Trois mois après son appel à projets, le Fonds pour une presse libre vient d’annoncer avoir sélectionné les neufs projets (pilotés par des « médias indépendants ») qui seront en charge d’enquêter, jusqu’à septembre 2025, sur « l’extrême-droite ». L’objectif de cette initiative inédite est clair : déstabiliser le RN « en position de conquérir le pouvoir ». Une première pour le Fonds de dotation de Mediapart.
L’appel à projets avait réuni 24 candidatures. Au total, elles seront neuf à pouvoir bénéficier d’un soutien financier de la part du Fonds pour une presse libre (FPL) — chargé de « soutenir des médias indépendants » — pour un montant global de 113.250 euros.
Vendredi 14 février 2025, le Fonds de dotation du journal Mediapart a en effet annoncé en grand pompe avoir définitivement validé les projets qu’il contribuera à financer pour « enquêter sur l’extrême droite ». Car, de son propre aveu, le FPL est très inquiet de la montée en puissance du Rassemblement national dans les sondages.
Déstabiliser le Rassemblement national
« Le Rassemblement national, premier groupe politique à l’Assemblée nationale et premier parti à l’issue des élections européennes et législatives de juin dernier, est en passe d’accéder au pouvoir », déplore sur son site le FPL, rappelant par là même que son « engagement contre l’extrême droite est pour lui fondamental ».
Aussi, pour contrer cette « arrivée au pouvoir » qui « constituerait une grave menace pour nos libertés fondamentales et pour nos institutions républicaines », le FPL (qui avait participé en juillet 2024 au rassemblement « Tous·tes à République ! Pour un Front démocratique contre l’extrême droite » aux côtés de Rokhaya Diallo, Agnès Jaoui, Dominique Sopo) a décidé pour la toute première fois de mettre les petits plats dans les grands en finançant une pléthore d’enquêtes qui verront le jour en septembre 2025 (« ou avant, si cela est nécessaire »).
Au menu : les sempiternels marronniers, avec, dans les tuyaux, des enquêtes sur le Rassemblement national, sur ses mouvements satellites, « sur la galaxie des groupes ultras » et, plus généralement, « sur les mouvances organisées ou non de l’extrême-droite, leurs actions et leurs projets du niveau local au niveau européen ».
L’objectif est assumé : déstabiliser les différentes « mouvances de l’extrême droite » en prévision de législatives anticipées ou à l’orée de l’élection présidentielle 2027.
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Quatre axes de travail
Pour ce faire, le FPL a décidé de privilégier quatre axes de travail, « complexes et peu investis à ce jour par les médias ».
Premier chantier : l’enquête locale, qui inclue notamment des investigations sur les militants et élus du Rassemblement national. Seront également passées au peigne fin les actions et décisions prises dans les mairies et par les collectivités locales.
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Deuxième axe : des enquêtes sur les passerelles entre l’extrême droite et les milieux d’affaires. « Parce qu’il n’y a pas que Bolloré, Stérin et Gave qui sont liés à ces forces politiques », claironne le FPL qui refuse de donner les noms des journalistes et médias qui seront en charge de ces enquêtes.
Troisième axe : « enquêter sur l’entrisme du RN dans l’appareil d’État » en disséquant, entre autres, ses stratégies pour attirer de hauts-fonctionnaires.
Enfin, la dotation rondelette du FPL servira également à d’autres « missions diverses » à partir de l’exploitation « de base de données, de datas, de collecte méthodique en sources ouvertes et de leaks », tout en restant ouvert à toute proposition d’enquête originale « qui promettrait d’importantes révélations sur l’extrême droite ».
Les journalistes « de droite » dans le viseur
Sur le papier, les dotations prévues par le FPL serviront donc à scier le plus possible la branche sur laquelle est assis le Rassemblement national depuis des années. Dans les faits, il suffit de quelques clics supplémentaires sur le site du Fonds pour une presse libre pour comprendre que ce dernier entend également, au nom « du pluralisme » et de « la liberté d’expression », s’en prendre aux journalistes qu’il estime trop penchés à « droite ».
« Nous ne pouvons accepter de voir l’extrême-droite s’installer au centre du débat public par ses commentateurs, ses éditorialistes auto-proclamés, ses spécialistes de rien sauf de la haine, ses pantins mécaniques n’ayant jamais produit une information mais rivalisant d’affirmations fausses », défend le FPL soucieux « de remettre le journalisme, la production d’informations fiables et plurielles au centre de la grande table démocratique ».
Un « accompagnement éditorial »
Pourtant, à y regarder de plus près, le FPL n’entend pas spécialement être de ceux qui laissent libre cours aux journalistes qu’il dit soutenir dans un souci de transparence et de pluralisme. En plus de sa généreuse contribution aux « médias indépendants », le FPL entend effectivement « accompagner éditorialement » ses ouailles.
Ainsi, durant toute la période d’enquêtes, Jean-Marie Leforestier, ex-rédacteur en chef de Marsactu, campera le rôle de « facilitateur » et « d’interlocuteur privilégié ». Ancien journaliste de Ouest-France et du Ravi (« journal ami » de Mediapart), celui qui était également formateur à l’École de Journalisme et de Communication d’Aix-Marseille (une école reconnue pour son militantisme très à gauche) aura notamment pour mission « d’ouvrir de nouvelles pistes » et « d’aider les rédactions ».
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Comme le souligne le FPL sur son site, impossible pour les « médias indépendants » soutenus de couper à cette « accompagnement éditorial ». « Il sera demandé aux médias d’accepter cet accompagnement », indique sans ambages le FPL qui se défend pourtant de vouloir « piloter » ces enquêtes.
Suivis de près tout le temps de leurs investigations, les médias sélectionnés auront ainsi pour obligation de participer à pas moins de cinq rendez-vous « edito » sur près de sept mois de travail.
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