Le Parisien se restructure, arrête ses informations locales, supprime 10 % de ses effectifs, et joue le numérique à fond.
Le quotidien Le Parisien, propriété de Bernard Arnault, troisième fortune mondiale (76 milliards d’euros) derrière Jeff Bezos et Bill Gates, est en grande difficulté et il vient d’annoncer qu’il supprime ses cahiers départementaux (les nouvelles locales). Il est donc en train de se reconvertir en un quotidien national comme les autres, avec la particularité (temporaire ?) de publier un cahier central appelé « Le Grand Parisien », qui lui laissera les apparences d’un quotidien régional et justifiera la conservation du titre.
Ce « Grand Parisien » est-il un clin d’œil au Petit Parisien d’avant-guerre, comme l’a écrit une dépêche d’agence de presse ? On a du mal à le croire car Le Petit Parisien parut jusqu’au 17 août 1944, et donc pendant toute la période de l’Occupation. Son propriétaire fut certes acquitté en 1951, dans le cadre de l’un des innombrables procès en sorcellerie et en collaboration d’après-guerre, mais on voit mal Le Parisien libéré, né d’une spoliation des patrons du Petit Parisien, rendre en quelque sorte hommage à ses victimes, volées il y a trois quarts de siècle. Mais ceci est un autre débat.
Le journal qu’on lit au zinc du bistrot
Ce qui nous intéresse, c’est de voir que Le Parisien réduit la voilure, vraisemblable préparation à une fusion avec Aujourd’hui en France, dont le contenu est identique, aux pages régionales près. Que se passe-t-il exactement pour que ce quotidien populaire, dont les tirages ont été considérables (près de 700 000 exemplaires par jour dans les années 1970, avant une grande offensive contre lui de la CGT du Livre), en vienne à se retirer de l’information locale en supprimant ses neuf cahiers départementaux au profit d’un cahier de grande région, « grand parisien », fourre-tout qui ne lui fera pas gagner de lecteurs ? C’est que la crise sanitaire l’affecte en premier chef : Le Parisien était par excellence le journal qu’on lit au zinc du bistrot, devant un petit noir, avant de faire son tiercé, son loto ou son grattage. Plus de bistrots ouverts, donc plus de lecteurs. Le public du Parisien est peu diplômé, et ne se reporte guère sur la version numérique, qui ne décolle toujours pas. L’audience globale du titre est donc très fortement en berne, et les annonceurs n’aiment pas.
En outre Le Parisien est le journal populaire par excellence, mais certains éditorialistes comme David Doukhan jouent volontiers les analystes politiques sophistiqués à la Olivier Duhamel (sur ce plan-là uniquement !), et le lecteur moyen, lui, ne s’y retrouve pas. Par ailleurs la haine affichée à l’égard de tout ce qui ressemble à la droite nationale, au souverainisme, aux marqueurs identitaires (français) décourage son cœur de cible.
Peu de synergies avec Les Échos
Quand LVMH, c’est-à-dire Bernard Arnault, avait acheté Le Parisien (en 2015), il avait déboursé 50 millions. Pour apurer les dettes du titre, il avait ajouté 83 millions. Le premier confinement et la déconfiture du distributeur monopolistique Presstalis ont coûté 36 millions de plus. On comprend que l’industriel, tout multimilliardaire qu’il soit – et tenant à le rester –, ait crié : « Halte au feu ! », et ait exigé une refonte en profondeur du titre.
Le Parisien cible les abonnés numériques. C’est une nécessité pour décrocher de la publicité. Pour l’heure, il n’en compterait que 40 000 (ce qui, pour Présent, serait évidemment un chiffre magnifique), et espère atteindre les 200 000, mais son public habituel est peu enclin à lire son journal sous cette forme.
L’autre problème du Parisien, c’est que ce titre ne présente guère de synergies (si ce n’est sur le plan technique, et encore) avec Les Echos, qui est également détenu par le multimilliardaire. Impossible de présenter des offres publicitaires communes. Impossible d’affecter des journalistes aux deux titres simultanément.
Tout laisse penser que, pour Le Parisien, les beaux jours sont derrière lui. D’autant qu’Arnault ne le laissera jamais se réorienter, aller à la rencontre de son public naturel, si peu en phase avec ses intérêts propres. •
Francis Bergeron
Source : Présent 23 mars 2021.