Chacun connaît le rôle difficile du médiateur dans les organes d’information, presse écrite, télévisuelle ou radiophonique. Coincé entre la direction, les protestations des lecteurs, téléspectateurs ou auditeurs et la volonté d’indépendance (très variable) des journalistes. Un rôle de tampon en somme. L’expérience de Jérôme Bouvier à France Télévisions ne semble pas l’avoir enthousiasmée. Mais le médiateur se fait souvent enseignant en « bons sentiments », dans l’air du temps. Une sorte de langue de coton, parfois involontairement comique, dont nous tirons quelques exemples des bulletins envoyés aux journalistes de Radio France les 2 et 16 février 2018.
Il faut changer le langage, mais pas toujours
Un fait divers malheureux, le meurtre d’une jeune femme par son mari donne au médiateur l’occasion de faire une leçon de grammaire politiquement conforme à l’ambiance féministe du moment. Citation : « A propos de cette affaire, osons employer le mot exact pour qualifier ce meurtre : féminicide (le mot est en gras dans le texte)… Il est encore peu utilisé, mais, comme nous l’écrivent régulièrement des auditeurs, il faut absolument qu’il remplace (c’est nous qui soulignons) les expressions “crime sentimental” ou “drame passionnel”, dont les femmes sont le plus souvent les victimes ». Reste à trouver un terme quand la femme supprime son mari, osons proposer – et sans peur du ridicule — « masculinicide ».
Retenons l’intention de changer le vocabulaire. Fort bien. Tout le temps ? Dans la page suivante sous la rubrique « Parti pris », le médiateur évoque la situation des territoires palestiniens. Un rédacteur avait employé l’expression « territoires disputés », à la place de « territoires occupés ». C’est cette expression qui doit être utilisée dit le médiateur « En effet, on a toujours évoqué les territoires occupés ». Ah bon ? Toujours ? Pour toujours ? Côté cour on change, côté jardin on maintient. Au gré du vent dominant sans doute.
Les opinions respectables… et les autres
Une petite chanteuse enturbannée a défrayé la chronique lors d’une émission de chansonnettes et fût écartée du concours pour des tweets « complotistes » (mettant en doute l’attentat de Nice). Il semblerait que Radio France ait plutôt pris la défense de la jeune chanteuse en faisant preuve d’indulgence à son égard et en accusant la « fachosphère » d’avoir monté une cabale contre elle. Nous ne prendrons pas parti dans cette querelle secondaire. Certains auditeurs se sont indignés d’être assimilés à la dite fachosphère. Et c’est là que le charmant médiateur montre le bout de son nez. Il imagine : « j’inverse la situation et me demande si nous aurions eu la même indulgence face à un jeune chanteur qui aurait posté des tweets affirmant (et là, je m’inspire de la fachosphère et de ce que reçois régulièrement)) : “Toujours plus de migrants… le gouvernement complice des terroristes et des attentats” ou” Encore un attentat musulman. Voilà le vrai vivre ensemble” ? Non, évidemment et heureusement (en gras dans l’original)… Évitons le parti pris manichéen et respectons les opinions (respectables) de nos auditeurs. »
Résumons : la petite chanteuse, sans doute un peu musulmane, a un peu exagéré en mettant un peu en cause un peu d’attentat. Mais on peut lui montrer « de l’indulgence ». Par contre un chanteur qui oserait proférer une évidence comme « toujours plus de migrants » ne saurait bénéficier de semblable indulgence. Pourquoi ? Parce que dans ce cas son opinion n’est pas « respectable ». Qui détermine ce qui est respectable et ce qui ne l’est pas ? Le médiateur, conforté par le conformisme général du service public. Il a gagné une médaille en chocolat.