L’inquiétude gronde au Monde, comme dans les arcanes du pouvoir politique : journalistes de grand chemin et politiques de feu le nouveau monde libéral libertaire macroniste découvrent avec stupeur que l’on peut penser autrement. Liberté de pensée, liberté d’opinion, liberté d’expression selon des angles autres que les leurs ? Ils n’y étaient pas habitués. Le Monde pas plus que les autres.
Allons Le Monde ! Un peu de rigueur !
C’est pourquoi le prétendu « quotidien de référence » a publié le 26 septembre 2024 une « Enquête sur l’Institut Libre de Journalisme (ILDJ, ndr), l’école créée par la droite identitaire pour conquérir les médias ». Le mot « identitaire » ne sera jamais défini. Ce serait pourtant un minimum. Non, l’angle est plus simpliste et est invoqué dans le chapeau de cette enquête proposée sous forme de vidéo (Le Monde ressemble de plus en plus au New York Times de par les types de contenus numériques qu’il propose à ses abonnés) :
« Le Monde dévoile comment l’Institut libre de journalisme (ILDJ), une école parisienne proche des réseaux de Vincent Bolloré et du milliardaire catholique Pierre-Édouard Stérin, alimente les médias de la droite réactionnaire mais aussi au-delà. »
Les identitaires seraient donc « les réseaux de Vincent Bolloré » (Le JDD ? Le JDNews ? C8 ? Canal +, Cnews ? Étonnant…), ceux du « catholique Pierre-Édouard Sterin » (Le projet Périclès ? L’Institut de Formation Politique ? Un projet de 300 libraires de proximité ? Etonnant, bis repetita…) ? Ce qui est évoqué par Le Monde, ne serait-ce pas plutôt du domaine d’une certaine droite conservatrice et chrétienne ? Nous sommes loin des sciences politiques et les enquêteurs du Monde, Liselotte Mas, Asia Balluffier, Elsa Longueville et Mahé Richard-Schmidt, une équipe peu paritaire, manquent de rigueur. Car en toute rigueur une vision politique identitaire en Europe aujourd’hui n’est ni de droite ni de gauche mais plutôt centrée sur la défense de la civilisation européenne, laquelle est loin d’être simplement chrétienne. Aucun des médias cités par l’enquête, ceux vers lesquels se dirigent les futurs journalistes de l’ILDJ, n’est identitaire. Ils sont conservateurs, chrétiens, chrétiens non conservateurs (RCF), inclassables (Causeur), de PQR et même mainstream pour certains. Les enquêteurs ne poussent par ailleurs guère leur travail, sans quoi ils auraient aisément appris que d’autres lieux de formation, ainsi l’ISSEP de Lyon, ont pu proposer des cours de rédaction d’articles de presse conduisant de jeunes étudiants à publier dans nombre de journaux et de magazines. Reste que l’inquiétude du Monde se comprend : la formation de l’ILDJ est qualitative. La preuve : ses étudiants sont nombreux à trouver un emploi dans le secteur journalistique ou dans celui de la communication. Si elle n’était pas qualitative, Le Monde ne s’en préoccuperait pas.
Une enquête pour faire peur ou pour se faire peur ?
La vidéo dure un peu moins de 11 minutes. Sa première image montre, à droite, Vincent Bolloré, forte stature, conquérant, et derrière lui, la tête au-dessus de son épaule, Pierre-Édouard Sterin. Les mots qui font peur forment le titre : « Leur école pour conquérir les médias ». Une accroche de type faits divers, le genre d’accroche que les médias de grand chemin reprochent habituellement à ceux qui ne pensent pas comme eux et qui de ce fait ne seraient, selon eux, pas légitimes.
Ouverture, au son d’une musique dramatique, elle-même de type fait divers : « depuis plusieurs années (chacun appréciera la précision, ndlr), le paysage médiatique s’est droitisé ». Droitisé ? De quoi s’agit-il ? Florilège et grand mélange dans la foulée, des paroles de personnes non identifiées, sans aucun lien avec l’ILDJ sur des plateaux de télévision, et sans contexte. La droitisation visiblement ce serait ceci : « Avorter c’est contraire à la mission de la femme » ; « Le plus grand danger pour les femmes en France actuellement ce sont les hommes noirs, africains, immigrés et arabes ». C’est aussi l’assimilation du Front Populaire au Hamas. D’emblée, l’outrance. Sans transition : « Mais pour que ces rédactions fonctionnent, encore faut-il de jeunes journalistes pour les rejoindre. Un manque identifié par l’Institut Libre de Journalisme, l’ILDJ ». Ainsi, pour tenir les propos cités ci-dessus il faut des journalistes. Sauf que ces propos ont été en réalité proférés par deux chroniqueurs et une femme politique, aucun n’étant journaliste et aucun n’étant passé par l’ILDJ. Peu importe, tant qu’il y a amalgame.
