Il stockait 27 ans d’archives photographiques dans un bureau du journal Le Monde. Tout a été détruit. Le photographe argentin Daniel Mordzinski a perdu toute une vie de travail dans l’indifférence générale. Retour sur une affaire pitoyable et scandaleuse.
« Durant plus de dix ans, via le partenariat entre El Pais et Le Monde, j’ai utilisé un bureau au septième étage du Monde à Paris, où je gardais des milliers de négatifs et diapositives originales, qui ont disparu, comme ça, il y quelques jours » raconte sur son site Daniel Mordzinsky, photographe argentin, grand portraitiste qui collaborait régulièrement avec le bureau parisien du quotidien espagnol El Pais.
Très atteint par cette perte immense et d’une valeur certaine, il poursuit : « Miguel Mora, le correspondant d’El Pais, est arrivé le 7 mars dans le bureau et il a vu que tout avait été vidé, sans que nous soyons prévenus, et que toutes nos affaires avaient disparu. On s’est mis à chercher et nous sommes tombés dans les caves sur l’armoire que j’avais moi même peinte, il y a dix ans. Personne ne sait ni ne veut savoir pourquoi ils ont décidé de faire “disparaître” mon travail. Vingt-sept ans d’attentes, d’espoirs, de nœuds dans la gorge, de nuits blanches, d’angoisses. »
Le quotidien argentin Clarin relate que Mordzinsky a aussitôt envoyé une lettre au Monde dans le but d’obtenir des excuses suite à ce préjudice inchiffrable. « Il n’y avait pas de menace, je n’évoquais pas le terrible préjudice professionnel, économique et moral. Je voulais seulement des excuses. Je comprends que j’ai fait fausse route. La prochaine lettre sera une lettre d’avocat » menaçait-t-il devant l’absence de réponse.
Reçu le 22 mars au siège du journal du soir, le photographe a enfin reçu les excuses de sa directrice, Mme Nougayrède.
Le lendemain, la direction du Monde se dédouanait de toute responsabilité. « La direction du journal ignorait tout de la présence de ces archives. Aucun accord contractuel n’existait entre Le Monde et El Pais prévoyant que M. Mordzinski puisse conserver des documents à cet endroit. Le photographe utilisait ce local en l’absence de tout accord contractuel entre lui et El Pais », écrit-elle le 23 mars dernier sur le site internet du journal.
« La perte de ces documents a eu lieu de manière accidentelle », ajoute-t-elle avant de souligner que « cela n’a en rien découlé, de la part du Monde, d’une quelconque intention de nuire. Le Monde s’est toujours montré respectueux de toute production artistique ».
De son côté, Daniel Mordzinsky pense qu’« il s’agit d’un profond mépris pour un travail qui fait partie de la mémoire de notre culture contemporaine ». Comment lui donner tort face à cette affaire plus que révoltante ?