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Le Monde versus Revue des Deux Mondes : OK Corral chez les milliardaires

28 mars 2017

Temps de lecture : 6 minutes
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Le Monde versus Revue des Deux Mondes : OK Corral chez les milliardaires

Temps de lecture : 6 minutes

Dégât collatéral de l’affaire Fillon : une querelle de ménage journalistique en plein Paris. Le Monde et La Revue des Deux Mondes ou le bal des milliardaires.

Au cœur de la bagarre, François Fil­lon et le « Pénélope­gate ». À « gauche », Le Monde et ses habi­tudes de chas­se aux sor­cières ini­tiées depuis le pas­sage de Plenel, directeur de la rédac­tion de 1995 à 2004. Les pra­tiques alors en usage de l’actuel directeur de Médi­a­part ont été décrites dans l’enquête de Pierre Péan et Philippe Cohen, La Face cachée du Monde. À « droite », La Revue des Deux Mon­des actuelle­ment cha­peautée par Franz-Olivi­er Gies­bert. Le quo­ti­di­en est majori­taire­ment détenu par Pierre Bergé, Xavier Niel et Matthieu Pigasse. La revue appar­tient au prési­dent de Fimalac, Marc Ladre­it de Lachar­rière, depuis 1991. La querelle se déroule au bal des mil­liar­daires sur fond de pré­ten­tions à « l’indépendance ».

Prémisses de la bataille d’oreillers

Le Monde n’aime pas La Revue des Deux Mon­des. Évo­quant le change­ment de direc­tion de la revue en 2015, le quo­ti­di­en par­lait d’un « drôle de tour­nant ». Selon l’auteur de l’article, Édouard Launet, jour­nal­iste et écrivain offi­ciant aus­si à Libéra­tion, la revue serait alors dev­enue « réac­tion­naire ». Des preuves ? Les noms de Zem­mour, Debray, Onfray ou Houelle­becq. Un « tour­nant » impul­sé par Franz-Olivi­er Gies­bert et sa com­pagne Valérie Toran­ian, aupar­a­vant direc­trice de la rédac­tion de Elle. Le cou­ple suc­cé­dait à Michel Crépu pour impulser une nou­velle ligne édi­to­ri­ale, résumée ain­si par Franz-Olivi­er Gies­bert, selon des témoins : « Il faut arrêter d’enculer les mouch­es ». Ou de par­ler de Proust.

Un partout, Fillon et Pénélope au centre, le fric partout

Dans le feuil­leton de « l’affaire Fil­lon », la rela­tion entre le can­di­dat de la droite et Marc Ladre­it de Lachar­rière est un élé­ment impor­tant. Ils sont amis. Le Canard Enchaîné révèle que Péné­lope Fil­lon aurait perçu 100 000 euros entre 2012 et 2013, pour un emploi pré­sumé fic­tif au sein de La Revue des Deux Mon­des. Le mil­liar­daire affirme qu’elle a tra­vail­lé. Michel Crépu infirme. La cour de récréa­tion s’installe à la Une de tous les médias français. « Pénélope­gate ». Le ver­sant financier est entre les mains de la jus­tice. Les infor­ma­tions et doc­u­ments cen­sé­ment secrets cir­cu­lent. La bataille s’engage aus­si « intel­lectuelle­ment » entre Le Monde et La Revue des Deux mon­des en févri­er 2017, celle-ci sor­tant oppor­tuné­ment ou mal­adroite­ment, les avis diver­gent, un numéro cen­tré sur François Fil­lon. L’ami du pro­prié­taire de l’un est peu aimé des action­naires de l’autre. Et récipro­que­ment. La passe d’armes a lieu par pages interposées.