Présentation par la journaliste enquêtrice :
« Le Monde a enquêté sur cette école de journalisme à l’agenda très politique (ce n’est sans doute pas le cas des autres écoles, ndlr). Nous avons analysé les profils militants, parfois parmi les plus radicaux de ses étudiants, et retracé les liens de ses étudiants avec plusieurs groupes politiques et médiatiques français ».
Politiques ? Au premier rang, le RN et Reconquête. Et même LR. Médiatiques ? Bolloré, Europe 1, France Catholique, CNews, Capital, Le JDD, C8, Canal +, Boulevard Voltaire, Valeurs Actuelles, Neo, Causeur… Le tout en surimpression sur l’image. Aucun média identitaire, au sens rigoureux du terme donc. Précision : « Il s’agit d’un réseau de conquête médiatique par la droite de la droite ». L’enquêtrice ne met rien en perspective, par exemple en interrogeant la main-mise de la gauche sous toutes ses formes sur l’espace médiatique depuis 50 ans minimum.
L’ILDJ, comment cela fonctionne ?
Pas très sérieusement, évidemment, aux yeux du Monde. Comment pourrait-il en être autrement ? Dix week-ends pendant un an, soit 150 heures de formation. « C’est à peu près dix fois moins que dans la plupart des écoles de journalisme reconnues par la profession où la scolarité s’étale généralement sur toute la semaine pendant deux années ». Une comparaison simpliste. En premier lieu, une formation peut être délibérément intensive. Ensuite, les formations sur deux ans, dans des écoles marquées à gauche, comportent, témoignages à l’appui, beaucoup de temps morts, d’heures de travaux collectifs peu productifs et de pauses clopes. Enfin, considérer que ces écoles sur deux ans seraient celles « reconnues par la profession » par un syndicat auto-protégé revient à dire que les médias cités plus haut ne feraient pas partie de la profession journalistique. Voilà une étrange manière de voir les choses. Ainsi un média de droite conservatrice ne serait par nature pas journalistique. Le pire ? Il y a fort à parier que de telles visions des choses fassent partie de l’inconscient collectif des médias de grand chemin et des jeunes journalistes formés dans les écoles prétendument non politiques, concrètement tenues par la gauche libérale libertaire.
Le prix ? 1250 euros annuels. Aucune explication de la part du Monde sur ce faible coût, pourtant bien expliqué sur le site de l’école par sa volonté d’être accessible au plus grand nombre.
Notons que l’enquêtrice masque une grande partie de la réalité car, et une simple visite sur le site de l’école permet de le constater, sa proposition de formation est bien plus riche et plus complexe :
- La formation en dix week-ends a pour objectif d’aider les étudiants à préparer les concours d’entrée des écoles de journalisme et pour cela « initie aux techniques journalistiques » ; d’aider des étudiants qui souhaitent se former au journalisme en parallèle de leurs études ; d’aider de jeunes professionnels qui veulent se reconvertir dans le journalisme.
La présentation de l’enquête du Monde est donc volontairement biaisée, à la limite du mensonger : l’ILDJ propose des formations adaptées à des profils divers, la comparer aux écoles du système en place de longue date tient de la mauvaise foi. - La formation « culture générale » en cinq week-ends pour de jeunes gens déjà dans une école de journalisme.
- À partir d’octobre 2024, un Master en alternance « Journalisme digital web ». Quatre jours en rédaction et un jour à l’école. Une formation en présentiel ou à distance, compatible avec une alternance en presse régionale ou un contrat de professionnalisation en alternance.
