À court d’argent, la web-télé ex-Insoumise Le Média, en crise profonde depuis cet été, pourrait ne pas passer l’hiver. Une collecte a été lancée, qui a permis pour l’heure de rapporter près de 70.000 euros selon nos informations, alors qu’il en faut 90.000 par mois pour sécuriser l’existence même de la web-télé. Pis, les perquisitions chez Mélenchon et ses proches – dont Sophia Chikirou, ancienne directrice du Média et trouvée par les enquêteurs au domicile même de Mélenchon – enfoncent des clous dans le cercueil du Média.
Le match reprend
Entretemps, de nouvelles péripéties ont assombri le lancement de la saison 2 du Média, censée le réconcilier avec ses bailleurs de fonds – les socios, auxquels il a été beaucoup promis mais qui n’ont que le pouvoir de payer. Fin août, Libération affirmait que Sophia Chikirou a été mise en demeure par les deux autres fondateurs, Gérard Miller et Henri Poulain, de rembourser les 64.000 euros dont elle a décidé au dernier jour de sa présidence le versement à la société dont elle est l’unique actionnaire, Mediascop. Elle avait aussi tenté de passer un autre paiement de 67.000 €, bloqué par la banque.
« Chikirou étant à l’émission et à la réception des factures, le conflit d’intérêts semble patent et motive le soupçon d’abus de bien social aux yeux de Miller et Poulain. Ces derniers s’interrogent sur la réalité de certains services facturés », explique Libération. L’intéressée balance elle aussi : « la société de production personnelle d’Henri Poulain, StoryCircus, a elle-même bénéficié de contrats avec le Média pour plus de 140 .000 euros. « C’est du délire complet », réagit auprès de Libération l’intéressé, qui explique avoir facturé pour 84 .000 euros ».
Et Henri Poulain d’habiller Sophia Chikirou pour l’hiver : « C’est la solitude de Sophia qui nous a séparés. Elle ne sait pas partager le pouvoir. Elle a une manière d’être au quotidien presque néolibérale, presque macroniste. Elle ne comprend pas qu’un journaliste puisse avoir besoin de trois jours pour écrire un article, elle a un goût démesuré pour le temps court et elle part du postulat qu’elle aurait fait mieux. Elle est capable de sacrifier les gens et le réel pour sa cause. Et sa seule cause, c’est Sophia Chikirou ».
Les proches de Sophia Chikirou mis au pas ou partis
Alexis Poulin, qui brocardait dans Libé (21/08) la nouvelle direction d’Aude Lancelin, et s’est opposé à la société des journalistes montée par la nouvelle direction, est parti. Il disait alors « on est en train de se faire avoir par une équipe de branques, qui n’a aucune stratégie, aucun plan. Leur seul discours, c’est : Sophia a fait de la merde, à nous de faire désormais ».
Dans Marianne (31/08) il explique son départ : « j’ai choisi de débarquer pour plusieurs raisons. La première est personnelle: je suis fidèle en amitié et constant dans mes engagements. Les mots, les injures, les blessures qui touchaient mes amis, me touchaient également et la solidarité s’imposait face à la calomnie. La seconde est professionnelle: je ne crois pas en la capacité de la nouvelle équipe de faire de la saison 2 du Média une proposition suffisamment forte pour s’imposer dans le paysage médiatique. Les ambitions revues à la baisse, la lenteur des décisions, l’autoritarisme et le manque d’imagination n’ont jamais été et ne seront jamais l’esprit du Média. La troisième enfin est morale: je fuis depuis toujours la médiocrité des sentiments et la duplicité par intérêt ».
Autre proche de Sophia Chikirou dont il a fait l’éloge sur son blog – « un sourire de minette et un caractère d’officier », Vincent Léonard lui aussi n’est pas resté. Et Serge Faubert s’est pris un avertissement disciplinaire pour avoir critiqué la nouvelle direction dans Le Monde.
Jacques Cotta : « Le Média, un simple lieu de propagande »
Dernier départ en date, Jacques Cotta qui se fend d’un réquisitoire sur son blog de Mediapart. Il a annoncé son départ le 13 octobre 2018 après qu’Aude Lancelin ait purement et simplement décidé de censurer son futur numéro du magazine Dans la gueule du Loup, qui devait traiter des paradoxes politiques et sociaux italiens.
