mais, cette fois-ci pourront-ils le faire, et à quelles conditions? Faute de produire à nouveau des excédents, l’Amérique deviendra l’Angleterre post-impériale des années cinquante et soixante : un pays en faillite. Les journalistes le savent-ils ?
Revenons aux médias, justement. Pourquoi ces plans « futuristes » de la nouvelle équipe ne sont-ils pas acceptés, ou du moins admissibles en tant que sujet d’étude. Pourquoi entend-on toujours la même rengaine, à savoir « Hitler avait perverti la démocratie pour organiser le génocide, Trump et Musk font de même », comme cela s’est dit après le discours de Munich du Vice-Président Vance ?
D’abord faute de nouveaux maîtres démocrates capables de leur vendre un message cohérent, les journalistes américains, après avoir tenté de recycler quelques vieilleries sur Trump (oubliant au passage qu’il n’est plus le principal de la fable), deviennent à leur tour des personnages en quête d’auteurs. Il vont donc acheter leur drogue chez les grossistes européens. Or, en Europe, le système médiatique né de la génération Obama tient encore. La presse européenne elle non plus ne saisit pas les enjeux structurels et culturels qui vont faire imploser l’ordre mondial actuel. L’Amérique pense de plus en plus que les Européens vivent encore dans les années quatre-vingt-dix.
Mais il y a une autre raison à la persistance d’une certaine hostilité à l’égard de ce mouvement MAGA.2 : la peur. La nomenklatura des élites politiques, médiatiques, culturelles, bref la classe dirigeante, est terrorisée par l’émergence de cette nouvelle lutte des classes qui se constitue sous leurs yeux. Ils ont bénéficié de la lutte des races et des genres, mais sont perdus face à ce nouveau bloc inattendu et désormais compact qui vient de se souder pour les confronter… sans culpabilité.
En quoi consiste cette terreur ?
Les travaux du « DOGE » de Elon Musk semblent produire un effet qui n’était ni attendu ni prioritaire au départ : de nouveaux lièvres sont levés, et peut-être de nouvelles incriminations « en col blanc » à venir. Il faudra cependant attendre pour en mesurer la magnitude.
Ensuite, la stratégie de désarchivage des documents confidentiels sur le Président Kennedy et son frère, ou sur la vie et la mort d’Epstein, ou encore le dévoilement des circonstances autour des deux tentatives d’assassinat de Trump, puis enfin les enquêtes qui vont démarrer au Ministère de la Justice sur le « Warfare » judiciaire mené contre Trump pendant la dernière campagne électorale, toute cette masse risque d’être lourde de conséquences pour beaucoup de monde, et donc aussi parmi les journalistes et actionnaires, que ce soit au pénal ou au civil. En effet, les groupes de presse craignent une épidémie de procès, dommages et intérêts astronomiques à la clé.
Les travaux du « Department of Government Efficiency » pourraient produire une masse de matériels compromettants susceptibles d’être utilisés à des fins de négociations politiques ou internationales. Car, à l’inverse de son premier mandat, Trump dispose d’une solide équipe officielle et officieuse qui prolongent ses tentacules.
Pour en revenir aux actionnaires, il est probable que ces derniers soient en position d’attente. Les dirigeants lancent déjà des messages, et disciplinent d’avantage leurs journalistes, en licencient quelques-uns parmi les plus déjantés. Et attendent.
On parle beaucoup des juges en ce moment. Est-ce un problème ?
Oui. Comme d’habitude, les juges activistes, sont ici pour prévenir l’émergence de la vérité, se substituant un jour au pouvoir législatif, un autre au pouvoir exécutif. Leur décision la plus problématique vise à bloquer – au moins le temps des procès- l’accès aux informations du Ministère du Trésor par le DOGE (sur les données dites personnelles). L’incident a commencé lorsque l’équipe de Musk a découvert que le bien-fondé du paiement de 4,7 mille milliards de $ sont potentiellement contestables, les versements ayant été exécutés sans inscription au dossier des codes d’identification usuels, ce qui rendait les opérations « pratiquement intraçables ».
Le DOGE a alors demandé au trésor d’avoir accès aux données brutes, mais 21 États démocrates ont intenté un procès, ce qui a entrainé une injonction de sursoir à exécution de la part du juge en charge de l’affaire. Ce qui retardera le processus. Or le DOGE n’est pas une création diabolique : l’agence a simplement remplacé une agence digitale préexistante (fondée par Obama) en charge d’introduire et d’améliorer le digital dans les services gouvernementaux en vue d’une gestion plus efficiente. Le site internet actuel de l’agence illustre les sujets majeurs et les entités qui sont dans son collimateur, procédant à des mises à jour quotidiennes.
Parmi les prises de chasse, l’USAID, qui reste encore à débobiner, l’administration en charge des ressources humaines, la Sécurité Sociale qui semble-t-il entretient des relations avec une vingtaine de millions d’américains de plus de cent ans, ce qui entraine quelques soupçons.
Le mot de la fin ?
En résumé :
- Une nouvelle oligarchie est en train de prendre le pouvoir sur le monde, celle de l’intelligence artificielle et des monnaies numériques
- Les actionnaires de presse tentent semble-t-il de procéder par petites touches à des réajustements, conscients de leurs futures stratégies de croissance ou de délestage.
- Les chaînes ont perdu certains ténors, et, en général, les attaques personnelles contre Trump ont grandement diminué.
- Le nouveau croquemitaine est Elon Musk. Il était un génie venu du Canada. Il est désormais un Sud-Africain raciste qui libère le monde de la censure pour instaurer le totalitarisme. Mais le cœur n’est plus dans ces attaques. Les actionnaires recommandent une certaine mesure.
- Les journalistes sont encore bouleversés par les récents discours sur l’Ukraine du Vice-Président Vance, du Ministre des affaires étrangères Rubio et du ministre des Armées Heghseth.
- Ils sont tout aussi désorientés dans les affaires de Gaza, de Panama, du Canada, du Groenland.
- Les journalistes, donc, font peine à voir. Ils craignent de perdre leur poste, l’environnement technologique modifie les modèles d’affaires, le business va mal. Ils découvrent leur propre vacuité. Alors combien de temps leur faudra-t-il pour redevenir humains ?
- Le paradoxe veut que les podcasts des anciens mis à la porte par FOX – Tucker Carlson, Bill O’Reilly, et Megyn Kelly – ont tous les trois des taux d’audience, à certaines heures, supérieurs aux audiences des médias de grand chemin. D’où le rachat par FOX de Red Seat Ventures, leur courtier en publicité. Ce qui les ramènerait de façon détournée à la maison mère.
Mimar Sinan