Le Monde a trouvé quatre anciens étudiants qui ont accepté de témoigner anonymement. Forcément. Il n’y a pas d’enquête malveillante sans brebis égarées et repenties. Donc, « Tous décrivent des cours techniques constituant une bonne introduction au métier mais trop lacunaires pour intégrer directement le marché du travail ». Quoi de plus normal ? Ce n’est pas l’objectif immédiat de l’école. Le Monde n’a pas trouvé d’étudiants pour un contradictoire sur ce sujet ? D’expériences d’intégration directe dans le marché du travail ? Il y en a pourtant. Nous ne le saurons pas, la journaliste n’en parle pas, ou ne les a pas cherchés, ou a préféré ne pas en parler. Probablement savait-elle par avance ce qu’elle voulait trouver : des étudiants déçus qui reconnaissent pourtant la qualité de la formation. Sinon, à quoi bon cette enquête ? L’objectif est tout de même de dénigrer la qualité de la formation de journalistes appelés à travailler dans des médias considérés comme de droite et conservateurs, médias gênants les anciennes habitudes du sérail. Pourtant, la malveillance ne fonctionne guère : les témoins précisent bien qu’ils sont venus chercher une initiation. Du moins pas « tous » contrairement à ce qui est indiqué puisque sur les quatre témoins revendiqués la parole n’est donnée qu’à deux. Sur 195 (Le Monde dit fautivement 160) étudiants passés par l’ILDJ depuis 2018.
Il y a aussi des conférences, elles gênent beaucoup plus l’enquêtrice car elles seraient « très politiques » (contrairement à celles des autres écoles de journalisme ? Ndlr). Photos à l’appui, derrière des pupitres, apparaissent Charlotte d’Ornellas, Eugénie Bastié, Gabrielle Cluzel, Elisabeth Lévy et Mathieu Bock-Côté. Etrangement, l’importance de la présence féminine n’est pas soulignée. Par contre, un décompte de 37 de ces conférences de journalistes indiquerait que plus de 80 % « assume ouvertement un discours de droite ou d’extrême-droite ». Qu’est-ce qui leur permet d’affirmer la teneur des propos tenus par ces journalistes ? La ligne éditoriale de leur média ? Un minimum de déontologie, laquelle s’apprend sans aucun doute dans des écoles formant sur deux ans, devrait sans doute conduire à expliquer ce que signifie le terme « extrême-droite », en particulier quand on l’applique à un individu.
Les étudiants ?
Des profils effrayants. Forcément. Depuis 2018, l’ILDJ a formé 195 étudiants. Le Monde en a retrouvé 123. « Sur internet, leurs engagements politiques et religieux ressortent assez nettement ». Voilà qui sent bon sa police de la pensée, non ? Déjà, politique… Mais, religieux ? Quel rapport ? Que trouve l’enquête ?
- Cinq étudiants se sont présentés à des élections : quatre pour le RN, une pour Reconquête.
- « D’autres militent pour les jeunes avec Zemmour, les jeunes LR ou la Cocarde étudiante ». Les jeunes LR ?? Extrême-droite ? Notons que l’un de leurs responsables est régulièrement invité sur le plateau du Médiatv, média de la gauche de la gauche ayant des sympathies LFI. Même sans cela, assimiler les jeunes LR à un courant politique dit d’extrême-droite confine au comique.
- Sept seraient des militants anti-avortement. Où ? Quand ? Comment ?
- « La majorité expose ouvertement sa foi catholique ou s’affiche avec des associations catholiques ». Police de la pensée, donc. Quel rapport ? Le Monde rapporterait-il un affichage athée d’un militant NPA LGBTQ+++ d’une école de journalisme de Lille ?
Donc : douze à peu près identifiés… dont cinq dans des partis de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler l’arc républicain puisqu’ayant des élus à l’Assemblée Nationale ou au parlement européen. « D’autres » et « La majorité », sans plus de précision… Tout cela sent son amateurisme de basse police. Pourtant : « Selon nos analyses, plusieurs d’être eux sont même liés à une extrême-droite plus radicale ». Nous y voilà. C’était l’objectif de tout ce bla-bla.
Un peu de bienveillance et de largesse. Si nous suivons la jeune journaliste du Monde, sur 195 étudiants passés par l’ILDJ depuis 2018, soit six ans, seize seraient, selon elle, qualifiables d’extrémistes de droite… La question des membres du RN se pose tout de même… Alors, combien ? Douze ? Non. Largesse, écrivions-nous. Seize sur six ans, dont quatre semblent engagés dans des mouvances habituellement considérées comme de droite radicale. Il y aurait ainsi, en étant large, moins de 3 étudiants par an concernés par cette enquête du Monde passés par l’ILDJ ? Encore moins : quatre sur 195 ? L’auditeur de la vidéo attend ce genre d’enquête sur les écoles de journalisme formant sur deux ans et la gauche de la gauche avec une certaine impatience. Tout le monde connaît ces simulations de votes réalisées dans les écoles de journalisme à l’occasion des présidentielles où la gauche et l’extrême gauche réalisent des scores écrasants. On attend toujours une enquête dans Le Monde. En espérant plus de sérieux.
