Le « très sérieux » quotidien national polonais Rzeczpospolita n’a pas hésité à inventer un bobard pour discréditer le parti au pouvoir. Que fait le désintox de Libé ?
« C’est une offre que Jarosław Kaczyński n’aurait sans doute pas voulu entendre. Mais l’image d’une Pologne qui cherche à affaiblir l’Union européenne est aujourd’hui si répandue à l’Ouest que Marine Le Pen, candidate à la présidence de la République française, propose au leader du PiS une alliance pour démonter la Communauté européenne si elle gagne les élections en mai ».
Voici comment débutait en Une l’article « Le Pen alliée de la Pologne » publié le lundi 13 mars par le quotidien national polonais Rzeczpospolita. Dans la version en ligne du même texte, aujourd’hui modifiée, la proposition de Marine Le Pen de travailler avec le Polonais Jarosław Kaczyński au « démontage » de l’UE figurait sous forme de citation dans le chapeau de l’article : « ‘Si je gagne, j’entreprendrai une collaboration avec Kaczyński pour le démontage de l’Union européenne’, dit à Rzeczpospolita la leader du Front national ». Même chose pour le chapeau de l’article intégral figurant à la page 8 de la version papier du 13 mars, qu’il n’était évidemment pas possible de changer a posteriori.
Une « info » reprise par les médias
C’était après le sommet des 9 et 10 mars à Bruxelles, quand le premier ministre polonais Beata Szydło avait été mise en minorité à 27 contre 1 dans son opposition à la reconduction de Donald Tusk à la présidence du Conseil européen pour cause d’ingérences ès qualité répétées dans les affaires intérieures de son pays. Cette phrase imputée à Marine Le Pen par l’auteur de l’article Jędrzej Bielecki n’a en fait jamais été prononcée, pas plus que le mot « démontage » ou « démonter ».
Et pourtant, elle a été reprise en Pologne par tous les médias hostiles au parti conservateur Droit et Justice (PiS) et l’opération avait clairement pour but de montrer aux Polonais, très majoritairement favorables à l’appartenance de leur pays à l’UE, que le PiS allait faire sortir la Pologne de l’UE. Le journaliste de Rzeczpospolita se référait à une conférence de presse tenue par Marine Le Pen le 8 mars dernier à son siège de campagne en présence de journalistes européens. Malheureusement pour lui, la réponse de Mme Le Pen à sa question sur l’éventualité d’une alliance avec le Polonais Jarosław Kaczyński et le hongrois Viktor Orbán avait été enregistrée par une journaliste du site conservateur wPolityce.pl également présente et ce site a mis en ligne cet enregistrement dans l’après-midi du même jour.
De la pure propagande
Et voici donc ce qu’a dit Marine Le Pen : « Si demain je suis présidente de la République française, je pense que je pourrai avoir un débat avec M. Orbán sur ce qui nous apparaît inadmissible, insupportable dans la manière dont l’Union européenne agit aujourd’hui, et c’est pareil pour M. Kaczyński. On ne sera pas d’accord sur tout, très certainement, et c’est la liberté et la souveraineté de chaque pays que de défendre aussi ses propres intérêts. Ils peuvent être communs sur certains sujets et ils peuvent aussi être divergents. C’est la base de la politique internationale. »
Entre-temps, le leader du PiS Jarosław Kaczyński avait cru bon de préciser aux journalistes qui l’interrogeaient sur les propos faussement prêtés à Mme Le Pen qu’il avait autant en commun avec Marine Le Pen qu’avec Vladimir Poutine, et aussi de rappeler que toutes les suggestions de l’opposition selon lesquelles le PiS souhaiterait un Polexit ou un démantèlement de l’UE étaient pure propagande.
Pourquoi Rzeczpospolita qui a en Pologne et à l’étranger la réputation d’un journal sérieux se prête-t-il donc à une telle propagande anti-PiS en créant une fausse nouvelle de cette nature, un de ces fameux fake news dont les médias mainstream accusent régulièrement les médias alternatifs ? Pour comprendre ses motivations, il faut remonter à l’année 2011 quand Donald Tusk était premier ministre de la Pologne. Mécontent des critiques de ce prestigieux journal à l’encontre de l’action de son gouvernement, en particulier en ce qui concernait sa gestion de l’enquête sur la catastrophe de Smolensk où le président Lech Kaczyński avait perdu la vie en avril 2010, le gouvernement de Donald Tusk était parvenu à contraindre le propriétaire britannique du journal à lui vendre ses parts pour ensuite les céder à bon compte à un homme d’affaires ami (Voir l’article Quand Donald Tusk, « président de l’Europe », muselait la presse d’opposition pour les détails de cette opération). Même dans l’opposition, ce journal reste donc aujourd’hui ami des libéraux de la Plateforme civique (PO) dont est issu Donald Tusk et ennemi du PiS. Ceci n’empêche pas les libéraux et leurs soutiens à Bruxelles (dont Donald Tusk) d’accuser aujourd’hui le PiS de ne pas respecter la liberté des médias…