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Le premier ministre pro-UE polonais Donald Tusk bannit les médias d’opposition

7 octobre 2024

Temps de lecture : 6 minutes
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Le premier ministre pro-UE polonais Donald Tusk bannit les médias d’opposition

Temps de lecture : 6 minutes

Depuis maintenant plusieurs mois, la deuxième plus grande chaîne d’info polonaise est totalement bannie des conférences de presse et des briefings de crise du premier ministre libéral pro-UE Donald Tusk. Cette situation est en outre d’autant plus curieuse qu’elle est le fait d’un de ces eurocrates qui, pendant les huit ans de gouvernements conservateurs en Pologne, ont crié aux atteintes à la démocratie, à l’État de droit et au pluralisme des médias. Ceci dit, M. Tusk avait déjà un certain passif en matière d’attaques contre le pluralisme médiatique quand il avait déjà été premier ministre de son pays de 2007 à 2014, avant de devenir président du Conseil européen de 2014 à 2019 puis président du Parti populaire européen (PPE) de 2019 à 2022.

Voir à ce sujet, dans les archives de l’Observatoire du Jour­nal­isme :

Contrôle par la force des médias publics

De retour au pou­voir depuis le 13 décem­bre 2023, le même Don­ald Tusk a d’abord pris le con­trôle des médias publics par la force. Ce coup d’éclat a toute­fois eu une con­séquence sans doute non voulue : le départ en masse des téléspec­ta­teurs de TVP Info, la chaîne d’info en con­tinu de la télévi­sion publique, vers la petite télévi­sion privée TV Repub­li­ka, à la ligne édi­to­ri­ale con­ser­va­trice et favor­able aux con­ser­va­teurs de Droit et Jus­tice (PiS).

Voir à ce sujet notre arti­cle du 16 jan­vi­er dernier : TV Repub­li­ka, dernière chaîne d’info con­ser­va­trice en Pologne, attaquée de toutes parts

TV Republika, le vent en poupe

Aujourd’hui, TV Repub­li­ka fait presque jeu égal avec la chaîne d’info en con­tin­ue TVN24 qui était jusqu’ici le leader incon­testé sur le seg­ment de l’information en con­tin­ue. Il lui arrive même de plus en plus sou­vent de la dépass­er aux heures de grande audi­ence. La chaîne TVN24 appar­tient au groupe TVN de l’Américain Warn­er Bros Dis­cov­ery. Elle délivre à ses téléspec­ta­teurs une ligne édi­to­ri­ale très engagée en faveur du camp gau­cho-libéral lib­er­taire et très hos­tile au camp conservateur.

Mais tan­dis que la chaîne d’info publique TVP Info a plongé de 5,33 % de parts d’audience en moyenne en sep­tem­bre 2023 à seule­ment 2,08% en sep­tem­bre 2024 – un mois où les résul­tats des chaînes d’info en con­tinu ont été dopés par les inon­da­tions cat­a­strophiques dans le sud-ouest du pays –, TV Repub­li­ka est passée de 0,11% à 4,66 % en moyenne. Le numéro 1, TVN24, a fait en sep­tem­bre 6,56 % d’audience con­tre 5,52% il y a un an (source : Wirtu­alne Media).

Tusk, ne rien voir, ne rien entendre

Or même pen­dant les inon­da­tions qui ont rav­agé le sud-ouest de la Pologne, faisant plusieurs morts, le pre­mier min­istre Don­ald Tusk ordon­nait à ses ser­vices d’interdire aux jour­nal­istes et aux caméras de TV Repub­li­ka l’accès à ses brief­in­gs de crise, y com­pris sur le ter­rain quand il a vis­ité les zones vic­times de cette cat­a­stro­phe naturelle. C’est absol­u­ment inédit dans un pays européen sup­posé­ment démoc­ra­tique. Mais il faut dire que cela fait des mois que Don­ald Tusk refuse à TV Repub­li­ka l’accès à ses con­férences de presse, souhai­tant vis­i­ble­ment éviter les ques­tions gênantes pou­vant venir d’un média d’opposition. La sit­u­a­tion per­siste mal­gré une pre­mière déci­sion de jus­tice qui a don­né tort en juil­let au min­istre de la Cul­ture Bartłomiej Sienkiewicz pour cette même pra­tique à l’égard de TV Repub­li­ka. Sienkiewicz est un lieu­tenant-colonel à la retraite du ser­vice de con­tre-espi­onnage et c’est lui qui a super­visé le putsch con­tre les médias publics juste avant Noël, avant d’abandonner son poste pour devenir député du par­ti Plate­forme civique de Tusk au Par­lement européen, où il siège donc au PPE.

