Trump a gagné contre les médias. Quelles sont les racines de sa victoire ? Eric Le Ray, français installé au Canada, tour à tour imprimeur (diplômé de l’école Estienne), journaliste de presse écrite, de radio et de télévision puis éditeur répond avec brio à la question tout en élargissant son propos. Auteur d’ouvrages sur Marinori le fondateur de la presse moderne et sur la presse électronique il nous livre dans son dernier opus une réflexion stimulante sur l’évolution des médias… et sur notre propre pouvoir de citoyens.
Thierry Crouzet en 2011 dans son essai sur Le Cinquième pouvoir, Comment internet bouleverse la politique présente une définition (déjà avérée en 1965) de ce pouvoir : « ensemble des citoyens fédérés grâce aux nouvelles technologies de communication. Il contrebalance le quatrième pouvoir celui des médias et par extension du business ». Les citoyens deviennent acteurs de la corégulation des médias.
Le journaliste pris entre deux feux
Snowden, Assange et d’autres ont révélé l’ampleur des atteintes aux libertés individuelles de la NSA, de la CIA ou de la Sureté du Québec. La liberté du journaliste est dangereusement réduite de ce côté et le secret des sources – quelle que soit la législation votée – devient un leurre. Au moment même où le journaliste voit ainsi sa liberté d’action entravée, il est victime (à bon droit ?) d’un autre côté de la méfiance de ses lecteurs, engendrant un effet de ciseaux. Aucun système d’ombudsman, de médiateur, d’autorégulation ou de régulation administrative des médias n’a réellement fonctionné au moment où l’élection de Trump a cristallisé le rejet de la « médiasphère oligarchique organisée » (Aristide Leucate).
Le journal sans journalistes
Si internet bouscule les habitudes le journalisme lui-même ne va pas mourir pour autant mais il est possible maintenant de créer un journal sans journalistes. Au-delà du statut professionnel le citoyen devient un médiateur d’information au même titre que le journaliste de métier dont la seule sauvegarde est une éthique irréprochable. Autant dire que le danger est grand pour le journaliste professionnel comme le révèle la dernière enquête de La Croix sur la confiance dans les médias et les journalistes publiée début 2017.
À la reconquête du pouvoir démocratique
Le parti des médias a reçu une première claque lors du vote du Brexit, la deuxième a été encore plus sévère avec l’élection de Trump. L’utilisation massive des réseaux sociaux a permis à Trump un contact direct avec le peuple américain, shuntant les médias traditionnels qui lui étaient hostiles à plus de 90%.
Si Mac Luhan affirmait « Medium is the message », Le Ray renverse la proposition « People is the message » mais si les gens sont le message ils en deviennent en même temps le sens. Ils sont devenus le média et construisent une partie grandissante de la réalité sociale. Après une période de « copiage » des médias traditionnels les réseaux sociaux s’autonomisent, « ils deviennent une source à part entière d’information ».
Les informaticiens ont remplacé les typographes avec le passage de la galaxie Gutenberg à la galaxie Steve Jobs. Les nouveaux journalistes citoyens de la civilisation du numérique vont ils remplacer les journalistes professionnels ? Et ajouterons nous quelles seront leurs limites au moment où Google et Facebook prétendent filtrer l’information pour éviter les « fausses nouvelles » remplaçant la censure des financiers et l’auto-censure d’une partie des journalistes et des rédactions par une censure numérique infiniment plus efficace ? Le petit livre d’Eric Le Ray ouvre de nombre pistes, une lecture stimulante et indispensable pour quiconque s’intéresse à l’avenir des médias.
Eric Le Ray, Le Journal sans journalistes ou le cinquième pouvoir des gens ordinaires, 2016, 115p, 28€ ou 24€, le livre est disponible dans les Fnac ou téléchargeable sur tablette de lecture (20€).