Le 8 mars 2025, le quotidien Le Monde publiait, sous les plumes associées d’Ariane Chemin et d’Ivanne Trippenbach, un article au titre évocateur : « Les médias du milliardaire Bolloré défendent désormais ouvertement la Russie ». Avec un tel titre, le texte risquait fort d’être à charge et peu soucieux de vraisemblance.
Les éditions Fayard à l’origine du Mal ?
Pour Le Monde, « Depuis que Donald Trump tend la main à Moscou sur le conflit ukrainien et que son vice-président, J.D. Vance, proclame que la « liberté d’expression » serait menacée en Europe, radio, télés et journaux d’extrême-droite soutiennent aussi Moscou ». Telle est la thèse des deux journalistes, photographie de Vincent Bolloré avant son audition devant une commission d’enquête parlementaire à l’appui.
L’affaire semble grave comme un scoop :
« Le courriel a été adressé à une liste de diffusion française le 18 février. Expéditeur : la maison Fayard, bastion du nouveau groupe d’édition du milliardaire conservateur Vincent Bolloré ».
Un courriel extrêmement important puisque Le Monde décide de baser un article dessus, dans un contexte où la France désigne la Russie comme une « menace existentielle » au point de lancer, avec l’Union européenne, une politique de réarmement :
« Bonjour, alors que les déclarations récentes de Donald Trump et de J.D. Vance dénoncent un recul de la liberté d’expression en Europe, Xenia Fedorova (…) offre un témoignage inédit ».
Le communiqué concerne Bannie (306 p, 21,90 euros), essai de l’ancienne présidente de Russia Today, tout juste paru, mais difficile à trouver dans les librairies indépendantes, à l’instar des ouvrages de personnalités comme Philippe de Villiers, Jordan Bardella, Alain de Benoist, Michel Onfray ou Éric Zemmour. Entre autres. Pour Le Monde, Russia Today était, avant d’être interdite en France, même s’il est toujours possible d’y accéder en réalité par une simple recherche internet, une « chaîne russe diffusant la propagande du Kremlin ». Un média de propagande. Ce que ne serait donc pas Le Monde. Le communiqué est signé Yenad Mlaraha, ancien conseiller en communication de Marlène Schiappa. Il se termine par ces mots :
« Peut-on encore tout dire en Europe ? »
Un communiqué qui paraît étonner les deux journalistes alors qu’il est très banal. Le genre de communiqués envoyés par les services de presse de toutes les maisons d’édition, chaque jour, afin de promouvoir leurs nouveautés auprès des journalistes et des libraires, communiqués qui dans tous les cas exposent ce dont parlent les ouvrages et quels en sont les points forts. Il est ainsi banal que les éditions Fayard fassent la promotion du livre de Xenia Fedorova. L’auteur russe est par ailleurs passée dans l’émission de Pascal Praud sur CNews.
Le diable Hanouna
Notons que pour les deux journalistes l’auteur du communiqué a fait pire dans sa carrière : il « avait été recruté dans l’équipe de Touche Pas à Mon Poste (TPMP), l’émission de Cyril Hanouna ». L’affaire est d’autant plus grave que ce courriel a été envoyé quatre jours après la conférence de J.D. Vance à Munich sur les menaces pesant sur la liberté d’expression en Europe et son soutien à « l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le parti d’extrême-droite allemand ». Ce même moment où Donald Trump « lançait des pourparlers » avec Poutine au sujet de l’Ukraine.
Un simple courriel suffit donc à voir une cinquième colonne pro-russe partout ? L’ensemble de l’article signé Ariane Chemin et Ivanne Trippenbach fonctionne ainsi : partir d’un élément unique et le transformer en une sorte de danger national. Or, à l’évidence, le communiqué du service de presse des éditions Fayard cité n’induit pas un danger pro-russe pesant sur la France de l’édition ou de la culture.
Voir aussi : Ivanne Trippenbach, portrait
La grande peur des bien-pensants
Pour le quotidien, les choses seraient pourtant devenus très graves :
« Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le 24 février 2022, personne en France n’osait guère afficher ses sympathies pour le président russe. Le rapprochement inédit avec Moscou opéré par l’administration Trump a fait sauter ce tabou en quelques jours. Les bouches s’ouvrent, les masques tombent ».
