Chaque jour apporte son nouveau lot de révélations quant à la télé Insoumise le Média, dont les déchirements internes commencent à ressembler à une mauvaise télénovela, vénézuélienne évidemment. Après de nouveaux règlements de comptes sur la marque – déposée par Sophia Chikirou – d’autres révélations sur les petits arrangements des dirigeants pour se gaver aux frais des socios, Aude Lancelin s’explique sur les ondes complaisantes de France Inter. Pendant que la France Insoumise se fait discrète.
Vu de l’Université d’été de La France Insoumise (LFI), la crise au Média, ça n’existe pas. Une politique de l’autruche qui cadre mal avec les rodomontades des ténors du mouvement, Mélenchon en tête, il y a un an à peine au lancement de la TV Insoumise qui se défendait de l’être. Après avoir quitté le Média pour superviser le volet européen de la campagne des Insoumis aux Européennes, Sophia Chikirou garde la confiance des dirigeants Insoumis.
« Ce qu’il se passe au Média ce n’est pas notre problème », élude Manuel Bompard interrogé par Le Monde. Même si d’autres membres de la campagne des Insoumis contestent le rôle futur de Sophia Chikirou et pointent ses liens très proches avec Mélenchon, qui continue de la protéger.
Le Média : une marque déposée par Sophia Chikirou
Par ailleurs en octobre 2017, Sophia Chikirou a déposé à l’INPI au nom de sa société Mediascop la marque le Média. L’association du Média essaie de récupérer la marque, sans succès pour l’heure. « J’ai remis en mains propres à Madame Chikirou un projet de contrat de cession de la marque Le Media entre Mediascop et l’association Le Media le 12 juillet [2018] et le lui ai envoyé par courrier électronique le 26 juillet. À ce jour, je n’ai reçu aucune réponse de sa part », explique ainsi Hervé Jacquet, président de l’association, à Libération.
Pour Aude Lancelin, nouvelle directrice du Média, la marque a été « privatisée » par la société Mediascop. Interrogée par France Inter, elle affirme le 29 août que « si jamais on ne la récupère pas, ce n’est pas la fin du monde, on changera de nom [qui] ne fait pas l’unanimité ». Le Média bientôt débaptisé donc ?
Anti-capitalisme, j’écris ton nom… Mediascop est cette société qui a fait 47% de marge nette en 2016 en mettant la main sur près de 11% du budget de la campagne présidentielle de Mélenchon. Sophia Chikirou était alors directrice de la communication de la campagne et est l’actionnaire à 100% de la société. D’après la nouvelle direction du Média, Sophia Chikirou via Mediascop a aussi tenté de soutirer 130.000 € au Média (dont 64.000 effectivement versés) en deux ordres de virement passés dans les dernières heures de sa présidence de la TV Insoumise.
Prestations pour Le Média : il n’y a pas que Sophia Chikirou qui en a profité
De son côté Sophia Chikirou a sorti pour sa défense un mail du 28 mars dernier adressé à Gérard Miller et au réalisateur Henry Poulain portant sur une « convention entre Le Média et Story Circus [la société de Henri Poulain, NDLR] d’une part, Le Média et Mediascop d’autre part » pour encadrer les prestations de conseil et les locations de matériel. L’un des deux destinataires explique à l’Obs que le mail n’a pas été suivi d’effet. Sophia Chikirou renvoie à un rendez-vous oral où « il n’y a pas eu d’objections ». Ambiance…
Ce mail montre aussi qu’il n’y a pas que Sophia Chikirou qui a profité pour sa société des prestations facturées au Média. Arrêts sur Images (21.8) révèle ainsi que Story Circus, la société de Henri Poulain, a réalisé des « logos », « formats courts » et autres « émissions de lancement » pour la bagatelle de 61.902 €. Et Gérard Miller a émis une facture pour sa société, d’un montant très modeste de 6900 €.
Aude Lancelin s’explique sur France Inter : circulez, il n’y a rien à voir
Aude Lancelin s’est de son côté enfin longuement expliquée sur France Inter, dans l’émission de Sonia Devillers, qui a résumé la crise au Média par une « immense bagarre en public » où le public du Média s’est perdu. Elle a aussi précisé que Gérard Miller et Sophia Chikirou se sont faits proposer une interview : la seconde n’a pas répondu, le premier a décliné.
Aude Lancelin a annoncé que la saison 2 reprendra le 17 septembre, avec un live la veille « avec plein d’invités pour lancer la deuxième saison », et le retour de Noël Mamère comme chroniqueur – il était parti après des divergences sur le traitement de la Syrie. Le JT est bien supprimé, mais « nous serons à l’antenne tous les soirs, autour d’un rendez-vous d’actualité ». La critique des médias sera faite sous forme d’une « chronique, en gestation, je ne peux pas vous dire à quoi ça ressemblera ».
Au sujet des socios – les contributeurs du Média qui n’ont en réalité aucun pouvoir, fors celui de donner de l’argent – qui en ont assez, elle a promis « une nouvelle organisation plus transparente, plus démocratique », et qualifié leur ras-le-bol par « des interrogations ». Pour Aude Lancelin, « de l’extérieur ça paraît très tumultueux » mais « tout est en train de rentrer dans l’ordre […] tout le monde est à son poste, l’ambiance est très bonne ».
Au sujet des jeunes de gauche qui ont annoncé un Nouveau Média destiné à réunir toute la gauche, elle balaie : « c’est un compte Twitter qui a 160 abonnés, un truc de rigolos pour surfer sur la crise, on ne sait pas ce que c’est et je ne pense pas que ça soit un sujet pour France Inter ».
Recours à la justice
Interrogée sur les factures de Sophia Chikirou, elle élude encore, tout en rajoutant de l’huile sur le feu : « ce dossier-là est entre les mains de notre avocat, et je ne suis pas habilitée à en parler. Ce qui m’intéresse : il y a eu une levée de fonds cet hiver de 1.7 millions d’euros, et cette somme a été entièrement dépensée entre mi-janvier et mi-juillet, en moins de six mois d’exercice. Ce qu’on nous laisse, c’est 100.000 € de dettes ». Pour elle, les nombreuses péripéties autour du Média ne sont rien, « le vrai problème, ce sont ces factures et cette caisse vide ».
Interrogée sur son salaire, elle explique qu’elle n’a « aucune augmentation de salaire » et « reste à [s]on salaire de journaliste », qu’elle ne dévoile cependant pas. Et de dresser le parallèle avec Mediapart, dont les fondateurs lui avaient expliqué qu’ils « avaient failli déposer le bilan à plusieurs reprises » les trois premières années. Ces derniers ont fait l’économie d’une bataille de chiffonniers en public…
Et de citer un ami économiste : « ce que vous vivez, c’est ce que vivent la plupart des start-ups au bout d’un an : réajustement entre associés, recentrage de l’offre, c’est extrêmement banal ». Tant pis pour le monde meilleur anti-capitaliste, le Média découvre le monde de l’entreprise. « Quand il y a de la vie, il y a du conflit », conclut Aude Lancelin, et « il y a un consensus large sur la ligne. Les gens qui s’en vont partagent notre combat politique ». Fermez le ban, sans régler les problèmes, le feuilleton continue…