Offensives et obus de stylos

Tir groupé dans les pages du Monde, début févri­er. Nico­las Truong con­sacre deux arti­cles au numéro de La Revue des Deux Mon­des de février/mars 2017. Le pre­mier s’inquiète d’un « embar­ras­sant pané­gyrique de François Fil­lon ». Objec­tif ? Démon­tr­er que Fil­lon est un « thatch­érien de la Sarthe ». À l’échelle du jour­nal­isme parisien, la for­mule sen­tant son ultra­l­ibéral­isme et sa province est dou­ble­ment méprisante. Truong passe en revue les 3 arti­cles con­sacrés à Fil­lon, pré­parant selon lui l’éloge final de Franz-Olivi­er Gies­bert. De fait, Gies­bert ne cache pas son admi­ra­tion pour un can­di­dat présen­té comme « catholique et icon­o­claste. Libéral et gaulliste ». Il l’écrit : Fil­lon a « fini par devenir la droite », une « syn­thèse » de ses divers­es ten­dances. Truong pub­lie un autre arti­cle où il évoque Vichy « qui fut une véri­ta­ble débâ­cle, puisque la revue devint col­lab­o­ra­tionniste et pub­lia, le 15 août 1940, une réflex­ion sur l’éducation nationale, signée par le maréchal Pétain lui-même. Mise sous séquestre à la Libéra­tion, elle ne réap­pa­raî­tra qu’en 1948 ». Une façon d’alléguer au sujet de pos­si­bles idées poli­tiques de Fil­lon, dont le défaut majeur sem­ble se résumer à deux mots : catholique et provin­cial. Plus bas, une tri­bune de Michel Crépu inti­t­ulée : « À la Revue des Deux Mon­des, le temps des bousilleurs ». Crépu dirige la NRF, revue qui juste­ment ne man­qua guère de Col­lab­o­ra­tion durant Vichy. Accroche : « Ancien directeur du men­su­el, Michel Crépu déplore la vacuité et la vul­gar­ité de sa ligne édi­to­ri­ale actuelle, où Onfray et Zem­mour ont rem­placé Chateaubriand et Baude­laire ». Il reproche à la nou­velle direc­tion de céder à l’air du temps et par­le de « déroute française de la respon­s­abil­ité, assas­s­inée par ceux-là même qui en ont la charge ». On regret­tera l’oubli du pluriel au mot « ver­tige », sept lignes avant la fin de cette tri­bune. De ces oub­lis qui sans doute con­tribuent de fait à « l’assassinat » dont par­le le texte. Qu’un jour­nal de « référence » tel que Le Monde soit quo­ti­di­en­nement émail­lé de fautes et de coquilles est extra­or­di­naire. La « respon­s­abil­ité » com­mence peut-être ici.

OK Corral : La Revue des Deux Mondes riposte

Dans son numéro d’avril 2017, La Revue des Deux Mon­des pub­lie : « Notre réponse aux calom­nies du Monde », dossier com­posé de trois textes. Les sig­nataires : Valérie Toran­ian, F.O.G et Olivi­er Cariguel. Ce dernier mon­tre que « la revue n’a pas été col­lab­o­ra­tionniste ». Les sit­u­a­tions de l’époque furent com­plex­es et la NRF ren­con­tra alors plus de soucis. Aupar­a­vant, Toran­ian défend l’idée d’une « revue libre et indépen­dante », bien que pro­priété de Marc Ladre­it de Lachar­rière, et s’interroge sur le fait que Le Monde mette autant en avant Emmanuel Macron quand l’un de ses prin­ci­paux action­naires, Pierre Bergé, en est un sou­tien offi­ciel. Pour Valérie Toran­ian, Le Monde reprocherait surtout à La Revue des deux Mon­des d’exister sans souscrire à l’idéologie libérale lib­er­taire du quo­ti­di­en soupçon­né de soutenir Macron. Franz-Olivi­er Gies­bert prend « Le par­ti d’en rire », écrivant : « Je lis par­fois Le Monde, mais jamais ses pages “Débats”. Je n’aime pas la haine : elle ne mène à rien et, en plus, elle fatigue, ce qui n’est pas bon à un âge comme le mien, où il faut se ménag­er ». Le ton de F.O.G n’est pas seule­ment ironique, il évoque aus­si les « pisse-froid » du Monde où règne, selon lui, « un cli­mat de secte apoc­a­lyp­tique ». À ses yeux, les deux pages con­sacrées à sa revue sont un « mod­èle du jour­nal­isme-flic ». Il pointe aus­si les défi­ciences de Truong, qui fait de F.O.G un actuel « directeur de la rédac­tion du Point ». Le Monde pèche sou­vent par défaut d’exactitude et de rec­ti­tude. N’en deman­dant pas tant, Franz-Olivi­er Gies­bert peut s’autoriser une com­para­i­son entre les pages « Débats » du Monde et le jour­nal Présent en ter­mes de « haut-le-cœur ». Il pro­pose enfin une « poli­tique fic­tion » peu con­va­in­cante autour de Truong. F.O.G n’est guère romancier.

2017, les jour­nal­istes parisiens se jet­tent de l’eau de Vichy à la fig­ure. Que restera-t-il de cette bataille de chif­fon­niers entre amis de mil­liar­daires aux intérêts élec­toraux diver­gents ? Rien. Comme il restera sans doute peu de ce qui se pub­lie dans La Revue des Deux Mon­des, la NRF ou Le Monde actuelle­ment tant ces pub­li­ca­tions sont intel­lectuelle­ment de faible ampleur. Sou­vent, les médias papiers s’interrogent sur les raisons du désamour du pub­lic à leur égard. Qu’ils ne s’interrogent plus. Une querelle de cette sorte vaut réponse claire.

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