Dans le cas de l’ancien min­istre de la Cul­ture comme dans celui du pre­mier min­istre Don­ald Tusk, le Défenseur des Citoyens s’est exprimé à plusieurs repris­es pour pro­test­er con­tre ces pra­tiques à la fois anti­dé­moc­ra­tiques et illé­gales, car con­traires au droit des citoyens à l’information inscrit dans la Con­sti­tu­tion polon­aise ain­si que dans la lég­is­la­tion. Récem­ment, le 18 sep­tem­bre dernier, le Défenseur des citoyens a encore adressé une let­tre au voïvode de Basse-Silésie, la région sin­istrée par les eaux, pour deman­der des expli­ca­tions sur l’attitude des organ­isa­teurs de ce brief­ing qui auraient bru­tal­isé une équipe de TV Repub­li­ka afin de l’empêcher d’y assister.

Condamnation des organes constitutionnels, en vain

Cette atti­tude des autorités polon­ais­es a aus­si été con­damnée plusieurs fois par le Cen­tre de sur­veil­lance de la lib­erté de la presse de l’Association des jour­nal­istes polon­ais (SDP). En vain. A la ques­tion d’un jour­nal­iste de cette chaîne d’information qui lui demandait, alors qu’il pas­sait, entouré de ses gardes du corps, dans le hall du par­lement, pourquoi il se per­me­t­tait cette pra­tique illé­gale, le pre­mier min­istre a répon­du, moqueur : « tournez-vous donc vers le Tri­bunal con­sti­tu­tion­nel ». L’attitude de Don­ald Tusk a encore été con­damnée par le prési­dent du Con­seil nation­al de la télévi­sion et de la radio (KRRiT), l’organe con­sti­tu­tion­nel indépen­dant chargé de super­vis­er les médias. Mais il est vrai que, non con­tente d’avoir pris le con­trôle des médias publics sans se souci­er de la loi et de dis­crim­in­er out­rageuse­ment la deux­ième plus grosse chaîne d’information du pays, la majorité gau­cho-libérale veut traduire le prési­dent de l’autorité des médias devant le Tri­bunal d’État, l’instance chargée de juger les min­istres et cer­tains hauts fonc­tion­naires en cas de faits par­ti­c­ulière­ment graves dans l’exercice de leurs fonctions.

RSF complice, comme toujours

Le 26 septembre2024, le ban­nisse­ment de TV Repub­li­ka des con­férences de presse et des brief­in­gs de crise du pre­mier min­istre Don­ald Tusk a encore fait l’objet d’une note de la plate­forme pour la sécu­rité des jour­nal­istes du Con­seil de l’Europe, qui attend une réponse du gou­verne­ment polon­ais à ce sujet d’ici au 26 décem­bre 2024. Tou­jours silence radio, en revanche, chez Reporters sans fron­tières. RSF sem­ble avoir cessé de se souci­er de la lib­erté des médias en Pologne depuis le change­ment de gou­verne­ment et a même fait pro­gress­er ce pays de la 57e place en 2023 à la 47e en 2024 dans son classe­ment de la lib­erté de la presse dans le monde.

Et pour­tant, Don­ald Tusk lui-même a recon­nu lors d’une con­férence au Sénat polon­ais le 10 sep­tem­bre dernier qu’il ne respec­tait pas les règles de l’État de droit, assur­ant que c’était néces­saire pour sauver la démoc­ra­tie en Pologne. Une démoc­ra­tie dont il a assuré qu’elle était aujourd’hui une « démoc­ra­tie mil­i­tante ». Est-ce la nou­velle réponse de la gauche et des libéraux à la mon­tée des « pop­ulismes » de droite en Europe ? On peut le crain­dre, vu le sou­tien affir­mé de Brux­elles à l’action du gou­verne­ment de Tusk, et si c’est vrai­ment le cas, il y a de quoi s’inquiéter…en Pologne et ailleurs.

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