Rien de moins.
Si tel est le cas, Le Monde apporte nécessairement de très nombreuses preuves et des faits vérifiés et vérifiables. Les journalistes essaient. Elles voient, « dès mi-février », une « vision trumpiste » être diffusée dans tous les médias du groupe Bolloré (Journal Du Dimanche, Europe 1, CNews). Entendre : pro-russe. Dans cet article, il s’agit de la même chose. L’offensive porte en réalité avant tout sur CNews, car tel est l’objectif de l’article : « Le 3 mars, sur CNews, l’animateur Pascal Praud affirme dans un édito défaitiste qu’il faut cesser le combat : la Russie a gagné la guerre et nous, Européens, l’avons perdue avec l’Ukraine ». Un éditorial, c’est-à-dire le lieu d’une opinion. Mais voilà… Pascal Praud indique que l’Union européenne a échoué, l’avenir de l’Ukraine semblant devoir se jouer sans elle. « L’Europe, voilà l’ennemie désignée dans la bollosphère (comme l’on dit « fachosphère, ndlr) ». Les deux journalistes multiplient les « exemples » picorés ici et là, et sortis de leur contexte, au sujet de Philippe de Villiers, Michel Onfray ou Pascal Praud, lequel, le 6 mars 2025 sur CNews, ne considérerait prétendument plus Vladimir Poutine comme l’agresseur. Qu’écrivent les journalistes du Monde au sujet des menaces géopolitiques ?
« Pour la galaxie CNews-JDD-Europe 1, la Russie n’en est pas une, ou alors pas la plus importante ».
Globalement, même si une petite couche est mise sur Valeurs Actuelles, ce sont les médias appartenant à Vincent Bolloré qui sont visés, et en particulier la chaîne CNews qui est accusée d’être un organe de propagande en faveur de la Russie.
La réponse de CNews
L’émission L’Heure des pros 2, sur CNews, du dimanche 9 mars, présentée par Eliot Deval est revenue sur cet article, afin d’en démontrer avec facilité le caractère mensonger, propagandiste et fort peu déontologique. Deval indique d’emblée, et avec ironie, que le titre est plein de « nuance ». Un « article à charge ». Le journaliste propose de regarder la séquence dans laquelle Xenia Fedorova est intervenue lors de son passage dans L’Heure des pros, animée par Pascal Praud. Que voit le téléspectateur ? Que dit Praud ? Il parle de « l’opposant numéro 1 de Poutine, Navalny, qu’il a laissé mourir dans une geôle au fin fond du pays… Je ne prends pas du tout Poutine pour un démocrate (…) si vous vous opposez à Poutine, cela se termine mal ». Xena Fedorova conteste alors le rôle d’opposant numéro 1 de Navalny, le présentant comme le « chéri » des occidentaux. Rappelons qu’elle est alors invitée et qu’elle exprime une opinion personnelle. Réaction sur le plateau ? C’est pour le moins animé : Éric Naulleau prend la parole, l’air dépité, et dit :
« Il est impressionnant votre discours, très impressionnant, franchement…agresseur, agressé, en fait tout cela est plus compliqué, en fait ce que vous appelez une dictature c’est une démocratie jeune… pour moi, c’est complètement déconnecté de la réalité ce que vous dites… Enfin, admettez que ce que vous dites est 100 % aligné sur les positions du Kremlin »…
Poutine n’est pas un démocrate, des libertés fondamentales ne sont pas respectées, Fedorova exprime une position de journaliste russe et elle est contredite. C’est ce que le téléspectateur voit, pas ce qui est affirmé par Le Monde. La réalité est ainsi très loin de ce qui est présenté dans l’article du Monde signé par Ariane Chemin et Ivanne Trippenbach, qui pénétrait sans autorisation dans l’église lors de la cérémonie pour l’inhumation de Jean-Marie Le Pen.
Eliot Deval remarque que l’article attaque particulièrement Pascal Praud, Philippe de Villiers et Cyril Hanouna, autrement dit parmi ceux qui réussissent le mieux dans les médias télévisuels.
Paul Vermeulen