Le vendredi 31 janvier 2020 était le Jour J. À 23h (heure britannique, soit minuit heure française), le Royaume-Uni devait officiellement cesser d’être un État membre de l’Union européenne. C’est la première fois qu’un pays quitte l’Union européenne et ce sujet concurrençait donc vendredi matin celui du coronavirus chinois comme sujet principal de la journée.
Chez les anglais
Le tabloïd anglais The Sun criait victoire : « Aujourd’hui à 23h, après 30 ans de résistance, le grand peuple du Royaume-Uni aura enfin réalisé le Brexit ». Pourquoi 30 ans de résistance seulement alors que les Britanniques étaient membres de l’UE depuis 47 ans ? C’est expliqué tout de suite après le titre : « Trois décennies après que tout eut commencé à pourrir avec l’impulsion vers les États-Unis d’Europe ». The Sun fait ici référence au Traité de Maastricht signé en 1992 qui a modifié la nature de l’intégration européenne.
Le journal pro-Brexit et pro-Conservateurs Telegraph faisait lui aussi ses grands titres sur le Brexit vendredi matin, avec Boris Johnson qui « annonce ‘l’aube d’une nouvelle ère’ en célébrant Jour du Brexit avec une baisse des impôts ». Le Telegraph publiait également un éditorial optimiste du ministre de l’Intérieur Sajid Javid dont le titre commence par les mots « Notre grand pays est enfin libre » et un autre qui nous apprend, en référence au vote du parlement écossais sur un nouveau référendum pour l’indépendance et sur le maintien du drapeau européen devant le parlement d’Édimbourg malgré le Brexit, que la présidente du parti indépendantiste écossais SNP « Nicola Sturgeon panique : il lui reste de moins en moins de temps pour réaliser son rêve d’indépendance ». En effet, explique le journaliste Tom Harris, il n’y aura pas de si tôt un deuxième référendum sur l’indépendance de l’Écosse.
Tristesse en revanche au journal anti-Brexit et pro-Travaillistes The Guardian chez qui la nouvelle la plus importante liée au Brexit vendredi matin était un avertissement d’un ancien ambassadeur britannique aux États-Unis : « Trump donnera la priorité aux entreprises américaines dans le commerce post-Brexit ». Le Guardian nous apprenait également vendredi matin qu’on assiste depuis 2016 à une « gigantesque augmentation des Britanniques demandant un passeport non britannique » comme assurance pour l’ère post-Brexit.
Chez les mangeurs de grenouilles
Côté français, on publiait au Figaro vendredi matin une tribune de Nicola Sturgeon, la leader indépendantiste écossaise, qui expliquait que « le Brexit est un jour de grande tristesse pour les Écossais » et que « l’Écosse a le droit de choisir son propre avenir et que la meilleure option pour l’Écosse est d’être un pays indépendant, au sein de l’Union européenne. » « L’adieu à l’Europe » pouvait-on lire en gros titre de Une dans l’édition papier avec, toujours en Une, l’éditorial du jour intitulé « Singapour-sur-Tamise ». Dans cet éditorial, Philippe Gélie fait l’éloge du dynamisme britannique et s’inquiète plutôt pour l’Union européenne post-Brexit : « Il ne fait pas de doute que l’Union perd énormément avec le départ du Royaume-Uni — cinquième puissance économique mondiale, centre financier international, deuxième budget militaire européen et pilier de l’ONU. L’UE, qui n’existait déjà pas beaucoup sur la scène géopolitique, en devient une puissance amoindrie. Sans doute lui reste-t-il assez de poids pour négocier sans faiblesse avec un pays dont elle est, de loin, le premier partenaire commercial. Bruxelles veut à tout prix empêcher l’apparition d’un paradis fiscal dérégulé à ses portes. Il en va de son propre modèle, qui pourrait souffrir de la compétition avec un Singapour-sur-Tamise. »
Au Monde, on titrait en milieu de Une de l’édition papier vendredi matin : « Brexit : l’Europe entre dans l’inconnu ». Dans sa chronique du jour, Philippe Escande remarque que « Boris Johnson promet des aides publiques, tout ce que le Royaume-Uni a combattu quand il était dans l’UE ». Les décodeurs du Monde intervenaient aussi vendredi matin pour expliquer que « les partisans d’un ‘Brexit dur’ ont dû faire le deuil de nombre de leurs rêves et des promesses qui leur avaient été données », tandis qu’on apprenait grâce à un reportage que « à Grimsby, où l’on a voté à 71 % pour le Brexit, les habitants sont déterminés mais n’osent pas croire à des lendemains qui chantent ».