Les débouchés ?
C’est tout le danger n’est-ce pas ? Ces jeunes méchants futurs journalistes, mal formés semble-t-il, et extrémistes en masse, ont un destin : celui de rejoindre les empires médiatiques du Mal en cours de formation dans le paysage audiovisuel. Où les étudiants de l’ILDJ sont-ils allés travailler ? CNews, Le Figaro, Valeurs Actuelles, Boulevard Voltaire, Causeur, RCF, La Manche Libre… Ce qui ne serait pas étonnant car l’école aurait des partenariats économiques avec ces médias. Des partenariats ? Comme partout. Comme dans Le Monde. Une pratique commune.
Tous les mois étudiants et anciens étudiants reçoivent des mails internes de propositions d’emplois. 10 % des annonces proposeraient de rejoindre un média du groupe Bolloré. Une école qui offre, ce n’est évidemment pas l’avis du Monde, des débouchés plutôt intéressants pour un jeune journaliste. Notons que l’enquêtrice se contredit : l’école forme bel et bien des journalistes puisqu’ils sont amenés à travailler dans des médias, certains étant de très forte amplitude. Sauf à considérer que ces médias n’en seraient pas (Le Figaro ?). Ce qu’elle sous-entend.
Sinon, il y a d’autres débouchés comme des structures appartenant à Pierre-Édouard Stérin, L’ILDJ s’est lancé grâce à « La Nuit du Bien Commun » dont l’entrepreneur est à l’origine. Le milliardaire en assurerait la promotion. Son objectif, maintenant connu de tous ? « Aider la droite de la droite à gagner la bataille culturelle et médiatique mais aussi et surtout les élections ». Chacun le sait depuis les révélations de L’Humanité et de La Lettre. Autrement dit, Le Monde est comme un enfant à l’école : obligé de partager son jouet (la liberté de la presse), il pleure. L’enquêtrice rappelle qu’il s’agit du « projet Périclès » qui serait mené par un ancien membre et par le directeur de l’ILDJ. Après vérification, l’information est fausse mais Le Monde préfère se fier à l’Humanité. À ce moment de l’enquête, les « informations » deviennent confuses, mêlant ce qui concerne l’ILDJ, Périclès etc.
L’ILDJ obtient-elle des résultats ?
Sur les 123 étudiants retrouvés, 45 % travailleraient dans le journalisme. Pas de mise en perspective par rapport aux autres écoles, ce qui affinerait pourtant la réflexion au sujet des deux années de formation versus dix mois d’initiation. Ils sont dans « des rédactions classées à droite du spectre médiatique » (par qui ?). Quant aux autres, ce sont des communicants, des professeurs, des consultants.
Mais, car il y a un mais… « Beaucoup de ces journalistes sont ensuite passés par une autre école de journalisme, au prix parfois d’un petit coup d’effaceur ». La moitié des anciens étudiants de l’ILDJ ne mentionne ainsi pas son passage dans l’école.
C’est la conclusion de l’enquête.
Elle se veut « choc », cette conclusion. Elle est surtout très malhonnête. Si l’ILDJ ouvre les portes de plus en plus de médias (sinon Le Monde ne s’intéresserait pas à cette école), les journalistes auteurs de cette enquête savent parfaitement les conséquences qu’il y aurait à signaler être passé par l’ILDJ avant d’intégrer une autre école de journalisme (rejet par les autres étudiants, mépris politique des professeurs) ou à le signaler sur son CV, ce qui reviendrait à voir la porte de médias, majoritairement libéraux libertaires et ancrés à gauche, théoriquement humanistes et ouverts, se fermer. Le Monde préfère ne pas interroger cet état de fait qui s’apparente pourtant à de la censure avérée.
À quoi sert une telle enquête ? À rien aurait-on envie d’écrire. Ce n’est pas si certain. Qui sait si demain la liberté d’expression et de la presse ne sera pas de nouveau réduite, à rebours de la petite embellie actuelle ? N’est-ce pas une façon de dire nous avons vos fiches comme autrefois, nous avons les moyens de vous surveiller. Et de vous punir ?