Le drame de Crépol est un accélérateur. Il permet, à qui en doutait encore, de voir l’existence de deux France. Il permet aussi de voir les prouesses gymniques dont sont capables certains médias afin de maintenir cette illusion agonisante qu’est le vivre-ensemble.
Inversion accusatoire du Parisien
Depuis quelques semaines désormais, les médias de grand chemin commencent à entonner une petite chanson qui nous amène presque à inverser les responsabilités dans le drame de Crépol. Si l’on en croit certains, ce sont les rugbymen, les amis de Thomas, qui ont déclenché les hostilités et les jeunes du quartier de la Monnaie n’auraient, au fond, fait que répondre. C’est ce disque usé que nous joue Le Parisien dans un papier en date du 4 décembre 2023.
Fausses révélations
Nos lecteurs l’auront compris, l’objectif de cet article du quotidien de Bernard Arnault qui promet des « révélations » sur le meurtre de Thomas, c’est de balayer la thèse d’un raid antiblancs ayant visé le bal qui se tenait à Crépol. Comme le soulignent les deux journalistes auteurs du papier, « Rien n’accrédite la thèse d’un raid prémédité sur le bal de Crépol ce soir fatal du 18 novembre. ». Le fil rouge est alors de piocher dans l’enquête, qui n’en est qu’à ses débuts, des éléments permettant de démonter cette thèse.
L’un des grands éléments mis en avant c’est que certains des jeunes du quartier de la monnaie étaient présents depuis le début de la soirée dans le bal. Ainsi, ils ne seraient pas venus dans l’intention de tuer du blanc, mais de draguer des filles. Comme l’indique l’article, quatre jeunes étaient parmi les 450 participants au bal. L’enquête révèle aussi que neuf suspects sont arrivés dans des voitures durant la soirée, entre 23h00 et 01h00 du matin.
Pourquoi s’inquiéter des fouilles ?
Cependant, comme le note là aussi l’article, lors de son entrée au bal l’un des quatre jeunes a remis un couteau de chasse au vigile qui l’a fouillé. Concernant l’autre groupe, il serait resté dehors à boire et fumer devant la salle en demandant aux autres participants si des fouilles étaient faites à l’entrée. Jamais dans l’article les deux auteurs ne s’interrogent sur cette question, pourtant révélatrice. Pourquoi s’inquiéter d’une fouille ? Soit ces jeunes avaient des armes qu’ils ne voulaient pas céder à l’entrée, soit ils avaient des stupéfiants, soit les deux.
Couteaux, gants coqués, une arme à feu
Malgré tout, l’article doit souligner le déséquilibre d’armements entre les jeunes rugbymen armés de leurs poings nus, et les jeunes de cités, armés de couteaux, de gants coqués, voire d’armes à feu, puisqu’un coup de feu a été entendu lorsque ces jeunes quittaient le bal après leur massacre. Posons une question à nos amis du Parisien : qui se rend dans un bal organisé dans un village de 500 habitants avec des couteaux de chasse et des gants coqués ?
Ambiance pesante
Selon l’article, l’ambiance au sein de la soirée était pesante. Les jeunes du quartier de la monnaie faisaient tâche au sein de cette soirée, ne cherchant pas à s’intégrer, selon un témoin « Ils savent bien que personne ne peut les voir quand ils viennent. Ils cherchent les problèmes. », « ils sont assis dans leur coin, jettent des regards malsains sur la foule ». L’un des témoins évoque même une scène où l’un des jeunes de Romans-sur-Isère aurait forcé une fille à danser.
Néanmoins, ce qui fait basculer la soirée c’est lorsque Thomas. L (un autre Thomas que la victime) agrippe les cheveux d’un certain Ilyès.Z, maghrébin de 22 ans, sur la chanson Tchikita de Jul. Selon Le Parisien, l’insulte ne plait pas à Ilyès, qui somme Thomas de dégager à deux reprises, ce que ce dernier aurait refusé avec « un sourire narquois ». C’est à ce moment que les deux hommes sortent et que se met en route le drame de Crépol. Selon une amie de Thomas.L, citée par Le Parisien, le jeune homme aurait indiqué plus tôt dans la soirée vouloir « taper du bougnoule. ».
Les agresseurs quasi innocentés
Tout dans cette partie montre l’intention des journalistes du Parisien. Dans son article, les journalistes déroulent leur version du drame. Un rugbyman, ayant tenu des propos racistes, aurait provoqué un jeune du quartier de la monnaie, l’aurait insulté, puis l’aurait nargué avec un sourire narquois. Sans tout cela, le drame de Crépol n’aurait pas eu lieu. Notons par ailleurs que si le caractère raciste (antiblancs) est mis de côté par l’article, il l’est nettement moins lorsqu’il s’agit de Thomas.L.
Deux France face à face
Or, que montre, bien malgré lui, cet article ? Nous voyons le face à face entre deux France. Celle de Crépol et celle du quartier de la monnaie, un des nombreux quartiers de l’immigration extra-européenne. Ces deux France, comme l’indique l’article, se croisent dans certains endroits tel que le lycée, mais ne socialisent pas, ne dialoguent pas. Et lorsqu’elles participent à des soirées communes, comme ce soir terrible du 18 novembre, un puissant malaise ressort du récit de ce dialogue forcé. Tandis que les uns se font fouiller et viennent les mains vides, les autres déposent leur couteau de chasse à l’entrée, tandis que leurs congénères attendent devant la salle, refusant de se soumettre à cette fouille. Enfin cette confrontation, cette quasi guerre froide, devient chaude pour un rien. Ici, il s’agirait d’un sourire narquois et de cheveux tirés, parfois il s’agit d’une cigarette, parfois simplement d’être là au mauvais endroit au mauvais moment.
L’article se conclut sur un élément visant à humaniser les suspects. Ils auraient eu des mots de compassion pour les victimes, indiquant partager la peine de la famille de Thomas et regretter ce qu’il s’est passé à Crépol.
Nous le voyons, Le Parisien scrute l’enquête, qui n’en est qu’à ses débuts, afin de pouvoir pondre un narratif allant dans le sens du dogme du vivre ensemble. Encore quelques semaines et peut-être viendra-t-on nous expliquer que c’est Thomas qui s’est mis sur la trajectoire du couteau. Cette affaire, au-delà de faire ressortir les lignes de fractures de notre époque, montre une nouvelle fois ce que choisissent certains journalistes mainstream entre la déontologie et leurs présupposés politiques. Un adjectif ? Répugnant !