Outre-Rhin
Chez nos amis allemands, le sujet de la procédure en destitution de Trump l’emportait vendredi matin sur le site du quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung, suivi du coronavirus. Avec tout de même une rubrique spéciale Brexit un peu plus bas, contenant trois titres : « Johnson veut reboucher les fissure en Grande-Bretagne », suivi du chapô « Le premier ministre Johnson ne veut pas que les Écossais revotent pour leur indépendance », puis un éditorial des « trois présidents de l’UE (de la Commission européenne, du Parlement européen et du Conseil européen ») : « Tournés vers l’avenir avec la Grande-Bretagne », et l’affirmation en chapô qu’en ces temps troublés il vaut mieux être gros et que « après le Brexit, l’UE s’intégrera encore plus ». Troisième titre en page d’accueil du FAZ, l’avis de la Bundesbank sur le Brexit : « Londres devient pour nous un risque ». En effet, explique un membre du conseil d’administration de la banque centrale allemande, les Britanniques vont libéraliser leurs règles concernant les banques. »
Sur le site du quotidien Die Welt, en revanche, le Brexit occupait vendredi matin tout le haut de la page d’accueil. L’article de tête concernait les craintes de concurrence déloyal après le Brexit quand les Britanniques auront réduit leurs taxes et libéralisé leurs règles. Deuxième titre : « Boris Johnson ne pourra pas toujours nous barrer la route », explique l’Écossaise Nicolas Sturgeon dans un entretien avec la correspondante du Welt Stefanie Bolzen. Le troisième titre concerne le « Megxit », un départ de Harry et Meghan dont la faute incomberait selon Die Welt aux Britanniques et à la reine d’Angleterre elle-même.
Au-delà des Alpes
En Italie, le journal de droite Il Giornale avait semble-t-il d’autres chats à fouetter sur son site que le Brexit vendredi matin. Le seul article un peu visible était intitulé « Le Brexit et la leçon de Londres : comment le peuple à battu les élites ». Coronavirus, débarquements d’immigrants, Salvini,… : le grand quotidien de gauche La Repubblica avait visiblement manqué lui aussi de place pour le Brexit en tête de son site vendredi matin. Le contraste avec les sites des journaux français et allemands était frappant. En descendant un peu, on trouvait malgré tout sur le site de La Repubblica la vision de l’Ecossaise Nicola Sturgeon : « Nous reviendrons en Europe en tant qu’État indépendant ».
Par-delà les Pyrénées
Vendredi matin sur le site du quotidien espagnol de droite ABC, c’est la soumission du premier ministre Pedro Sánchez aux indépendantistes catalans qui occupait la Une. L’éditorial d’ABC était toutefois consacré au Brexit ce matin-là, sous le titre : « Londres n’a pas de quoi fêter ». En effet, explique la rédaction d’ABC, « c’est un moment de tristesse pour tous les Européens » : « à partir de maintenant ils seront citoyens d’un pays tiers, et c’est pour cette raison qu’il faut considérer les festivités programmées par certains à Londres comme étant des manifestations obscènes qui ne présagent rien de bon. Le nationalisme, tout nationalisme exclusif et clivant, est mauvais par essence ». Sur le site du journal de gauche El País, c’était en revanche bien le Brexit qui occupait tout le haut de la page, avec, à nouveau, l’avertissement de Nicola Sturgeon, toujours elle : « L’Écosse reviendra dans le cœur de l’Europe en tant que pays indépendant ».
L’indépendance de l’Écosse sera t’elle la nouvelle marotte des pro-UE sur le continent ? Rien de mieux pour pouvoir enfin prouver que les partisans du Brexit ont eu tort et qu’on avait bien eu raison de les prévenir…