Créé en 2013, d’abord sous le nom du « Courrier de Floride », Le Courrier des Amériques a la particularité d’être (à notre connaissance) le seul journal français imprimé en dehors des pays francophones : il n’y en a pas d’autres à Londres, New-York ou Tokyo.
C’est la présence d’environ 40.000 Français en Floride, mais surtout d’un million de Québécois (pendant les mois « froids » au Québec) qui permet ainsi d’avoir un journal mensuel francophone gratuit, financé par la publicité et distribué en Floride. Pour sa part, le site internet parle d’un peu tout ce qui concerne les États-Unis : tourisme, politique, business… et pas seulement de la Floride.
Rencontre avec Gwendal Gauthier, qui a créé ce média et le dirige toujours. Parmi les analyses intéressantes, on peut noter au passage que M. Gauthier a expliqué 8 jours avant l’élection présidentielle de novembre pourquoi Donald Trump allait gagner l’élection présidentielle. Pour un média qui se déclare « neutre », c’est une prise de risque intéressante. Vous pouvez lire Le Courrier des Amériques ici (courrierdesameriques.com).
Quels sont les principaux challenges journalistiques que vous rencontrez aux États-Unis ?
Gwendal Gauthier : Je sais que vous pensez que les médias ne sont pas neutres en France, mais alors aux États-Unis c’est mille fois pire ! Depuis 2016, les télévisions et tous les grands journaux organisent leur contenu en fonction de Donald Trump. Et pas uniquement au niveau politique. Pendant sa campagne électorale, Trump a par exemple été servir des frites dans un McDonald’s. Dans les semaines suivantes, chaque jour le journal télévisé d’NBC News mentionnaient des problèmes d’hygiène dans les McDonalds. En Europe vous avez CNN International, mais il ne faut pas croire que le CNN Américain ait quoi que ce soit à voir avec la version internationale : ici depuis 10 ans ils critiquent Trump toute la journée. Et Fox News fait l’inverse : le contenu informatif des télévisions est absolument navrant, et la presse imprimée traite pour sa part d’autres sujets, mais au niveau politique c’est la même chose. Apparemment une forte perte de lectorat a touché ces médias. Tant mieux.
Alors, mes défis personnels, c’est d’arriver à rester neutre dans un tel univers. Les Américains (y compris francophones) sont très polarisés et chauffés à blanc les uns contre les autres. Il faut en conséquence faire très attention, notamment quand on poste des analyses politiques sur les réseaux sociaux : ça peut rapidement tourner au vinaigre et vous mettre en position d’accusé.
Apparemment, des médias américains ont décidé de se remettre en question cette fois ?
Oui, mais c’est récent et… je demande à voir. J’ai l’impression que plus personne dans ce pays ne sait ce que c’est que d’être neutre. Dans l’ensemble, durant plusieurs décennies, les médias américains sont passés dans ce que moi j’appelle la post-vérité. À partir du moment où on écrit « contre le mal », qu’importe la vérité ? Mais une fois que les télés sont remplies de post-vérités sur les « impeachments » de Trump ou sur les enquêtes concernant les événements du Capitole le 6 janvier 2020, alors les journaux télévisés se referment et le reste de l’info n’a pas été traitée. Effectivement, quelque chose est en train de bouger, notamment avec les coups de boutoirs de Trump et de Musk. Mais je me demande vraiment comment ils vont faire pour en sortir. Ce sont les mêmes mass médias qui se sont tous dotés dans les dernières décennies de cellules de « fact checking ». Ça ne les a pas empêché de sombrer dans la post-vérité !
Depuis 8 ans on entend beaucoup parler de « climat de guerre civile aux USA », y a‑t-il un fond de vérité ?
D’après ce que j’ai pu constater, il n’y a aucune base crédible à ces accusations. Il y a un changement dans les modes de communication avec l’arrivée d’internet. Des gens qui s’engueulaient autrefois au bistrot le font désormais sur le web. Les Américains n’arrivent plus à comprendre un seul point de vue politique, donc à la place ils envoient facilement des insultes. Mais ce n’est pas de la haine. Chacun a pu voir que les communautés (noirs, latinos etc…) votent de manière plus complexe et partagée que ce que certains avaient prévu.
