Nous parlons peu de la presse féminine, pourtant très lue et bien dans l’ambiance libérale libertaire du moment. Nous publions avec gourmandise une tribune de David L’Épée, essayiste suisse, collaborateur de la revue Éléments, rédacteur en chef de la revue Krisis, parue sur son blog, toujours intéressant et parfois décoiffant.
Chéri.e, j’ai déconstruit les gosses !
Vous avez donné naissance à un enfant doté d’un pénis et vous craignez qu’il ne s’agisse d’un garçon ou, pire, d’un homme en puissance, forcément macho et dominateur ? Il existe une solution. C’est dans le dernier numéro de « Elle ».
J’ai une passion coupable, qui vire souvent à l’obsession : je lis tout ce qui me passe sous les yeux. Je fais des revues de presse à peu près depuis que je sais lire et je suis assez semblable à la vision que Hegel se faisait de l’homme moderne pour qui, écrivait-il, la lecture des gazettes fait office de prière matinale. Bref, je lis beaucoup, partout et un peu de tout. Il arrive pourtant, les journées n’ayant que vingt-quatre heures, que certains titres de presse échappent à mes radars, ce qui n’est pas très grave car je peux compter sur un solide réseau d’amis et de correspondants qui m’envoient quotidiennement des articles pêchés çà et là. Je remercie donc aujourd’hui mon amie Anaïs, qui a attiré mon attention sur un article paru le 16 mars dans le magazine Elle dont je ne suis, vous vous en doutez, pas tout à fait le cœur de cible.
Un déclencheur : l’affaire Vincent Cassel
L’article en question, signé Florence Trédez, est intitulé « Tu seras féministe, mon fils » . Il se veut une réponse aux récentes déclarations de Vincent Cassel qui, pour rappel, avait tenu le 17 février dernier les propos suivants dans un entretien accordé au Guardian :
« C’est presque honteux d’être un homme de nos jours. Vous devez être plus féminin, plus vulnérable. Mais si les hommes deviennent trop vulnérables et trop féminins, je pense qu’il va y avoir un problème. »
Il y a quelques années encore ces quelques phrases anodines n’auraient sans doute pas retenu l’attention outre mesure mais aujourd’hui elles ont suscité une vaste polémique, déchainant tweets rageurs, insultes en ligne, déclarations d’acteurs se désolidarisant de leur confrère (Charles Berling notamment), réactions féministes agressives dans les médias et la blogosphère, etc. « Des propos qui passent mal » commente le site Au féminin tandis que le site Madmoizelle explique que « les propos du comédien sont révélateurs du chemin qu’il reste encore à parcourir » (pour aller où ?). Sur le média en ligne Terra Femina, le journaliste Clément Arbrun, qui voit dans les déclarations de Cassel une forme de « toxicité perverse » et une « logorrhée d’un autre temps », ne cache pas sa consternation : « Pas très moderne tout ça. On se demande ce qu’ont tous les mecs quinquas avec ce fantasme qu’est le “déclin de la masculinité”. […] En vérité, on peut voir là une réaction typique de mec dépassé par l’évolution des mentalités. »
La palme de l’indignation revient toutefois sans conteste (et sans grande surprise) aux Inrocks , qui qualifient Cassel de « Monsieur Jourdain tranquille de la beauferie », les quelques phrases incriminées relevant selon le journaliste d’« une somme d’idées arriérées sur les hommes, les femmes », d’« une enfilade de perles pépouzes, de clichés réacs et bonhommes, de préjugés ridicules à la grand-papa », sa réflexion se limitant à un « argument de base du Français moyen macho qui s’ignore […] plus proche des Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio que de Judith Butler », et de conclure : « On reste pantois devant tant de puérilité sereine. » J’avoue pour ma part être resté pantois devant ce déluge de propos méprisants (mâtinés, comme toujours dans cette presse-là, d’un certain mépris de classe) et n’avoir pas bien compris ce qui justifiait, dans ces quelques mots de l’acteur français, un tel déferlement de fureur expiatoire. À tel point que je me suis penché moi-même sur cette polémique, dont j’ai fait le point de départ d’un long article de fond intitulé « A la recherche de l’homme déconstruit », que vous pourrez découvrir d’ici une semaine ou deux dans le prochain numéro de Krisis à paraître.
Mais revenons à cet article d’Elle . La journaliste nous met en garde contre les « masculinistes », qui semblent être partout à l’affût, prêts à pervertir nos petites têtes blondes pour en faire d’affreux petits phallocrates en herbe. « Les mascus sont bien parmi nous ! » nous met-elle en garde, nous alertant contre « leur insidieux pouvoir de manipulation de l’opinion publique par les réseaux sociaux ». La preuve de leur influence ? « Le rapport annuel du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes sur l’état du sexisme en France n’a rassuré personne : les jeunes générations sont plus sexistes que leurs aînés. » Avec tout le battage féministe auquel on a droit depuis quinze ou vingt ans, c’est tout de même ballot d’en arriver là ! À croire que lorsqu’elle dépasse un certain dosage, la propagande a tendance à inverser ses effets et à se retourner contre elle-même…
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