« Pour le 7ème numéro de mon magazine, j’ai annoncé à Aude Lancelin ma volonté de traiter « l’Italie, la péninsule des paradoxes », c’est à dire d’exposer et de comprendre la nouvelle situation politique italienne marquée par la constitution du gouvernement Lega-M5S et la présence de personnages peu fréquentables à la tête de l’état, et par l’affrontement engagé avec l’UE, notamment par le vote d’un budget qui défie les règles et les traités au profit des revendications immédiates ‑retraites, pauvreté, etc…- du peuple italien. J’ai proposé de traiter les paradoxes de la situation italienne, d’autant qu’elle constitue un laboratoire de ce qui agite toute l’Europe. […] Pour réponse j’ai reçu un mail m’indiquant une fin de non recevoir sans même un échange direct, sans une proposition de rencontre, sans un coup de téléphone pour argumenter, permettre de convaincre. J’ai même appris du clavier d’Aude Lancelin que ma proposition avait été discutée en mon absence par « tous nos camarades », que « le consensus est total » et que « les chefs de services partagent entièrement » le point de vue de la nouvelle directrice. J’exerce ce métier depuis une quarantaine d’années […] je n’avais jamais été confronté à un tel exercice du pouvoir ».
Aude Lancelin a refusé le sujet – et l’a fait refuser par ses fidèles – de peur de donner l’impression de justifier l’action du gouvernement nationaliste italien, explique encore Jacques Cotta. « Aude Lancelin m’indique que « le Média ne sera jamais le lieu pour amorcer l’union du souverainisme de gauche et du populisme de droite ». […] Voilà qui m’interpelle directement. […] Il m’est juste indiqué par cette simple formulation qu’un sujet où pourraient être tenus des propos qui par hypothèse ne rentreraient pas dans les normes de la nouvelle responsable du média, qui ne colleraient pas à sa vision idéologique, à ses positions, indépendamment de l’intérêt et de l’importance journalistique, n’a pas à être abordé. Le Média passe ainsi « d’organe de presse » rigoureux qui demande l’analyse et les échanges de points de vue, parfois contradictoires, à un simple lieu de propagande ».
Perquisitions chez Mélenchon : Le Média boit le calice jusqu’à l’hallali
Les perquisitions chez Mélenchon et ses proches ont replacé Sophia Chikirou au centre des attentions – ainsi que sa très rentable et très profitable société Médiascop, qui est déjà dans la tourmente car accusée (voir supra) par les fondateurs du Média d’avoir tenté de soutirer 130.000 € au Média (dont 64.000 payés) et d’avoir déposé indument le 5 octobre 2017 la marque Le Média.
Cette société a aussi facturé près de 1,2 millions d’euros de prestations lors de la campagne de Jean-Luc Mélenchon à l’élection présidentielle, à des montants qui interrogent, surtout eu égard aux prestations. Et dans un schéma assez proche du Média, puisque Sophia Chikirou, directrice de la campagne, facturait à sa propre société dont elle est actionnaire à 100%. Ainsi France TV relève la mise en ligne de 19 discours de Mélenchon sur SoundCloud, facturée 4750 € HT pour cinq jours de travail selon Sophia Chikirou… alors que l’opération prend 6,5 heures de travail selon la cellule investigation de France Info.
On constate au passage que la société de Henri Poulain – autre cofondateur du Média – en a profité, puisque des spots télévisés ont été commandés à sa société Story Circus pour 100.000 € directement par Mediascop – ils apparaissent sur la facture de Sophia Chikirou – et non directement par l’association de financement de la campagne (Manuel Bompard, directeur de campagne, Marie-Pierre Oprandi, mandataire financière) qui, selon Sophia Chikirou, étaient les vrais donneurs d’ordres.
France Info, menteurs et tricheurs ?
Outre la révélation de la liaison entre Sophia Chikirou et Mélenchon – gênante pour ce dernier puisque sa compagne est suspectée d’avoir surfacturé des prestations de sa campagne et d’avoir berné le contribuable – la passe d’armes entre Mélenchon et les journalistes enquêteurs de France Info, qu’il a traités de « menteurs », « abrutis », « tricheurs » fait du bruit dans le landerneau médiatique. Autant nombre de ces critiques paraissent pleinement justifiées, autant leur ton peut porter détriment au Média.
Radio France a annoncé son intention de porter plainte après que Mélenchon ait appelé ses sympathisants à « pourrir » partout où ils peuvent les journalistes de France Info qui ont enquêté sur les surfacturations de sa campagne et dénoncé l’articulation d’un système politico-médiatique « trop bien orchestré ».
Guy Lagache, directeur délégué des antennes de France Info, réagit aux propos de Mélenchon : « Jean-Luc Mélenchon a traité les journalistes de tricheurs, de menteurs, a appelé ses adhérents à les ‘pourrir’. Et en faisant cela, il ne s’adresse pas seulement aux journalistes de France Info, il s’adresse également à tous les journalistes puisque la cellule d’investigation qui a mené l’enquête sur les comptes de campagne […] a été diffusée sur l’ensemble des antennes. » Difficile dans ces conditions au Média d’être audible sur sa collecte de fonds…
Illustration : Ojim (DR)