Pour faire court : pour moi les États-Unis sont un pays fragile, et fragilisés par le melting pot, le manque de cohésion. Emmanuel Todd a fait un excellent travail sur le sujet. Mais… tant qu’il y a de l’argent, on n’est pas près de voir le début d’une guerre civile. Les gens ne se détestent pas.
Votre contenu semble effectivement assez varié et neutre. Êtes-vous passé par une école de journalisme ?
La réponse est dans votre question (rires) ! J’ai commencé dans le journalisme directement à Oise Hebdo pendant 6 mois qui m’ont permis d’apprendre l’essentiel, notamment cet état d’esprit non-partisan, ouvert ; puis ensuite dans d’autres rédactions de la presse locale.
Vous n’êtes pas même atlantiste ?
J’ai vu cette critique parfois. Bien sûr, quand il le faut, nous défendons l’amitié franco-américaine, y compris sur des questions politiques ou militaires. Mais uniquement quand notre analyse peut apporter quelque chose au débat et quand ça nous paraît justifié. Je ne pense pas qu’on puisse en traduire que nous avons des partis pris. Bien sûr nous sommes favorables à l’amitié entre les peuples et tant que possible entre les pays, nous sommes-là pour créer ces liens.
En regardant votre site internet, on peut voir que vous écrivez beaucoup pour aider des investisseurs et chefs d’entreprises à quitter la France ou le Canada. Est-ce bien raisonnable ?
La perception de ce que sont les expatriés me paraît erronée, notamment en France. Nicolas Sarkozy pensait que les expats étaient des génies, il leur avait même remboursé les frais de scolarité à l’étranger. François Hollande, au contraire, voulait empêcher les Français de partir, et voulait bloquer leur argent. Emmanuel Macron lors de sa première visite à New York en tant que président, disait qu’il voulait « aider les expats à rentrer ». Les bras m’en tombent. Les expats aux États-Unis ne sont ni des génies ni des voleurs. Il y a de tout : des artistes, des fonctionnaires, des profs de français, de nombreux cadres des multinationales françaises, canadiennes etc… des militaires, des aventuriers, des couples bi-nationaux, des chefs d’entreprises qui importent aux États-Unis des produits français etc… Il y a toujours eu des Français à l’étranger. Maintenant, effectivement il y a aussi quelques exilés fiscaux. D’ailleurs un bon nombre de chefs d’entreprises préfèrent travailler aux États-Unis pour ces raisons-là… fiscales. La responsabilité incombe directement aux pays d’origine (France, Québec…). À eux de savoir quelle fiscalité ne va pas faire fuir une partie trop importante de leurs habitants. De même pour les règles sur la Covid. Quand des jeunes chefs d’entreprises français ou canadiens, qui ont l’avenir devant eux, se font fermer leur entreprise et enfermer chez eux par le gouvernement et qu’ils voient sur les réseaux sociaux qu’en Floride on n’a que très peu de contraintes et qu’on peut aller à la plage… ça en fait partir un certain nombre. C’est aux gouvernements de prévoir les conséquences de tout ça. Nous, en tant que média, nous ne faisons que publier des infos.
À ce qu’on voit, il n’y a pas non plus des millions de francophones à arriver chaque année aux États-Unis, mais c’est vrai que depuis la Covid ça ne faiblit pas. Et, pour répondre à votre question, les investisseurs sont une part de notre lectorat… tout comme le sont les retraités québécois ou les jeunes cadres internationaux.
Vous avez eu des prédécesseurs aux États-Unis ?
Il y en a eu des journaux populaires dans les États francophones comme la Louisiane, ou encore ceux proches de la frontière canadienne mais il n’y a plus d’imprimés français à part le Courrier des Amériques. Il y avait aussi France-Amérique qui était née durant l’occupation, avec un mot de soutien du général De Gaulle publié sur la couverture du premier numéro. Mais malheureusement France-Amérique s’est arrêté à la fin de 2023.
Notez qu’il y a aussi de dynamiques petits médias numériques francophones qui renaissent en Louisiane. Ce ne sont toutefois pas des médias « étrangers », mais authentiquement américains, en langue française et/ou en créole de Louisiane.